Samedi 25 janvier 2020. Il est 16h. Je me suis perdu pendant quinze minutes dans le quartier Anonmé, un des nombreux quartiers de la préfecture d’Agoè, avant de trouver le lieu du spectacle: un terrain vague entre plusieurs maisons. J’avais raté les représentations de cette pièce en 2019, j’avais l’intention de ne plus laisser passer l’occasion. One coup for Kaiser est une création collective d’auteurs (Joël Ajavon, Kokouvi Galley, Marie-José Gbegbi, Jean Kantchebe, Séli Kodjovi-Numado, Kohn Rafael David, Edem Modjro) et de comédiens togolais et allemands soutenue par le Théâtre de la ville allemande de Konstanz. Créée en décembre 2016, elle a été représentée depuis à Sotouboua, Sokodé, Atakpamé, Kpalimé, Assahoun et dans plusieurs quartiers de Lomé dont Akassime, Katanga, dans les maisons du chef d’Agoè-Zongo et celui de Tsévié… La mise en scène est signée par le metteur en scène Alfa Ramsès et la chorégraphie des danses par Raouf Tchacondo. La distribution comporte six acteurs principaux (la vieille Ahovi, le chef du village, son interprète, le contremaitre colonial et le chef de la milice coloniale, la religieuse) autour desquels gravitent une vingtaine de rôles secondaires, dont un choeur d’enfants au jeu frais et spontané.
Le canevas de la pièce est posé dès la première scène: l’administration coloniale a décidé de construire un tronçon de chemin de fer à travers le village de Kolokopé, et pour y arriver elle promet une visite du Kaiser en personne, pour inaugurer l’ouvrage. Démarrées en trombe, les travaux piétinent au bout d’un temps. Et pour cause, la vieille Ahovi, une villageoise revêche incite les villageois à déserter ce chantier qu’elle trouve inutile et morbide. « A-t-on besoin d’une locomotive pour aller au bout de la terre » ironise-t-elle ? Togbui, le chef de Kolokopé, excédé par le zèle du contremaître colonial, décide d’adresser une plainte à Berlin, et somme son interprète d’écrire à l’empereur. Le contremaître exige de nouvelles recrues pour le chantier, ignorant les récriminations du chef. Il va jusqu’à proposer à celui-ci l’idée d’une nouvelle législation qui condamnerait aux travaux forcés tout homme ayant commis un délit de vol, un crime, ainsi que les polygames! L’astuce ne marche pas, alors, le contremaitre fait appel à l’église, pour contraindre le chef à coopérer. Envoyée en renfort, la religieuse tape dans les yeux du chef qui voit en elle l’adepte d’une nouvelle religion. Désormais, iront rejoindre le chantier tous les hommes refusant de se convertir. La religieuse met sur pied une chorale d’enfants qui doit préparer les cantiques en l’honneur de l’empereur, elle y enrôle la petite fille d’Ahovi, déclenchant un nouvel affrontement avec la rebelle. Ahovi pousse désormais les ouvriers à la révolte populaire, à leur libération du joug colonial. La répression est brutale, implacable. Condamnée à la prison, Ahovi est flagellée publiquement: 24 coups de fouets, dont un vingt-cinquième en hommage au Kaiser. Togbui, tombée sous le charme de la religieuse, change de camp et soutient la construction du chemin de fer, avec l’espoir d’accueillir le Kaiser dans son fief… One coup for Kaiser raconte la terrible désillusion d’un chef qui s’est cru l’égal d’un empereur allemand.
J’ai beaucoup aimé cette facilité pour le public à accueillir sans hésiter les langues d’un spectacle qui utilise l’éwé, le français, l’allemand et d’autres langues comme le moba et le kabyè, selon l’inspiration des comédiens. Et même si jouer dans la rue n’est pas sans risque – comme la séquence où un riverain rentrant chez lui a traversé la scène en rouspétant -, il faut reconnaître à cette production sa qualité pédagogique: emmener le théâtre vers le public, lui expliquer sans forcer le trait tous les artifices qui font de cet art un outil indispensable à la formation artistique.
Super j’aimerais bien y assister aussi