La loi de Forsoh [V]
Douala, premier Août
Marguerite, ma chérie
Dans quelques heures je serai à Paris. Un tour à la poste pour expédier mes deux dernières lettres, et je me mets en route pour laéroport. Que dire de mon approche ? Je pense que dans ces choses-là, il nest pas possible de faire de bilan. Jen viens maintenant à penser que lapproche de ma terra incognita naura pas de fin, quelle demeurera toujours un effleurement, tandis que pour dautres, comme toi peut-être, tout sera fixé et définitif. Jy retournerai le plus souvent possible, et ces prochaines fois tu seras à mes côtés. Tu sais quoi ? en rentrant dans ma chambre hier, javais le sentiment, alors que je traversais le couloir de létage vide, que tu mattendais. Je suis encore confus, trop de vécu en si peu de temps. Et ces rencontres… Ces gens, que je quitte… Cest peut-être mieux ainsi ! Cependant je ne peux mempêcher de penser à ces familles à laéroport, à ce taximan et sa banquette arrière en fausse fourrure de léopard, à Jah Veluyen qui veut être le premier à contenir les flots du soleil, à Frédéric Gadmer, au Musée privé du fils Photo Georges, aux artistes du Nouveau Madrigal, et à tant et tant dautres visages, de corps exubérants, sans oublier ce cher Forsoh, devenu, par la force des choses, mon fil conducteur au cours de mon approche. Oui ! jai ressenti ces tressaillements, mais je ne pourrais pas tassurer que jy ai reconnu lamour. Par contre, jai vu une volonté farouche de continuer à marcher, même lorsquon sait quon va se jeter dans un gouffre. Quel drôle damour de la vie ! que peut-être, ma pellicule a fixé à jamais. Maintenant, je suis apaisé. Apaisé, mais confus. Est-ce cela, ma chérie, lhumeur du bonheur, que Frédéric Gadmer cherche en vain ? Est-ce cela, ma chérie, la joie du vivre, que Jah Veluyen portait par-devers lui ? Je ne suis pas assez courageux pour admettre que je suis heureux. Donc, je tairai mes sentiments sur ce dernier point. Bientôt, je serai assis dans la salle dembarquement et, avec la certitude quil la édictée expressément pour moi, je penserai fort à la loi de Forsoh : ne vit pas ta vie comme si tu vivais celle dun autre.
Ton char des dieux
© Timba Bema, 2007