L’ouverture officielle prochainement d’une faculté des arts à l’université de Lomé m’offre l’occasion de cette réflexion rapide sur l’impact possible des arts de façon générale sur l’évolution d’une ville. L’approche pragmatique qui détermine la décision d’enseigner les arts au niveau supérieur a certainement sa source dans cette volonté d’accompagner les artistes à mieux se former dans leurs disciplines respectives, afin de répondre aux exigences contemporaines des métiers artistiques. Et quand je dis exigences, je parle des standards internationaux auxquels les artistes doivent souscrire dans l’exécution de leurs tâches; par exemple décorer un hôtel n’est pas un geste simple: les tableaux doivent répondre à des normes précises en terme de taille, de forme et de qualité des matières composant les œuvres. L’art ne nourrit pas toujours bien, c’est une lapalissade qui fait sourire dans un monde où le chômage est devenu une règle générale, toutes disciplines confondues. Mais derrière la praxis, il a aussi la reconnaissance que les métiers artistiques sont des niches d’emploi. Cette thèse est devenue la marotte de la sociologie des arts, laquelle enseigne depuis une vingtaine d’année que les arts produisent des emplois. On vous dira, par exemple, que l’impact économique d’ensemble des arts dans une ville moyenne américaine est évalué à plus de 300 millions de dollars par an. Comme si l’argument économique était la seule réalité tangible pour laquelle il faudrait s’investir dans l’enseignement artistique. Personnellement, j’ai toujours trouvé faible et un brin paternaliste la défense de l’utilité de la culture et des arts par le biais de l’argument de leur impact économique. Pour la raison suivante. La matérialité trop criante de nos vies urbaines nous fait parfois oublier que l’homme n’est pas que cela, de la matière, mais aussi et peut-être avant tout un esprit. Et dans l’évolution des villes, la part grandissante de la présence des arts au sein de notre quotidien nous échappe: du design des voitures que nous conduisons, en passant par la technique de la gravure des billets de banque que nous utilisons, jusqu’à la décoration de l’intérieur de nos maisons ou des lieux de loisirs, tout rappelle l’utilité invisible des arts dans l’expression du bien-être.
En fait, de manière insidieuse, un endroit artistiquement pensé vous transforme à votre insu, un peu comme l’habit stylé vous rend singulier son porteur! Si personne ne sait le type de molécule médicamenteuse que vous prenez chaque matin, tout le monde sait et voit au moins que l’habit que vous portez sort des ateliers de Timothée, d’Ayanick ou de Nadiaka, ou des ateliers des élèves de ces trois stylistes de mode, du moins…
Au final, autant les villes qui ont de grands clubs de football attirent l’élite internationale du ballon rond autant une ville riche de ses arts attirera l’élite artistique internationale, et par conséquent… ce qui se joue dans la présence des arts au sein de la ville, c’est d’abord une transformation réelle, mesurable, quantifiable de la mentalité des citoyens de la ville. Les artistes rendent d’abord nos villes intelligentes, car ils sont capables d’influencer plusieurs instances réelles de nos vies, par exemple la participation citoyenne, l’habitat, la mobilité dans l’espace, l’utilisation des énergies (pensez aux décorations lumineuses artisanales), et même les technologies urbaines. Et le vrai argument qui milite en faveur des arts, c’est leur coût relativement peu élevé, par rapport à ce qu’ils rapportent au final. Les groupes de théâtre ne coûtent pas chers, les espaces consacrés à la danse ou aux musiques (traditionnelle, jazz, électronique, reggae…) que j’ai eu la chance de visiter parfois à Berlin ou à Johannesburg ne coûtent pas le prix d’installation d’une raffinerie de sucre ou de pétrole, mais créent à mes yeux des endroits susceptibles d’attirer les amoureux du savoir que nous sommes tous potentiellement. Tiens, si vous avez un peu de temps, la prochaine fois, dans le quartier de Bè-Kpota à Lomé, en un lieu que je ne vous indiquerai pas mais que je vous exhorte à tout faire pour découvrir, vous écouterez avec un gain massif et léger à la fois, un groupe de musique dont on vient d’enregistrer quelque part du côté de la Hollande un single vinyle (Way out of sadness). Je vous parle de l’orchestre Togo All Stars, dont la musique pourrait vous rendre moins triste et moins aigri.
Bonne réflexion . Ça se mange ? On l’ entend de moins en moins s’ agissant de l’ art. Il est attaché à tout. On croyait le connaitre en ne parlant que de tableaux et de quelle maniere ! Les pensées évoluent.
un grand merci pour cette très interressante réflexion, que je transmet à mon groupe de calligraphie pour echange éventuel sur le sujet.
qu’est-ce donc que l’art, si ce n’est l’expression de la vision collective d’un groupe d’individus répondant à une tendance globalisante pour égayer l’environnement dans lequel ils vivent ? Cela traduit obséquieusement le désir de partager cet espace pendant un instant relativement court, dans le but de se redonner l’envie de s’y retrouver.
Les artistes ne sont pas forcément celles ou ceux qui portent l’art, mais plutôt et surtout, ce sont les « consommateurs » de cet art-là qui lui attribue son impact indispensable dans l’harmonie des cœurs.