A propos du projet de budget béninois 2007
Dans sa chronique du mercredi 25 octobre 2006 à la chaîne de télévision LC2, Jérôme Carlos, écrivain et journaliste, aborde le projet de budget de lEtat béninois pour lexercice 2007, en analysant le chapitre de la Culture. Il déplore que seul 0,14 % de ce budget soit alloué à la Culture, car dans une dynamique de changement, il est impensable que le gouvernement accorde si peu de cas à laction culturelle. Il préconise de revoir la copie en insistant sur la formation et la dotation en infrastructures artistiques.
Dabord, le mérite incontestable de cet intellectuel béninois[photo ci-contre] est davoir gardé foi au combat au fil des années, dexercer son métier de journaliste comme pas un autre, au Bénin, dêtre vigilant dans tous les domaines et de demeurer positif en proposant des solutions à chaque problème quil soulève. Il a eu le flair, avant même les professionnels, de pointer du doigt une anomalie dans ce qui est encore un projet, dans le souci dapporter sa contribution avant quil ne soit trop tard. Et le problème quil soulève est dune criarde importance. Il dit que la Culture est au centre des comportements et que le gouvernement de Monsieur Yayi Boni ne nous donne pas limpression de lavoir compris. La répartition du milliard et quelque destiné à laction culturelle pour toute lannée 2007 et pour toute létendue du territoire national en est la preuve.
Toutefois, je dois faire remarquer que la réduction équationnelle de lintérêt accordé à une chose par les deniers quon dédie à cette chose est une vision qui date des années 90 et qui ne peut pas être considérée comme universellement citoyenne. Dans les années 70, les Béninois accordaient une grande importance à la salubrité publique sans que le gouvernement débourse un rond pour cette activité. Le fait que le gouvernement dépense plus dargent dans le football que dans le karaté ou le tennis ou la boxe, nempêche pas nos champions dans ces disciplines-ci dêtre plus brillants au plan africain que ceux de cette discipline là.
Le peu dargent dégagé par le gouvernement pour laction culturelle ne peut pas justifier à lui seul le désintérêt pour cette action. Autrement, on pourrait accuser le gouvernement français daccorder peu dintérêt au vin français, ou le gouvernement des Etats-Unis dAmérique daccorder peu dintérêt au cinéma nord américain. Tout ne sachète pas avec de largent, en matière de culture. Le gouvernement peut bel et bien, en fonction dexigences financières particulières, dobjectifs stratégiques bien conçus et de compétences précises, destiner un certain nombre dactions constructives à des cadres dorganisations déterminés dans une politique globale participative en toute connaissance de cause et en toute responsabilité.
Le montant alloué par le gouvernement à laction culturelle dans le budget 2007 ne peut donc pas, à lui seul, justifier lillogisme de son approche de la culture et plus singulièrement dune culture de la gestion. Il nest pas obligé pour un gouvernement de dégager directement de largent pour la culture du peuple. Il nest même pas obligé pour un chef de gouvernement davoir un ministère de la Culture. Mais quand il crée ce ministère, il doit lui donner un contenu et le rendre efficace, même en demeurant dans une logique purement économiste. Et précisément dans cette logique où tout investissement doit viser une rentabilité. Si bien que créer un ministère, quel quil soit, et ne pas lui donner les moyens de fonctionner est non seulement un gouffre financier, mais davantage un abus de la bonne foi du peuple. Cest de cette manière quil convient de ramener la balle à terre. On anticiperait ainsi dautres illogismes de ce gouvernement qui patauge à vue, sans plan, sans vision, dans le mépris total des réalités du peuple, au nom dune volonté de modernité dont on recherche encore des indices de discernement. La question est : « la croissance pour qui et pourquoi ? »
Le vrai problème est que, malgré lexistence dun cadre légal clair, le gouvernement a fait le choix délibéré dévacuer la Culture, cest-à-dire de compromettre lâme de cet Etat en construction. Et lembrouillamini où dérive la galère ne peut pas être que du fait de son capitaine. Le climat est morose, redoutablement compromis. Toute lélite politico francophone de ce pays y contribue de son grain de poussière. On la vu pendant la dernière élection présidentielle où largument le plus généreux en faveur de la culture du Bénin est de « promouvoir nos folklores parce que tout le monde na pas la chance daller jusquà luniversité ». Et dans cette tempête, à défaut dexpérience, le capitaine doit se contraindre à des décisions aussi promptes et intelligentes quelles tiennent compte du but de la croisière et que ce but est précis.
Le vrai problème, cest que les cadres chargés de la promotion de cette action culturelle se sont apostasiés, dédouanés par le fonctionnement irrationnel du cadre institutionnel qui les emploie tout en banalisant leur mission, laissant le champ daction à des personnes qui se sont dégagées parmi les plus bavardes, si elles ne sont pas simplement imposées par des réseaux divers et que ces personnes manquent dinformations actuelles sur les pratiques et le management, à moins que ce ne soit lhumilité de comprendre que leur propre éducation a été élaborée dans des schémas désormais peu fonctionnels.
