Il y a ceux qui y croient et ceux qui ny croient pas. Chacun défendant ses convictions bec et ongles. Et puis il y a ceux que la question énerve au plus haut point : oui ou non, lécrivain guinéen Camara Laye (1928-1980) est-il lauteur du roman Le regard du roi, ou ne serait-il que le prête-nom (même pas le nègre), dun obscur écrivain occidental ? Nom dune pipe, allez vous faire foutre ! Dès quun écrivain noir veut percer, pourquoi les Blancs laccusent-ils dêtre plagiaire ! Et pourquoi pas homosexuel, tant quon y est !?
On peut ainsi résumer les silences et les réactions les plus extrêmes devant lenquête entreprise par luniversitaire américaine Adele King, pour tenter de comprendre ce qui, dans cette vieille accusation contre Camara Laye, relève du fantasme ou du soupçon véritablement fondé, surtout quand parmi les interlocuteurs de lenquêteuse, il y en a qui donnent limpression de savoir mais refusent de parler, entretenant un mystère dont on ne sait plus sil faut en rire ou en pleurer.
Au départ, Adele King elle-même faisait partie du clan des défenseurs de Camara Laye. Navait-elle pas consacré un précédent livre à lauteur, The Writings of Camara Laye (Heinemann), où elle analysait, indistinctement, les romans de lécrivain, sans tenir compte du contentieux autour dun de ses titres, en loccurrence Le regard du roi ? Laffaire « Regard du Roi » commence en 1981, lorsque l’universitaire belge Lilian Kesteloot révéla que Camara Laye lui avait confié que ce roman « avait été écrit par un Blanc ». L’information, très vite, va enfler, et devenir une rumeur persistante, surtout que le contenu du roman dérange: l’image de l’Afrique que peint son auteur était trop mythique pour être crédible, en contradiction totale avec celle dessinée dans un autre classique de l’écrivain, L’enfant noir. En effet, tout est étrange dans ce roman, du travail sur la langue, à l’écriture, les références littéraires (Voyage au Congo de Gide, L’Afrique fantôme de Michel Leiris) et ethnographiques, sans compter ces images subliminales évoquant une certaine connaissance du milieu homosexuel, d’où certaines accusations, fantaisistes, que l’auteur guinéeen balayait, de son vivant, d’un sourire désarmant. Décidément, Soyinka a raison, qui, le premier, avait attiré l’attention de King sur le caractère espiègle, et l’humour malicieux de Camara Laye!
L’enquête de King va consister à infirmer l’affirmation de Kesteloot, mais très vite, l’enquêteuse va déchanter. Les « preuves » d’une possible réalité de la « révélation » de Laye sont trop nombreuses, et puis beaucoup de ses interlocuteurs préféreront se murer dans le silence, accentuant davantage le malaise, renforçant les soupçons! Pourtant, en remontant la piste, quatre noms apparaissent, susceptibles fortement d’être au coeur de la manipulation. Je ne les cite pas tous, à l’exception d’un certain Francis Soulié, sur lequel pèse les plus lourds soupçons. Pédé, (pardon: homo), proche des Editions Plon et des journaux d’extrême droite belges, Soulié est, au demeurant, un écrivain talentueux qui n’a malheureusement jamais réussi à percer. Est-ce lui qui a écrit Le Regard du Roi, avec quelques idées de Laye et publié le roman sous le nom du guinéen?
On se dit, avec le recul, qu’une simple génétique du texte aurait peut-être aidé à démêler le vrai du faux. Malheureusement, comment faire ce genre de travail quand l’éditeur affirme avoir perdu le manuscrit original? Bizarre, vous avez dit… Un homme, paraît-il, posséderait le fameux manuscrit, un ancien universitaire camerounais ayant enseigné en Suisse, le père de l’écrivain Simon Njami. Quant aux archives de Soulié, elles seraient stockées quelque part, dans un grenier à Paris, et constitueraient donc des sources non encore exploitées. Vous voulez mon avis sur cette histoire abracadabrantesque? Lisez ou relisez, absolument, pour se faire votre propre idée, l’excellent travail d’enquête d’Adele King et le roman incriminé lui-même.
Adele King, Rereading Camara Laye, University of Nebraska Press, U.S.A., 2002
Camara Laye, Le regard du roi, dans la version Presses Pocket, Paris, 1975.
© Kangni Alem