3 questions à Kangni ALEM, l’un des très rares collectionneurs d’art au Togo
1. Comment a démarré votre collection ?
En vérité, je me suis inspiré de la passion de mon père pour les tapis d’Orient et artisanaux. Ce fut ma première introduction au monde des images artistiques, ces pièces de tapisseries, aussi loin que les souvenirs remontent. Après, il y a ma propre sensibilité et ma fréquentation des milieux artistiques durant mes études au Togo, aux Etats-Unis et en France. J’ai beaucoup d’amis plasticiens dont je fréquente les ateliers au Togo, en Belgique et en France, au Nigeria, en Algérie, etc… Ma première collection date de 1996, j’ai acheté à Ibadan une aquarelle d’un peintre local lors d’un colloque universitaire. Mais c’est en 1986 que l’envie de collectionner est né, devant les œuvres du peintre togolais Sokey Edorh. Un de ses tableaux, « Le policier en attente » m’avait tellement bouleversé que j’avais demandé au peintre, le soir du vernissage au Centre Culturel Français, s’il pouvait me le conserver jusqu’au jour où j’aurais des sous. J’étais un pauvre étudiant à l’époque, vous comprenez. Et Sokey commençait à se faire un nom. Vous ne le croiriez pas, mais l’artiste a tenu parole, et j’ai finalement acquis ce tableau en 2011 ! J’en ai tiré une leçon : quel que soit le prix d’un tableau, plus votre passion est forte, plus vous des chances de convaincre l’artiste de vous confier son œuvre, car collectionner c’est simplement devenir la mémoire, le réceptacle d’une œuvre dont le créateur lui-même n’imagine pas la destinée.
2. Quels sont vos critères dans l’acquisition d’une œuvre ?
A chacun son truc, là vous m’obligez à me révéler et c’est un peu embêtant. En tant que collectionneur privé, le premier des critères d’acquisition est de l’ordre de l’intime. Dois-je le dire, parfois le thème d’un tableau coïncide avec vos propres fantasmes, votre vision de la vie, des obsessions personnelles, bref un complexe idiosyncrasique certain. Et vous vous dites sans réfléchir deux fois, oui, ce tableau m’est destiné. Je ne suis pas un collectionneur compulsif, il faut que l’œuvre me parle à titre personnel. Après, il y a bien un second critère, de l’ordre de l’intuition artistique : parfois, devant certaines œuvres, je me dis ce peintre a de l’avenir, son œuvre comptera dans l’histoire des arts plastiques. C’est ainsi que je continue par exemple à traquer les œuvres d’un peintre comme Calico, mort jeune, mais dont la création fulgurante reste une référence. Je dirais la même chose de l’œuvre du peintre Laka, fulgurant et spirituel, et bien que je ne sois pas un passionné de spiritualité, je sais par résonance (le plasticien parle à l’écrivain) que je suis devant un moment important de la création plastique au Togo.
3. Avez-vous une ambition particulière pour votre collection ?
Bien sûr. J’espère avoir d’ici les dix prochaines années une collection thématique et artistique de référence, pour ce qui concerne les arts plastiques togolais. Les œuvres artistiques évoluent parfois trop vite, chez le même plasticien. Ma collection, je la rêve un témoin de l’évolution de chaque peintre dont je me suis entiché. Si un jour des musées ont besoin de raconter la traversée du temps de l’œuvre d’un plasticien togolais, je serais très heureux de participer au récit de cette aventure-là.
Lomé, 22 septembre 2015,
Propos recueillis par la galerie d’art contemporain NEO