Pour présenter l’ami Sami Tchak récipiendaire du Diplôme d’Excellence de l’Université de Lomé

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Sami Tchak vu par Kangni Alem

Institut Confucius, Université de Lomé le 3 mars 2017

Excellences

Distingués Invités en vos grades et qualités

Il y a plusieurs manières de présenter un écrivain, la manière Wikipedia, scolaire et académique à la fois, où la manière sociologique, qui combine les faits observables, identifiables avec la sensibilité du rapporteur. Peut-être est-ce la deuxième manière qui convient le mieux pour présenter Sami Tchak, l’homme et l’écrivain que je vais tenter de vous faire découvrir aujourd’hui. Je dis peut-être parce que je parle sous l’autorité d’un écrivain, dont la formation universitaire est justement la sociologie, et j’ai peur, comme c’est son habitude, qu’il contredise facilement mes arguments, comme il lui arrivait déjà, lorsqu’il était étudiant au Département de Philosophie et Sciences Sociales Appliquées(PHISSA) de le faire avec certains de ses professeurs. Peut-être se souvient encore de cette phrase d’un des ses formateurs : « Vous pouvez avoir des arguments bétons, c’est moi le prof. » Je tairai le nom de ce prof que Sami eut à affronter à l’époque. Sami Tchak est un diable d’homme. D’ailleurs, un de ses amis, qui est aussi un personnage de son premier roman, le surnomme dans la vie réelle « Petit Diable ». Je suppose que pour cet ami, Banlepo, tout comme pour le père de l’écrivain, la diablerie de ce dernier relève de son indépendance d’esprit totale, de ses audaces et ses choix comme écrivain.

Première audace, se donner un nom, naître au monde autrement. Après avoir publié son premier roman Femme Infidèle en 1988 et un essai La prostitution féminine en Afrique Noire en 1995, il décide de se fabriquer une identité de plume. Son père fut le premier à lui faire la remarque. Pourquoi TCHA-KOURA Sadamba Aboubacar, né à Bowounda près de la forge de son père, est-il devenu Sami TCHAK ? Pourquoi a-t-il jeté son nom à la poubelle pour s’habiller d’un mensonge ? Vexé, son père lui en tiendra rigueur. « Moi, Salifou Kandjawou Tcha-Koura, se lamente-t-il, j’ai eu un fils… qui s’est perdu dans le vaste monde pour devenir une plante sans racines. » La naissance au monde, la perte du patronyme, l’écrivain lui-même relativise tout cela. Il répondra au père ainsi : « Je comprenais qu’il ne pût saisir l’intérêt d’un pseudonyme, même si lui aussi en avait un (ah oui !) : Métchéri… C’était son nom de forge comme Sami Tchak est mon nom de plume. Il avait juste déduit que j’avais subi une métamorphose spirituelle suffisamment dévastatrice pour que je change d’identité. Il avait oublié que sur mon visage il avait fait graver, le jour de mon baptême, alors que je n’étais qu’un bébé de huit jours, les indélébiles initiales de notre identité, mes scarifications. Elles seules font de moi l’enfant de l’ethnie et du clan. Je les promène partout. »

