N’est-ce pas un peu l’histoire du gars qui perd sa clé sur un trottoir et la cherche sur le trottoir d’en-face, parce que celui-ci est plus éclairé? Il y a de cela quatre ou cinq ans, je ne sais plus exactement, j’ai assisté, dans une salle associative à Bordeaux, à la présentation par M. Paul Quilès du fameux rapport parlementaire français sur le génocide de 1994 au Rwanda. Soirée Houleuse, bruyante. Il y eut même un hurluberlu à brandir, sous le nez du conférencier, Murambi, le roman du Sénégalais Boubacar Boris Diop comme une preuve irréfutable de la vilennie de la France. Allusion à la fameuse scène du roman où l’on assiste à la construction par les militaires français d’un terrain de basket-ball (?) sur l’emplacement d’un charnier remblayé à la va-vite. Bon passons! Au cours de cette soirée donc, M. Quilès en a vu de toutes les couleurs mais n’a point tremblé, quand fut venue l’heure de la conclusion : non, non et non… au contraire, etc… Nier, nier, nier, ainsi est la France éternelle, de l’Algérie au Tonkin, nier même les plus plates évidences. Paul Quilès, donc, droit dans ses bottes: «notre pays peut et doit être fier de l’action qu’il a conduite».
Tout cela dans un but: se donner les raisons de ne pas présenter d’excuses, de ne pas s’aplatir, comme dirait M. de Villiers ou Melle Marine Le Pen, devant des nations qui n’ont pas la même grandeur que le pays de de Gaulle et de Mitterrand. Etonnant quand même cette France, elle est, de tous les pays accusés par le Rwanda, le seul à navoir pas présenté des excuses ni demandé pardon aux Rwandais. En même temps, je comprends, la France est chrétienne, et il n’y a pas de quoi se flageller alors qu’on n’a commis aucun péché capital!
Il y a eu donc le rapport Quilès, pour apaiser la conscience des citoyens français. Le Rwanda, à son tour, vient de créer une commission chargée détablir le rôle de la France dans le génocide. Mission clairement assignée à la commission:« …rassembler les preuves de limplication de la France… ». Le président de cette commission est le procureur général rwandais Jean de Dieu Mucyo. Les autres membres sont Jean Paul Kimonyo, chercheur et analyste. José Kagabo, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris, ainsi que Jean Damascène Bizimana, docteur en droit. Y siègent également, le général Jérôme Ngendahimana, Géraldine Bakashyaka et Alice Rugira. Le régime rwandais, on le sait, accuse la France davoir armé et soutenu les auteurs du génocide avant les massacres. Il accuse aussi larmée française dêtre impliquée dans la fuite des génocidaires dans le cadre de lopération Turquoise qui était chargée par lONU de former une zone tampon humanitaire dans le sud-ouest du Rwanda. Bon, je connais Kagabo, les autres membres de la commission, pas vraiment. Et c’est un peu à l’historien que ma question s’adresse: quand les preuves auront été accumulées – je ne doute pas qu’on les trouve, de la même manière que Quilès et ses amis n’ont rien trouvé -, une fois donc qu’on aura rassemblé les preuves que l’horrible France a armé et aidé à tuer des Rwandais, quelle sera la suite du programme? Exiger que la France s’agenouille? Il y a lieu ci de saluer l’action des nombreuses associations françaises qui ont dénoncé clairement les ambiguïtés des autorités françaises, mais je demande : où sont les associations rwandaises chargées d’analyser les responsabiltés locales dans ce génocide? Bon, le sujet est délicat, je sais, mais tout de même je voudrais qu’on ne se méprenne pas, il n’est pas dans mon intention d’avancer des âneries du genre: Kagamé est aussi responsable du génocide, comme l’a fait de façon péremptoire le journaliste français Pierre Péan dans son livre Noires fureurs, blancs menteurs, a seule fin de disculper la mémoire du président François Mitterand, et pire, tenter de relativiser le génocide en lui-même. Quand on a un cadavre dans le placard… Oui, à quoi va servir l’enquête commandée par l‘Etat vexé du Rwanda pour confirmer l’implication de l‘Etat effronté de la France, dans le malheur qui frappa ses citoyens?
12 ans après l’horreur, comment guérir les plaies des rescapés, et des réfugiés? Continuer d’identifier les bourreaux et autres commanditaires débonnaires qui donnent des interviews à travers le monde me semble la priorité. Et aussi tenter de construire une Nation à jamais soudée, je l’espère, par le choc inoubliable de la déshumanisation de ses propres composants humains.
Un rappel à ne jamais oublier : daprès les Nations Unies, le génocide rwandais a fait environ 800 000 morts parmi les minorités tutsie et les hutus modérés.