Les artistes et les politiques

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ARTBON-88ad2En septembre 2006, je préparais, avec l’aide d’un ami, un dossier pour l’ex-Premier Ministre du Togo, M. Edem KODJO, lorsque, en pleine concentration, l’ami m’a posé une question qui m’a fait me tasser sur ma chaise: « Au fond, on fait tout ça, c’est bien. Mais que gagne un Etat en investissant dans la culture ? Si j’étais le PM, voilà la seule question que je t’aurais posée. Tu m’aurais répondu quoi? » Je mentirais si je disais que ma réponse a coulé de source. Au contraire, il m’a fallu bafouiller, puiser dans mes réserves intellectuelles pour tenter de répondre froidement à la question. Dans le mémorandum pour une refondation du Théâtre National au Togo que nous avions alors concocté, figurent les tentatives de réponse à cette question piège mais tellement sensée. On reproche souvent aux politiques d’être incapables de penser la chose culturelle, mais est-ce pour autant que les artistes eux-mêmes sachent argumenter et justifier l’importance du financement d’Etat ? Que la culture ne soit pas une priorité dans la plupart des pays africains est une lapalissade, mais son existence et son dynamisme, malgré la rareté des subsides d’Etat, ne devrait-il pas nous conduire à réfléchir à comment faire, localement, du culturel avec les faibles moyens publics ? Vaste question ! J’y réfléchissais encore récemment, lorsque je suis tombé, au hasard de mes lectures, sur cette réflexion du plasticien béninois Ludovic Fadaïro : « On ne devrait pas, dit l’artiste, confier la gestion de la culture aux hommes politiques. Il faudrait constituer une commission de gestion culturelle nationale, une entité autonome, une Haute autorité, une entreprise voire une ONG, si je puis dire qui, grâce à des membres capables de réflexion, s’occupent réellement de la gestion de la culture et en rendent compte à l’Etat. Mais la politisation de la culture, c’est une erreur grave. Les politiciens ne connaissent rien à ce domaine, ils ne l’envisagent que sous l’angle du budget qu’ils ont à défendre. Nous, (…) les artistes, faisons qu’on entend la voix du pays (…) L’Etat devrait voter un budget pour encourager ces choses-là, envoyer des artistes (hors du pays (c’est moi qui rajoute), des culturels, nos danseurs traditionnels et les défrayer correctement. »
Cette réaction de Fadaïro, je l’ai lue dans le beau livre intitulé Ludovic Fadaïro, par Idelphonse Affogbolo, éditions Maisonneuve et Larose, collection Esprit Libre, Paris, 2006. La pensée de l’artiste béninois est un peu brouillone, car il ne précise pas, par exemple, les cadres du « défraiement » des artistes, condition sine qua non pour éviter la récupération et le « griotisme ». Néanmoins je suis d’accord avec lui sur un point au moins : il est impossible aujourd’hui, en Afrique, de gérer le secteur de la culture, sans mettre en concert les voix des artistes eux-mêmes. Le Burkina l’a fait, quand il s’est agi de mettre sur pied une Mutuelle des Artistes pour venir en aide aux artistes et hommes de culture en cas de coup dur, médicalement bien sûr. C’est la seule façon, je crois, de tordre le cou aux clichés sur le fatalisme, la pauvreté ou le désespoir. Les artistes ne forment pas une corporation virtuelle, ils existent, ils créent, souffrent et meurent parmi nous, il faut donc les interroger constamment pour un recadrage de l’action culturelle d’Etat. Pour cela, il faut une franche volonté politique, pour déclencher une vraie gestion concertée. Malheureusement, qui sait comment s’y prendre pour la susciter, cette volonté politique, sans quoi rien de solide ne se fera culturellement ?

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