Roman sans titre(2)

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La guerre en Europe était de plus en plus ressentie à Lomé. Cette guerre, même les enfants en entendaient parler, et les adultes s’en plaignaient à longueur de journée.
Les dimanches après-midi, quand l’occasion le permettait, nous allions toujours aux projections de films du British Council de Lomé. Le bâtiment oblong traînait sa silhouette de vestige d’une période où les Anglais administraient une partie de la ville, après la défaite des Allemands. Sur ses deux étages, des bureaux et au premier étage cette grande salle dans laquelle les amoureux du cinéma pouvaient se distraire.
« Tu aurais aimé les projections au British Council, Nitou », dit Tante Dinah, en me souriant d’un regard qui en disait plus sur sa propre nostalgie que la mienne, qui ne pouvait relever que de la documentation .
« Merci, Tantie », répondis-je, la laissant reprendre son souffle.
Dans le milieu français de la ville de Lomé, les divisions minaient les relations sociales. Il y a avait des disputes fréquentes entre résistants d’un côté, collaborateurs des Allemands de l’autre. Mme Trosselly, dont l’époux dirigeait la société SCOA, avait raconté à Piam Piam qu’une certaine dame de nos connaissances, dont elle tut le nom, avait dénoncé un résistant, qui avait été envoyé en camp de concentration !
« Excuse-moi, Tantie, donc il y a avait des résistants à Lomé, en 1944 ? Mais comment pouvait-on résister dans une ville qui n’était pas assiégée ? », ne pus-je m’empêcher de de lui demander.
Comment résistait-on à Lomé ?
Elle éclata de rire et reprit le cours de son récit.
Verbalement, la plupart du temps. Des mots, des noms nouveaux étaient apparus comme Pétain, ou Vichy, ce dernier étant allègrement attribué à Salicetti, comme s’il en était la personnification, ce qui en soi n’était pas faux. Salicetti, justement, dont les démêlés avec Sylva avaient distrait les Loméens, avait finalement quitté le Togo, après un rapport des inspecteurs envoyés par Dakar.
Semble-t-il, des partisans d’un certain Général de Gaulle avaient pris la tête du Gouvernorat général des Colonies françaises au Sénégal. Et le 10 janvier 1944, les notables de Lomé avaient salué l’arrivée du nouveau commissaire de la République française, Monsieur Jean Noutary.
Noutary aimait déambuler dans la ville, un peu comme un shérif au Far West préfère le contact direct aux suppositions. Ses manières, bien qu’un peu rugueuses, plurent aussitôt à Sylva. Noutary aimait la grande vie, et Lomé semblait convenir à l’expression de son penchant.
A peine arrivé, il demanda à le rencontrer, lui et un certain nombre de notables, et lui donna des nouvelles de Lucien Montagné. Il n’ignorait pas les liens qui les avaient unis. A son retour en France, dit-il, Lucien Montagné avait été victime des mesures antimaçonniques de Vichy, alors même qu’il avait fait semblant de se ranger dans ce camp. Pour y échapper, il avait déclaré ne pas être franc-maçon, mais l’on découvrit qu’il l’était, et il fut sèchement révoqué, mis d’office à la retraite. Il mourut peu après, au début de mai 1942, à l’âge de 56 ans; l’on a dit qu’il s’était suicidé, avait conclu Noutary, en se frottant la moustache. A sa façon, Lucien Montagné avait à plusieurs reprises tenté de désobéir à Vichy pour défendre les intérêts de la colonie du Togo, mais il faut croire que la machine n’avait pas cru en sa fidélité stratégique, et l’avait eu à l’usure, dans un face-à-face extrêmement déloyal.
Cet homme, ce de Gaulle, moi personnellement j’ignorais tout de lui, jusqu’à ce début d’année 1944. Un samedi matin où je l’accompagnais à sa réunion champêtre, mon mari laissa tomber cette information à laquelle je ne compris pas tout sur le champ.
« De Gaulle organise une conférence à Brazzaville, à partir du 30 janvier, dans trois semaines exactement. Nous ne sommes pas dans ses petits papiers, mais nous trouverons bien une manière de l’écouter derrière la porte. »
J’appris ainsi, en ce mois de janvier 1944, qui était ce Charles de Gaulle. Sylva le présenta en des termes simples. Il serait un général français, un soldat présidant le comité français de libération nationale, qui a lutté à sa manière pour empêcher les Allemands d’asservir sa patrie. Il voulait, semble-t-il, proposer aux pays dans lesquels son pays s’était enlisé dans l’asservissement des autres, une voie de sortie du face-à-face inéluctable qui s’annonçait à l’horizon, une fois la guerre terminée en Europe. Il n’en reste pas moins que Sylva trouvait qu’au lieu de réunir les administrateurs des colonies françaises à Brazzaville, il aurait pu faire l’effort de leur rendre visite chacun sur son territoire, et les inviter à discuter ensemble avec les élites politiques locales. Mais conclut-il, en éclatant de rire, peut-être est-il trop grand pour s’abaisser à franchir le seuil de nos cases, nous qui sommes si peu civilisés !

One thought on “Roman sans titre(2)”

  1. J’ai lu, et j’ai relu…
    C’est ‘’ Le Alem Nouveau’’ !
    L’art réussi de revisiter l’histoire, entre le réel et l’imaginaire, un réel recréé…
    Une écriture charmante parce que déroutante par le style indirect libre…
    L’humour en éveil qui autorise le traitement licencieux des faits et des personnages…
    ‘’ Le Alem Nouveau’’ s’annonce certainement comme un autre voyage dans le passée pour explorer des territoires inconnus ou oubliés de TiBrava. Que les Compagnons du breuvage alignent les coupes pour tirer (bientôt ?) les 21 coups de salve !

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