
Plus sérieusement, je peux comprendre la réaction du lecteur ordinaire, devant la morale contenue dans le titre du roman, à chacun son reptile, et la démarche de Zupitzer, lequel a décidé de mener une croisade personnelle contre les « reptiles » pullulant dans son environnement. Oui, il y a une morale dans ce roman, et presque une injonction dont la finesse na pas échappé à lami officier : si chaque habitant en son pays faune pouvait abattre le reptile qui lempêche de vivre, peut-être que etc. Mais je voudrais aller plus loin, et pointer du doigt ce qui me semble le plus important dans ce roman, la question de la volonté, seule capable de transcender ce qui peut paraître une fatalité. Admirateur de Thomas Mann et dAndré Gide, lécrivain togolais a la ferveur sensuelle et le cynisme sans éclats de ses modèles, tel quon peut en trouver des exemples dans La montagne magique et La porte étroite. Dans Un reptile par habitant, il y a des pages admirables sur les motivations contradictoires des personnages principaux du roman, à savoir le narrateur lui-même et Zupitzer. Tandis que le premier sabîme dans la volupté mécanique de la consommation des vagins, le second sinterroge sur le sens dune telle dépense dénergie et la possibilité de reconvertir cette énergie en carburant de laction. Cest vrai, il suffit de voir dans nos sociétés le nombre impressionnant de gens qui dépensent des fortunes à courir après un sexe et sont incapables dinvestir dans autre chose. La rencontre des deux personnages, à un moment clé du récit, porte à son point culminant léquation essentielle du récit : si le crime peut être la voie royale pour secouer linjustice des gouvernants, encore faudrait-il avoir la volonté nécessaire de passer à lacte. Et si laffirmation de la volonté de lun peut paraître aller de soi, les rebuffades de lautre ne sont pas toujours à mettre au compte dun manque de courage, car la vraie volonté se nourrit à dautres sources que celles simplistes de la force ou la faiblesse dâme. Et cest là où la fiction du romancier devient presque vertigineuse.

Théo Ananissoh, Un reptile par habitant, Gallimard, Continents noirs, 2007.