
HISTOIRE DES TOGOLAIS: Le point de vue du professeur Huenumadji Afan
« Nous qui sommes hommes, ne savons-nous pas bien jusquà quel point dautres hommes ont pu être ou imposteurs, ou dupes ? »
FONTENELLE, Histoire des oracles, Préface
Le jeudi 13 avril 2006, à travers une conférence-dédicace spéciale organisée au campus universitaire par le président de luniversité de Lomé, un document a été solennellement introduit au public. Sa spécificité est quil se veut l « Histoire des Togolais », affichant demblée une certaine prétention à démontrer quil existe une nation togolaise, ou des fondements à la constitution de celle-ci. Mais surtout lHistoire des Togolais se veut un ouvrage scientifique, fruit de nombreuses années « plus de vingt ans »- de recherches menées par une quarantaine de chercheurs, des universitaires attitrés, habilités. Louvrage revendique ainsi sa crédibilité par le fait de son adoubement institutionnel ; il est, quelques jours plus tard, officiellement présenté au Premier ministre du Togo. En réalité, l Histoire des Togolais apparaît comme un ouvrage à motivation dinstruction civique orientée, dont la valeur scientifique reste à déterminer :
1. Ce nest guère de la casuistique que d observer quil y a loin de la pertinence à faire ressortir, avec une certaine emphase, que les populations du Togo étaient déjà en place, quelles entretenaient des relations entre elles antétieurement à la colonisation, insinuant ainsi, de façon indue, quelles « vivaient ensemble » dans un espace considéré comme domaine patrimonial commun. Les chefs résistants du pays adja, tem , kabyè, tchokossi sopposaient-ils au colonisateur allemand ou français avec le sentiment quils défendaient la « nation togolaise » ? Le résistant konkomba se disposait-il réellement, au nom dune « nation togolaise », à admettre éventuellement, une fois le colonisateur défait, le leadership du chef résistant tchokossi ? Les populations du Togo ont eu à affronter un adversaire, le colonisateur : cela ne suffit pas pour que se cristallise lidée ou le sentiment quelles constituent une entité nationale !…
2. De fait, le désir de célébrer ou de promouvoir une nation togolaise se heurte à la brutalité des données socio-politiques. En raison même du caractère artificiel des délimitations territoriales et de la survivance conséquente et dynamique des ethnies, véritables nations transversales-, il est illusoire, voire pernicieux, de vouloir transformer en étrangers, les uns par rapport aux autres, des frères et cousins dune même famille, dun même clan, sur la base de confinements territoriaux tripatouillés par les colonisations et douloureusement vécus par les populations. Pourquoi condamner les populations du Togo à senfermer dans des structures territoriales infligées par la colonisation? Y a-t-il vraiment plus de raisons de vivre ensemble que de ne pas vivre ensemble en «Togolais » ? Cest dire que lexaltation de lidéal de nation, dans le contexte géographico-politique daujourdhui, est proprement dérisoire, surtout si elle sentend comme volonté dédification dune supra-nation togolaise, prétexte à un appel au renforcement des hégémonies prédatrices qui ont inventé le Togo, et à une légitimation des rapports de domination interne à laquelle la « togolité » sert décran.
3. LEtat du Togo existe, et il suffit. Le discours-nation nest que pure diversion, visant à chatouiller les sensibleries et dispenser lEtat de remplir son devoir irréfragable, celui dassurer à lindividu-citoyen la liberté et la justice. Du reste, partout à travers le monde, « les véhémentes protestations de certains groupes obligés parfois de ruer dans les brancards pour se faire entendre » (sic), « revendiquant la reconnaissance de leur identité propre » (sic), administrent la preuve manifeste, – même si ces revendications sont réprimées-, que tout le monde nest pas dupe de ce chantage quon nomme « unité nationale ». Lémergence dune nation ne se postule pas : cest des conditions créées par lEtat pour son émergence que naît la nation.
Moralité : Au moment où, agissant conformément à leurs intérêts, les réseaux se sont hargneusement mis en ordre de bataille pour se procurer des pères de l « indépendance » et des pères de la « nation » à proposer en consommation aux populations béates, la recherche scientifique doit se garder de servir de caution à linstrumentalisation du concept de nation, lequel concept transformé en pur slogan mystificateur conduit à toutes sortes de manipulation, dont lune des plus pernicieuses avec ses dérives désastreuses- est de faire accroire quil y a eu, dans lhistoire du Togo, des « nationalistes » et des « non nationalistes ». Faute de cette vigilance, la science historique, académique et marquée du sceau institutionnel, court le risque abominable de se travestir en mythistoire, pseudo-science engagée au service de la pseudo-politique, au nom de laquelle lon se permet de produire en lan 2005 une « histoire des Togolais » qui, par autocensure ou par esprit de chapelle, sarrête au 27 avril 1960 !
Huenumadji AFAN
A suivre !…
Source:http://www.oduland.com/nouveau/nouveau.htm