Plusieurs écrivains africains se joignent à Raharimanana pour répondre au président français.
LIBERATION QUOTIDIEN : vendredi 10 août 2007
Antananarivo, le 3 août 2007
Monsieur le Président,
Vous étiez venu dites-vous à Dakar nous parler nous les Africains , avec franchise et sincérité, vous étiez donc venu avec tout le fond de votre pensée, car cest ainsi je crois quon qualifie la franchise et la sincérité, un échange sans fard et sans arrière-pensée. Nous prenons donc acte de la conception que vous avez de ce continent et de ses habitants. Vous étiez venu dites-vous pour nous assurer que la France sassociera à nous si nous voulons la liberté, la justice et le droit, mais permettez-moi dêtre franc et sincère également.
Au lendemain de votre discours, que faisiez-vous donc avec Omar Bongo, quarante ans de règne dans la dictature, un doyen dites-vous, et quel doyen dans la corruption et laliénation de son pays ! De quelle liberté, de quelle justice, de quel droit parlez-vous ? Je nose même pas vous poser la question concernant votre sourire à cet autre grand dictateur africain : Muammar al-Kadhafi ! Que dire du don nucléaire que vous lui promettiez ? Il serait maintenant fréquentable ? Sincèrement ? Mais soit Nous les Africains manquons un peu de raison et ne comprenons pas ces subtilités qui nous éloignent de la nature et de lordre immuable des saisons.
Vous étiez donc venu vidi vici complétera lautre, regarder en face notre histoire commune. Fort bien ! Votre posture tombe à propos pour une génération dAfricains et de Français avides de comprendre enfin ces drames continuels frappant lAfrique. Il nous reste simplement à tomber daccord pour définir le sens de ce mot histoire. Car quand vous dites que lhomme africain nest pas assez entré dans lhistoire, vous avez tort. Nous étions au cur de lhistoire quand lesclavage a changé la face du monde. Nous étions au cur de lhistoire quand lEurope sest partagé notre continent. Nous étions au cur de lhistoire quand la colonisation a dessiné la configuration actuelle du monde. Le monde moderne doit tout au sort de lAfrique, et quand je dis monde moderne, je nen exclus pas lhomme africain que vous semblez reléguer dans les traditions et je ne sais quel autre mythe et contemplation béate de la nature. Quentendez-vous par histoire ? Ny comptent que ceux qui y sont entrés comme vainqueurs ? Laissez-nous vous raconter un peu cette histoire que vous semblez fort mal connaître. Nos pères, par leurs luttes sont entrés dans lhistoire en résistant à lesclavage, nos pères par leurs révoltes, ont contraint les pays esclavagistes à ratifier labolition de lesclavage, nos pères par leurs insurrections connaissez-vous Sétif 1945, connaissez-vous Madagascar 1947 ? ont poussé les pays colonialistes à abandonner la colonisation. Et nous qui luttions depuis les indépendances contre ces dictateurs soutenus entre autres par la France et ses grandes entreprises le groupe de votre ami si généreux au large de Malte par exemple, ou la compagnie Elf.
Savez-vous au moins combien de jeunes Africains sont tombés dans les manifestations, les grèves et les soulèvements depuis cette quarantaine dannées de dictature et datteinte aux droits de lhomme ?
Fait-on partie de lhistoire quand on tombe dans un coin de rue dAndavamamba, les bottes des militaires foulant votre corps et vous livrant aux chiens ? Croyez-vous vraiment que jamais lhomme (africain) ne sélance vers lavenir, jamais il ne lui vient à lidée de sortir de la répétition pour sinventer un destin ? Jamais dites-vous ? Devons-nous linterpréter comme ignorance, comme cynisme, comme mépris ? Ou alors, comme ces colonisateurs de bonne foi, vous vous exprimez en croyant exposer un bien qui serait finalement un mal pour nous. Seriez-vous aveugle ? Dans ce cas, vous devriez sincèrement reprendre la copie nous concernant. Vous avez tort de mettre sur le même pied dégalité la responsabilité des Africains et les crimes de lesclavage et de la colonisation, car sil y avait des complices de notre côté, ils ne sont que les émanations de ces entreprises totalitaires initiées par lEurope, depuis quand les systèmes totalitaires nont-ils pas leurs collaborateurs locaux ? Car oui, lesclavage et la colonisation sont des systèmes totalitaires, et vous avez tort de tenter de les justifier en évoquant nos responsabilités et ce bon côté de la colonisation. Mais tout comme vous sûrement, nous reconnaissons quil y a eu des «justes». Or vous savez fort bien que les justes nexcusent pas le totalitarisme. Vous avez tort de penser que les dictateurs sont de nos faits. Foccart vous dit peut-être quelque chose ? Et les jeux des grandes puissances dont la France évidemment, qui font et défont les régimes ? Paranoïa de notre part ? Oui, nous devons résister, et nous résistons déjà, mais la France est-elle franchement de notre côté ? Qui a oublié le Rwanda ? Vous appelez à une «renaissance africaine», venez dabord parler à vos véritables interlocuteurs, de ceux qui veulent sincèrement et franchement cette renaissance, nous la jeunesse africaine, savons quils ne se nomment pas Omar Bongo, Muammar al-Kadhafi, Denis Sassou Nguesso, Ravalomanana ou bien dautres chefs dEtat autoproclamés démocrates.
Nous vous invitons au débat, nous vous invitons à léchange. Par cette lettre ouverte, nous vous prenons au mot, cessez donc de côtoyer les fossoyeurs de nos espérances et venez parler avec nous. Quant à lEurafrique, en avez-vous parlé à Angela ?
Sincèrement et franchement à vous.
Raharimanana et les écrivains
Boubacar Boris Diop (Sénégal),
Abderrahman Beggar (Maroc, Canada),
Patrice Nganang (Cameroun, Etats-Unis
Koulsy Lamko (Tchad),
Kangni Alem (université de Lomé),
et léditrice Jutta Hepke (Vents dailleurs).
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