Lire est un plaisir 9:Werewere Liking, Noma Award 2005!

were_1.jpgD’une valeur de 10.000 dollars US, le Noma Award, la plus prestigieuse des récompenses destinées aux oeuvres littéraires et scientifiques éditées en Afrique, a été décernée en juin dernier en Afrique du Sud, pour sa 25e édition, à la romancière et dramaturge camerounaise Werewere Liking. Petite lecture personnelle de l’oeuvre couronnée, que je vous invite à rajouter à vos lectures d’été, si votre panier n’est pas déjà trop plein. Bonne lecture!

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were_1.jpgNoma Panel_4.jpgDécidément, le Noma Award aime les romancières africaines. Après Mariama Ba, dont le classique Une si longue lettre avait obtenu le prix en 1980, les jurés de ce prix nomalogo_0.jpgdoté par une fondation japonaise viennent de l’accorder pour 2005, après le vide de 2004 (prix non décerné) à la romancière et dramaturge ivoiro-camerounaise W. Liking, dont la réputation d’icône et de créatrice brillante n’est plus à démontrer.

Le roman de Werewere Liking emprunte sa forme à un genre que l’auteure a inventé elle-même : le chant roman. Il y a dans ce mélange de récits et de chants poétiques, l’influence manifeste du théâtre auquel Liking a consacré sa vie et sa carrière. La forme surprend, elle est même parfois agréable pour faire des pauses dans une lecture longue, souvent déroutante. La thématique du roman par contre est très classique : l’auteur évoque dans cette cinquième prose poétique des valeurs essentielles : le culte des ancêtres, la femme comme mémoire du pays et surtout le silence imposé au sujet des héros révolutionnaires des indépendances africaines.

Ce roman-fleuve aux allures autobiographiques s’ouvre sur une référence aux femmes-symboles. La petite héroïne, Fitina Halla Njockè, assimilée métaphoriquement à sa grand-mère, la Grande Halla ou Grand Madja, qui sera son initiatrice et sa source d’inspiration, dévoile son appartenance et son attachement au clan ainsi qu’à la noblesse de sa lignée.

Elle rappelle en outre la primauté de l’éducation parmi les valeurs fondamentales : le respect des tabous, la quête de la dignité de l’homme, valeurs inculquées par trois femmes du même clan : tante Roz, sa mère Naja et Grand Madja, ces femmes talentueuses dont on masque le savoir-faire dans les choses de l’amour comme dans celles de la guerre. De par son père, l’héroïne a hérité un certain sens du beau, de l’esthétique. Quant à son sens de l’éthique, elle le doit aux ancêtres, en l’occurrence grand Pa Helly qui « lui offrit son premier cahier et un crayon gras ». Ainsi, dans le deuxième chant, célèbre-t-elle le grand patriarche : « La beauté de ton corps et celle de l’esprit qui l’habitait et qui se manifestait à travers tout ce que tu disais ou tu faisais. Pour moi, c’est ce qui fondait le respect de tous pour toi. » (p. 27). Ce respect des « Mbobock », les ancêtres, qui influence son style, conduit l’auteur à un savant mélange des genres qui accompagne ses propres références socioculturelles : emploi de néologismes, références généalogiques et toponymiques, recours à la prosopopée et pratique de l’onomastique. Par le biais de cette écriture novatrice, à travers un découpage en chants et temps, l’écrivaine nous invite à une plongée dans l’univers bassa (Cameroun) ont elle s’efforce de faire ressurgir la mémoire, car selon elle, de cette « unicité globale » que constitue le passé de l’Afrique, naîtra le monde futur.

La spiritualité, ce besoin de transcendance, est sauvegardée par la figure de la femme, gardienne des traditions. Ce qui vient expliquer le respect pour ces femmes patriotes qui maîtrisent le temps et l’histoire de l’Afrique, « femmes si différentes mais si semblables » (p. 88). Aussi ont-elles combattu aux côtés des hommes lors des combats révolutionnaires, et ce malgré leur discrimination face à l’instruction. « C’est vrai, nous n’étions pas parmi les premières femmes de l’époque, n’ayant pas eu la chance d’aller à l’école, mais nous voulions être au moins parmi les premières résistances à mener le Combat Politique. » (p. 403).

Ce roman révèle en effet un certain militantisme féministe et est marqué par l’influence de l’idéologie rubeniste (Ruben, militant indépendantiste camerounais assassiné dans les maquis du Cameroun). Ici, l’entrée des femmes en politique est lue comme un apport indéniable pour le développement du continent noir : « Le patriotisme féminin comme socle de la nouvelle nation prônée par le Mpôdôl nous avait séduit plus que l’amour des femmes et le désir de fonder des foyers. » (p. 403). Dans cette quête de l’autodétermination de l’Afrique, la libération passe manifestement par la reconnaissance de la sagesse féminine : «Grâce aux amazones des temps modernes, ces femmes qui ne sont pas sous le joug masculin, ce continent retrouve le chemin de la Rédemption et le salut. » (p. 403).

Dans cet ouvrage d’une densité sociologique et anthropologique remarquable, l’héroïne Halla Njockè révèle, sous la plume de Liking, la générosité féminine et le matriarcat originel. Elle apprend au lecteur que certaines danses et parties de pêche réservées jadis aux femmes sont aujourd’hui exercées par les hommes : « Les hommes apprennent d’abord les choses des femmes avant de devenir hommes. » (p. 37). Ce féminisme subtil, mais d’une portée symbolique majeure, s’inscrit dans la philosophie de l’auteur, à savoir l’utopie et les grandes aspirations à une société androgyne.

weremémo_0.jpgRiche en références historiques, La Mémoire amputée est un véritable travail de mémoire qui rend hommage à une Afrique jadis bafouée et souillée, une Afrique qui, aujourd’hui, se cherche dans une certaine forme de syncrétisme religieux et culturel.

Werewere LIKING : La Mémoire amputée, Abidjan, NEI, 2004, 415 pages.

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