Deuxième audace : se former à affronter le monde. Dans la biographie de Sami Tchak, un trait de sa personnalité étonne particulièrement. Son érudition. Parfois, j’aime faire de lui cette remarque, que j’emprunte au philosophe béninois Paulin Hountondji parlant de son ami congolais le philosophe Valentin Mudimbe. « Valentin, disait Houtondji a tout lu. Et quand je dis tout, c’est bien tout. » L’érudition de Sami Tchak est du même ordre, on le sent dans ses livres, mais encore plus dans ses raisonnements. L’homme lit tout et il lit tout le temps. Plus exceptionnel encore, il a une mémoire physique de ce qu’il lit, qui remonte peut-être à sa formation de jeune apprenant du Coran. C’est une hypothèse. Ses camarades à l’Université du Bénin racontent même qu’il dormait à peine. Couché à minuit, debout à quatre heures. Pour prier ? Peut-être. Je peux le confirmer. Parfois, perdu dans mes rêveries littéraires, lorsque je cherche au mitan de la nuit un compagnon avec qui partager la religion littérature, il suffit que j’envoie un message par mail à Sami, à 1h, 2h du matin. Surprise, quelques secondes après je reçois un accusé de réception « Lu » et deux autres secondes après la réponse à mes interrogations. Pourquoi donc ne dort-il pas, me suis-je souvent surpris à m’écrier hypocritement. J’ai tenté de comprendre cette passion pour les livres, cette boulimie de savoir. Car je me doutais bien que ce n’est pas à Bowounda qu’il a côtoyé les livres. Un fait a attiré mon attention. Dans la biographie de l’auteur, certaines périodes m’ont semblé creuses. La période où il a été jeune enseignant de lettres par exemple est systématiquement passé sous silence. Oui, je l’ai appris de ses amis, Sami Tchak a été enseignant dans la région des Savannes. Après la classe de Troisième, après le BEPC, le jeune Sadamba a interrompu ses études pour aller enseigner comme instit. Et c’est pendant cette période qu’il a préparé son Baccalauréat tout seul, sans l’aide d’aucun maître d’études. Quand Wikipedia écrit à propos de lui, « Après une licence de philosophie obtenue à l’université de Lomé, capitale de son pays, en 1983, il enseigne dans un lycée pendant trois ans. », Wikipedia ne ment pas. Nous parlons de la période avant l’université. Comme l’enseigne la sociologie de la littérature, les moments les importants dans l’histoire littéraire peuvent être ceux  qui ne sont pas valorisés, et qui sont la plupart du temps les années de la formation intellectuelle et intime de l’écrivain. Préparer son bac Philo tout seul, en gagnant sa vie, loin des salles de classe et des diatribes des enseignants, suppose une force, une discipline et un effort absolu d’apprendre par cœur, de se souvenir de tout pour pouvoir retrouver son chemin dans le vaste dédale du savoir. Ce trait de caractère, ce blason de l’autodidacte lui est resté à jamais collé au corps, jusqu’à la préparation et l’obtention de son Doctorat de son Doctorat de Sociologie à l’Université de La Sorbonne Paris VI en 1993.

L’allusion à ce doctorat est un détail presque sans importance. Ce n’est pas le diplôme qui fait les écrivains, au contraire, il faut une disposition d’esprit et une capacité à s’insérer dans une tradition d’écriture que l’on s’impose tout seul au bout parfois de plusieurs années de tâtonnements pour se constituer un stock de problématiques, des réseaux d’obsessions que vous nourrissez de vos lectures, de vos expériences humaines et de vos recherches. D’ailleurs, tous les amis de Sami que j’ai interrogé ne l’imaginaient pas écrivain, tous le voyaient prof de sociologie. C’est pour cela que je puis dire que, a contrario, l’allusion à la sociologie revêt une grande importante pour comprendre comment l’œuvre littéraire de Sami Tchak va se constituer. La sociologie, voire l’anthropologie ce sont d’abord des méthodes pour aller à la rencontre de quelque chose, découvrir et interpréter les sociétés humaines. La littérature de Sami Tchak se nourrit de sa formation, mais ce serait une erreur de croire que son œuvre romanesque n’est devenue ce qu’elle est que par la qualité de ces influences intellectuelles-là. En le lisant d’année en année, je comprends mieux ses propres ambitions d’écrivain soucieux de laisser de lui une trace originale. J’observe les terrains de recherche de l’apprenti sociologue, et je découvre les noms des pays qu’il a sillonnés. Le Togo et sa sous-région immédiate ont donné naissance au premier roman et à deux essais, dont le très remarqué Formation d’une élite paysanne au Burkina Faso, 1999, et récemment en 2013 L’ethnologue et le Sage publié à Libreville au Gabon. De ses vadrouilles de chercheur bohémien à Cuba, dans Les Caraïbes, naîtra La Prostitution à CubaCommunisme, ruses et débrouilles (préfacé par l’écrivain cubain Eduardo Manet). Mais c’est sa sa découverte du Mexique, puis de la Colombie par la suite qui vont influencer ses choix littéraires. Ces espaces et les grands écrivains qu’ils ont donnés au monde lui ouvrent de nouveaux horizons. A tel point que ce que la critique, presque dans son ensemble, va retenir, c’est que Sami Tchak s’est éloigné de l’Afrique depuis son roman Hermina en 2003. D’autres critiques, encore plus vicieux, iront jusqu’à proclammer que désormais l’action de tous ses livres se déroule dans une Amérique latine « imprécise » qui fait aussi beaucoup penser à l’Afrique.

