Lire est un plaisir ( 18) : Un reptile par habitant

ananissoh_theo.jpgThéo Ananissoh, écrivain calme et rigoureux dans ses désirs comme un de ses personnages, le nommé Zupitzer, frappe le lecteur droit au cœur, emballe son imaginaire par un récit court et dense qui emprunte l’essentiel de sa trame aux techniques du polar.

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ananissoh_theo.jpgThéo Ananissoh, écrivain calme et rigoureux dans ses désirs comme un de ses personnages, le nommé Zupitzer, frappe le lecteur droit au cœur, emballe son imaginaire par un récit court et dense qui emprunte l’essentiel de sa trame aux techniques du polar. Enfin, du polar, c’est vite dit, puisqu’une grande partie du livre ressemble plutôt à un roman des mœurs, si tant est que cette catégorie littéraire existe vraiment. Comprenez mon trouble, ce livre est inclassable et c’est peut-être ce qui fait son charme ! Quand j’ai fini de le lire, j’ai eu l’idée de l’offrir à un ami officier à Lomé. Sa réaction fut curieuse : « Mais c’est un manuel d’assassinat politique qu’il a écrit ton copain ! » Je me suis empressé de mentir, que Théo n’était pas un pote à moi, que je ne le connais que de nom, et que nous n’avions jamais pris un pot ensemble, ni chez notre ancien prof Apedo-Amah, ni sur un quai de Mülheim.
Plus sérieusement, je peux comprendre la réaction du lecteur ordinaire, devant la morale contenue dans le titre du roman, à chacun son reptile, et la démarche de Zupitzer, lequel a décidé de mener une croisade personnelle contre les « reptiles » pullulant dans son environnement. Oui, il y a une morale dans ce roman, et presque une injonction dont la finesse n’a pas échappé à l’ami officier : si chaque habitant en son pays faune pouvait abattre le reptile qui l’empêche de vivre, peut-être que… etc. Mais je voudrais aller plus loin, et pointer du doigt ce qui me semble le plus important dans ce roman, la question de la volonté, seule capable de transcender ce qui peut paraître une fatalité. Admirateur de Thomas Mann et d’André Gide, l’écrivain togolais a la ferveur sensuelle et le cynisme sans éclats de ses modèles, tel qu’on peut en trouver des exemples dans La montagne magique et La porte étroite. Dans Un reptile par habitant, il y a des pages admirables sur les motivations contradictoires des personnages principaux du roman, à savoir le narrateur lui-même et Zupitzer. Tandis que le premier s’abîme dans la volupté mécanique de la consommation des vagins, le second s’interroge sur le sens d’une telle dépense d’énergie et la possibilité de reconvertir cette énergie en carburant de l’action. C’est vrai, il suffit de voir dans nos sociétés le nombre impressionnant de gens qui dépensent des fortunes à courir après un sexe et sont incapables d’investir dans autre chose. La rencontre des deux personnages, à un moment clé du récit, porte à son point culminant l’équation essentielle du récit : si le crime peut être la voie royale pour secouer l’injustice des gouvernants, encore faudrait-il avoir la volonté nécessaire de passer à l’acte. Et si l’affirmation de la volonté de l’un peut paraître aller de soi, les rebuffades de l’autre ne sont pas toujours à mettre au compte d’un manque de courage, car la vraie volonté se nourrit à d’autres sources que celles simplistes de la force ou la faiblesse d’âme. Et c’est là où la fiction du romancier devient presque vertigineuse.
theo.jpgSi j’avais un reproche à faire à ce roman ? Court, trop court, voire énervant, agaçant, parce qu’il se clôt juste au moment où le lecteur, hypocrite et voyeur, croit avoir l’occasion d’entrer, enfin, dans l’univers sans pitié du justicier solitaire Zupitzer. On crie à l’injustice, en refermant le livre : pourquoi diable Ananissoh nous fait-il tant souffrir, pourquoi nous laisse-t-il deviner (le pourrions-nous d’ailleurs ?) la suite de l’équipée folle de Zupitzer, personnage rigide mais si complexe ? On ose à peine suggérer à l’auteur une suite à ce roman surprenant.
Théo Ananissoh, Un reptile par habitant, Gallimard, Continents noirs, 2007.

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