Paulin Hountondji, l’intellectuel et le politique

hountondji_0.jpgLe journal sénégalais Le Quotidien rapporte cette semaine les propos du philosophe béninois, ancien ministre de l’Éducation après la Conférence Nationale, sur l’impossibilité génétique de l’intellectuel à s’occuper de la gestion de la chose publique. « La gestion de la chose par les intellectuels africains, je n’y crois pas », déclare un Hountondji un tantinet amer.

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hountondji_0.jpgLe journal sénégalais Le Quotidien rapporte cette semaine les propos du philosophe béninois, ancien ministre de l’Éducation après la Conférence Nationale, sur l’impossibilité génétique de l’intellectuel à s’occuper de la gestion de la chose publique. « La gestion de la chose par les intellectuels africains, je n’y crois pas », déclare un Hountondji un tantinet amer. Interrogé à Bamako, où il assistait à la 6è édition du Festival Étonnants Voyageurs, il s’est livré à une réflexion radicale que je vous propose de décortiquer ensemble. « Les intellectuels africains n’ont pas les prédispositions pour s’occuper de la gestion de la chose publique telle qu’elle est gérée actuellement par les politiciens », a déclaré le philosophe béninois Paulin Hountondji. « La gestion de la chose par les intellectuels africains, je n’y crois pas. Ils n’en ont pas les prédispositions », a tranché Hountondji, invité d’un panel offrant des ‘’regards croisés’’ entre ethnologues et écrivains. « Le philosophe africain, l’intellectuel africain en général, n’a aucune compétence pour gérer la chose publique », a insisté Paulin Hountondji qui a donné sa classification des intellectuels du continent. Il a dit qu’« il y a des intellectuels patriotes, des intellectuels vendus, des intellectuels honnêtes et exigeants et des intellectuels opportunistes qui sont prêts à se vendre au plus offrant ». Ministre de l’Éducation au lendemain de la Conférence nationale (février 1990), puis ministre de la Culture et de la Communication et chargé de mission auprès du président de la République, il démissionne en 1994 pour reprendre ses enseignements. Paulin Hountondji, âgé aujourd’hui de 63 ans, a démissionné pour, explique-t-il, avoir compris « à quel point (il) était inutile ». « Quand on est dans un gouvernement, a-t-il encore dit, on est obligé de se soumettre à ce principe de la solidarité gouvernementale. Même si on n’est pas d’accord avec un collègue, on doit se soumettre. Quand on n’est pas d’accord avec le chef (le président de la République, Ndlr), ça atteint un niveau qu’on ne peut pas supporter. Et comme moi, je ne pouvais pas m’y faire au risque de renier mes principes, je suis parti ». « Un intellectuel, a-t-il défini, c’est quelqu’un qui se dit réellement concerné, interpellé par le destin collectif et qui s’efforce de contribuer à améliorer ce destin. En étant ministre pendant deux ans et demi, j’ai royalement perdu mon temps. »

Selon lui, « le salut de l’Afrique ne viendra pas des équipes au pouvoir. Les choses commenceront véritablement à bouger sur le continent le jour où la société civile et des citoyens conscients prendront les choses en main. A ce moment-là, les intellectuels pourront intervenir de manière productive ».

Fin de la citation de l’article que j’ai déniché à cette adresse Internet: http://www.lequotidien.sn/articles/article.CFM?article_id=39792

Pour mémoire, je voudrais rappeler un fait. Il se trouve qu’au moment de son entrée en politique en 1991, j’avais assisté à une conférence houleuse de l’auteur de Combats pour le sens : un itinéraire africain (1997), à l’Institut Goethe de Lomé. Je me souviens, mot pour mot, de ce qu’un prof togolais, ce soir-là, disait en coulisses à P.H.: « Vous allez échouer, parce que vous n’avez pas un parti avec vous, et vous n’avez pas forcément la discipline qu’il faut. » Façon peu diplomatique de dire qu’on n’a pas encore inventé la façon de gouverner sans les intrigues de parti? Et le prof de citer en exemple les cas de deux amis de P.H., intellectuels togolais présents à la conférence, les enseignants Huenumadji Afan et Ayayi Apedo-Amah, lesquels étaient membres du parti politique le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR), dirigé par l’avocat Agboyibor. Bien des années plus tard, on peut constater que les deux intellectuels ont aussi démissionné de leur parti, sans donner trop d’explication. mais eux n’ont jamais eu la chance d’exercer le pouvoir, fût-il ministériel, on peut comprendre qu’ils estiment n’avoir rien à expliquer. Celui qui mettait en garde P.H. ce soir-là était prof de philosophie, membre d’un parti politique (je ne sais d’ailleurs pas s’il en est toujours membre), il vit toujours et a réussi a gravir les marches de la politique internationale, je n’en dirai pas plus.

J’aurais aimé que P.H. ne s’intéresse pas qu’à la figure de l’intellectuel africain. Et pour ce faire, je me suis livré à une comparaison hors de l’espace Afrique, en prenant l’exemple d’un autre philosophe, le français Luc Ferry. A la différence de son collègue Luc Ferry, P.H. n’est pas un intellectuel très médiatisé. Néanmoins, la comparaison ne s’arrête pas là. Avant de devenir ministre de la Jeunesse, de l’Éducation et de la Recherche, Luc Ferry, à la différence encore une fois de P.H. avait déjà une carrière politique discrète. Il présidait en effet depuis 1994 le Conseil national des programmes et participa en 1997 à la commission présidée par Pierre Truche pour la réforme de la justice. Après la refonte ministérielle de mars 2004, lors de laquelle il quitte ses fonctions, il est nommé président délégué du conseil d’analyse de la société (CAS) et entre au Conseil économique et social. De plus, il a consigné dans un livre remarquable (Comment peut-on être ministre? Essai sur la gouvernabilité des démocraties, Plon, 2005) son expérience désastreuse de ministre. Hountondji, lui, a décidé de jeter l’éponge, et n’a pas daigné écrire un seul livre sur son expérience dans les hautes sphères de l’Etat béninois, de plus à une époque assez bénie où le Bénin surfait sur la vague du renouveau politique. Quel dommage! Avec un tel livre, peut-être qu’on aurait su dans le détail d’où vient à P.H. ce ton si radical, et son doute absolu sur les compétences de l’intellectuel africain tenté par la gestion politique. Sont-ils tous si incompétents que cela? Vaste question dont j’aurai aimé débattre avec lui, si j’avais été à Bamako!

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