Je ne souscris pas à cette lecture de l’œuvre. Car avant Hermina, il y a eu le tonitruant Place des fêtes, qui se passe à Paris, dans la diaspora africaine de Paris. L’œuvre a donc évolué du Togo et de l’Afrique vers ses diasporas, en réalité. Et l’Amérique latine de Tchak m’apparaît comme un des sous-espaces littéraires dans lesquels l’histoire de l’Africain continue de s’écrire autrement. D’ailleurs, rien ne prouve que notre auteur ne reviendra pas dans ses espaces du début, et ne nous racontera un jour par exemple sa relation épique au pays qui l’a fait naître, et qu’il a surnommé affectueusement dans son roman La fête des masques : Ce Qui Nous Sert De Pays ! Sami Tchak aime à raconter, que le Togo lui a beaucoup donné, jusqu’à l’avion président du Général Eyadema, dans lequel il a voyagé pour rejoindre la France la première fois comme étudiant, et à bord duquel l’Etat togolais le ramenait tous les deux ans au pays pour y passer des vacances. L’avion présidentiel, voilà un vrai privilège d’écrivain, mais surtout un prétexte solide pour raconter sa relation à Ce qui Nous Sert de Pays, n’est-ce pas mon cher Petit Diable !?

Excellence Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche

Monsieur le Président de l’Université de Lomé

Vous avez décidé d’honorer un écrivain des plus méritants. Un écrivain que certains considèrent comme sulfureux. Son roman Place des fêtes en 2001 aux éditions Gallimard a marqué fortement les esprits et secoué les lettres africaines. Pour une seule raison, c’est un roman dans lequel la sexualité, permettez-moi l’expression, est le levier central de la narration.  C’est vrai, pendant longtemps, la littérature africaine aura évité la question de la sexualité, on peut donc comprendre le choc provoqué par ce roman. Mais je crois qu’il a une confusion souvent répété par ceux qui veulent à tout prix sentir le souffre dans Place des fêtes, Hermina, La fête des masques, Le paradis des chiots, Filles de Mexico, Al Capone le Malien. La sexualité comme élément de la littérature est un vieux prétexte que d’autres traditions ont suffisamment exploité. L’homme africain n’étant pas asexué, on peut donc comprendre ce que tente de faire l’écrivain de roman en roman : montrer que les mœurs sexuelles ne renvoient point à la liberté de l’individu, encore moins au libertinage, mais appartiennent à des contraintes sociales que la fiction peut aider à mettre en scène.

Je reste persuadé que l’honneur que vous lui faites, Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, ouvrira la voie à la découverte d’une œuvre riche et stimulante par les lecteurs de son pays. Et ceci ne sera que justice. Je vous remercie.

One thought on “Pour présenter l’ami Sami Tchak récipiendaire du Diplôme d’Excellence de l’Université de Lomé”

  1. Merci, Kangni Alem, pour ce texte sublime qui fait entrer joyeusement dans l’univers reluisant mais méconnu de cet écrivain atypique et fascinant à maints égards. Sami Tchak, j’en conviens, est un monument littéraire qui force l’admiration et le respect au premier contact. Inutile de vous dire que vous lire m’a procuré une grande joie intellectuelle. Je m’en voudrais de ne pas saluer en dernier ressort cette plume vôtre.

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