Interrogeant davantage les origines de cette littérature, je reviens sur le contexte même de chaque prise de parole. Réfléchir sur la pratique littéraire des femmes au Togo signifie aussi pointer du doigt l’itinéraire exceptionnel de chacune d’entre elles. Revenons sur le récit de la pionnière Marthe Afewele Kwami. Dans le receuil de Westermann qui présente le texte, celui-ci est intitulé: « Mme Marthe Afewele Kwami, une femme courageuse (Togo sous mandat britannique) ». Le fait est que ce récit, dans sa version finale, n’est pas un texte écrit par son auteure, mais un texte enregistré en ewe puis traduit en allemand, langue de la colonie à l’époque. La narratrice Marthe A. K ne sait écrire ni dans en ewe ni dans une langue européenne. Le texte dont nous disposons, en français, est une traduction de Liliane Homburger. Il y a donc plusieurs filtres auxquels la parole de M. A. Kwami est passée, mais ladite parole n’en demeure pas moins authentique à mon sens, puisque la collecte du texte ne s’est pas faite sous la contrainte, et que la traduction ne fait que passer le texte d’une langue à l’autre, sans grande perte d’une qualité littéraire originale qu’aucun critique ne signale. Faire oeuvre de littérature n’était donc pas la préoccupation principale de M. A. Kwami. Au contraire, témoigner de la résilience d’une femme de son acabit est le moteur du récit. « L’histoire de ma vie est courte, commence-t-elle. Je n’appartiens pas à un clan fameux, et je n’ai connu aucune expérience extraordinaire, mais je raconterai comment Dieu a dirigé ma vie et ce qu’Il a fait pour moi. » Une veuve de 35 ans abandonnée de tous, même de la communauté. Contrainte de subvenir aux besoins de ses enfants grâce à la multitude des petits travaux qu’elle sait faire, elle y parvient au prix d’un travail acharné, sans jamais céder au découragement ni au désespoir. Puis un jour, un pasteur éwé, lui-même veuf, lui offre le remariage et une vieillesse sereine.
Remarque: si les histoires des épigones de M.A.K. ne traquent pas toujours le happy-end, il faut signaler que la tendance est néanmoins remarquable chez beaucoup, parfois au prix d’un forçage impressionnant du fil de l’intrigue. Et aussi, les épigones, elles écrivent leurs propres récits, sans intermédiaire autres que les personnages qu’elles créent d’après observation ou d’après leur propre vécu comme c’est le cas avec Edwige Edorh dans La fille de Nana-Benz, 1996, roman mal léché de cette jeune auteure disparue depuis du paysage éditorial. Chacune des auteures togolaises qui prend la parole le fait selon un désir personnel et non pas au nom de quelque communauté, au nom de quelque féminisme vengeur. Cela dit, si on cherche dans la production littéraire féminine togolaise un récit proche de la pratique orale du récit tiers, du récit à plusieurs mains on trouverait difficilement. A part peut-être le récit de Henriette Akofa (Une esclave moderne, 2000, fruit d’une collaboration avec le journaliste Olivier de Broca? Peu importe, avec le récit autobiographique et le roman, la parole des femmes s’est affermie et a creusé un sillon que l’analyste peut suivre désormais sans hésiter. (A suivre)