Or, les dispositions légales béninoises obligent, pour linstant, le chef du gouvernement, non seulement à doter ladministration dun ministère chargé de la culture, mais également à créer progressivement « toutes les conditions matérielles et morales » pour lépanouissement des cultures béninoises. La Charte Culturelle du Bénin, place ce ministère au centre de laction culturelle, cest-à-dire de lexécution de la politique culturelle du Bénin. Il est donc nécessaire, avant de sattaquer à laspect budgétaire, que le gouvernement de Monsieur Yayi Boni indique explicitement aux Béninois, les limites de son adhésion à notre charte.
Je précise. Au-delà des moyens financiers et matériels quelle impose fatalement, laction culturelle du Bénin ne peut pas être une action en faveur dune partie infime de la population béninoise, mais doit concerner tous les citoyens de ce pays en vertu des dispositions légales. Pour ce faire, le gouvernement a lobligation de présenter à tout le peuple le sens de cette action, avant dallouer quoi que ce soit. Et que cette action, contrairement aux lieux communs, ne doive pas être détachée de lensemble des autres actions, dans le cadre dune vision globale de gestion saine et efficace, de coordination rigoureuse des aspirations des peuples du Bénin.
En cela, je trouve la réaction de Jérôme Carlos assez molle par rapport à lextrême gravité de la situation. Les solutions quil propose (formation, équipements) font partie de ces lieux communs. Tout en suggérant laugmentation des dépenses prévisionnelles, elles ne convainquent pas davantage des retombées puisque, fatalement, en matière de budget, il faut faire la balance entre les ressources et les dépenses. Et cest précisément ce genre dattitude qui renferme les décideurs dans leur cécité, ne comprenant pas trop pourquoi il faut débourser pour ne rien gagner. Car, après tout, cest largent du peuple dont il sagit.
Il importe donc de situer dabord la Culture par rapport à lensemble de lactivité nationale. De se poser même la question banale initiale : quest-ce que la culture ? De tenir compte de la vision quimpose la réponse à cette question pour déterminer des actions imbriquées dans une stratégie globale. Ce travail préliminaire, la Charte limpose au gouvernement qui dispose des ressources humaines pour laider à trancher.
Le gouvernement emploie déjà, en effet, une masse raisonnable dadministrateurs et de conseillers formés dans les mêmes écoles que les autres de la plupart des Etats cités en exemple. Je suis certifié pour reconnaître leur bon niveau : jai eu des formateurs en commun avec eux, parmi mes collègues actuels. Le problème, cest quils sont employés sans aucune mission, aucun pouvoir, aucun moyen dexercer, aucune exigence de résultat. De même, certains des muséologues béninois formés en Egypte se retrouvent dans un bureau du ministère de la culture, ou un autre, en fonction des humeurs du ministre.
En ce qui concerne la formation dentrepreneurs culturels, un rapport dévaluation de lUnion européenne en 1997, démontre que le financement de cette formation par cette institution est un gâchis. Sur vingt personnes formées en Afrique francophone à coup de centaines de millions en 1992 et en 1996, il y a eu quatre défaillances. Sur les seize restants, onze ont été certifiés et sur les onze dAfrique de lOuest et dAfrique centrale, quatre sont béninois et un seul exerce effectivement à temps plein en tant que tel. Cest dire que comparativement aux autres Etats, le Bénin arrive largement en tête en nombre de personnes formées, mais que la situation institutionnelle ne favorise pas un redéploiement des acquis.
Pour le reste des domaines de la médiation culturelle (bibliothéconomie, documentation, management, ingénierie ), jai accueilli en douze ans plus de douze stagiaires dont la moitié sortie dimportantes écoles et universités européennes. De manière objective et en fonction des programmes de stages, je peux attester que les mieux formés et les plus aptes à lexercice proviennent de notre Ecole nationale dadministration. Ceux-ci sont dailleurs récupérés par des projets ou structures privées qui sont astreints au résultat.
Quant à la formation des artistes, elle commence à prendre forme. Dans les années précédentes, une série de formations partielles et parcellaires ont été organisées à léchelle régionale, réservant une place de choix aux artistes béninois. Lexpérience a montré ses limites par les résultats sur le terrain. Les personnes « formées » se détournent de la création au profit de revendications diverses. Lexpérience béninoise actuelle dans le spectacle vivant me semble encourageante dans la mesure où elle émane de personnes physiques connaissant leur domaine. Lécole Internationale de Théâtre du Bénin mérite, à ce titre, dêtre soutenue, dans le type de rapport quelle instaure, de manière permanente entre la formation et la création.
Je veux en venir à lidée quil ne suffit pas de former les individus pour quils soient efficaces. Il faut dabord une culture des gouvernants, ce qui implique une réelle volonté douverture, une compréhension de ce que le problème du Bénin est exclusivement culturel et que dans ces conditions, ce problème ne peut pas être appréhendé avec des schémas coloniaux, mais dans le cadre dun débat permanent avec les peuples du Bénin. Une des phases incontournables de ce débat, cest le respect des médiateurs, le respect des créateurs et leur fructueux déploiement au service de tout le Bénin. Cette phase conduit inévitablement à un redéploiement des ressources matérielles, disponibles elles aussi, mais délabrées parce que conçues, de la même manière, sans vision et sans respect.
Camille Amouro
Source : http://www.oduland.com/perso/amouro.htm