Lire est un plaisir 1 : Lisahohé, de Théo Ananissoh

Alemetheo_0.JPGLa quatrième de couverture l’annonce comme le « premier roman » de son auteur. Dommage, car depuis Territoires du Nord (L’Harmattan, 1992), cet auteur togolais né en République Centrafricaine et vivant en Allemagne avait déjà annoncé son ton, si particulier : celui de l’écrivain qui jamais n’aborde de front les histoires, préférant laisser le lecteur débrouiller tout seul l’écheveau des pistes, des sentiments et des émotions. On le remarque dans ce deuxième roman où même le choix du décor n’est pas innocent. Loin des agitations des grandes capitales, l’auteur promène son regard et ses personnages dans le cadre faussement assoupi d’une ville de province.

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Alemetheo_0.JPGLa quatrième de couverture l’annonce comme le « premier roman » de son auteur. Dommage, car depuis Territoires du Nord (L’Harmattan, 1992), cet auteur togolais né en République Centrafricaine et vivant en Allemagne avait déjà annoncé son ton, si particulier : celui de l’écrivain qui jamais n’aborde de front les histoires, préférant laisser le lecteur débrouiller tout seul l’écheveau des pistes, des sentiments et des émotions. On le remarque dans ce deuxième roman où même le choix du décor n’est pas innocent. Loin des agitations des grandes capitales, l’auteur promène son regard et ses personnages dans le cadre faussement assoupi d’une ville de province.

Quinze ans après son départ, le narrateur revient à Lisahohé, ancienne villégiature pour colons allemands, dans le nord du Togo. Sans savoir d’ailleurs pourquoi. « Maintenant que j’étais à Lisahohé, je m’apercevais que je n’avais rien prévu de particulier quant au contenu de mon séjour» (p.18). Alors commence l’exploration forcée de la mémoire, lorsque les amis qu’on recherche ont disparu, comme les amours d’autrefois. Un homme va le prendre en charge, un ancien ami de lycée, devenu le personnage le plus puissant des lieux. Cet homme est une pièce maîtresse dans le système dictatorial qui régente tout, jusqu’au destin des populations, jusqu’à leur vie privée. Lisahohé et ses mystères, ses touristes allemandes aux mœurs lesbiennes, sa fosse au lion, autant de sujets qui hantent les pensées solitaires du narrateur. Un temps, le récit semble avoir trouvé son point focal : comprendre si l’ancien prof d’histoire Didier Somok est réellement impliqué, comme le prétend la rumeur, dans l’assassinat de Félix Bagamo, ministre de l’Intérieur pendant les années de braise qu’a connues le pays. Mais tout est évanescent, pire que les traces des fantômes de la colonisation allemande dans ce coin perdu de la savane togolaise.

Pourtant, on sent bien qu’il y de l’embrouille dans cette histoire de retour au pays. Et si au fond, c’était moins le passé de la ville, les histoires des amis que sa propre histoire, sentimentale et familiale que le narrateur était venu éprouver ? Fugitifs mais documentés, des pans entiers du récit sont consacrés à la figure de son père. Un personnage pathétique, amoureux de la même fille que son fils. Leurs « retrouvailles » sont tristes et terribles, comme si, quelque part, la parole rompue, au même titre que la dégradation du pays, relevait du naufrage éternel : « Dans le cimetière… où il reposait, nous passâmes des minutes à chercher l’emplacement. Entre les tombes, il y avait des plantes épineuses et des déjections humaines… » (p. 136).

On ne résume pas le roman d’Ananissoh, on se laisse porter par ses phrases, classiques et ténues : « Elle portait une robe qui s’arrêtait à mi-cuisse. En s’asseyant, elle releva les genoux ; le vêtement se retira un peu. » (p.133) Qu’est-ce qu’on songe au Gide de la Porte étroite en lisant certains passages. Normal, l’écriture se ressent de l’admiration à peine celée que Théo Ananissoh porte à l’auteur des Faux-Monnayeurs, lequel, prétend un aubergiste du coin (vérité ou mensonge commerciale ?) aurait séjourné à Lisahohé vers la fin de 1925 ! Une citation du Journal des Faux-Monnayeurs constitue l’exergue de Lisahohé : « Le renoncement à la vertu par abdication de l’orgueil. » Comme celle de son modèle, on peut dire d’Ananissoh que son « écriture… est comme inaccessible à la corruption, même quand il fait des aveux sur les affres du corps » (p. 62), au grand dam du lecteur, parfois floué par tant de retenue.

Théo ANANISSOH, Lisahohé, Roman, Continents Noirs, Gallimard, 2005, 144 p., 13 €.

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