LAfrique va mal
« Celui qui ne sait pas doù il vient, ignore où il va puisquil ne sait même pas où il est. » Ki-Zerbo
« Cher ami,
Cest avec peine que je técris ce mot, la main tremblante, les nerfs à vif: au cur dune profonde misère. Jentends te dresser en quelques lignes le petit inventaire de mon séjour dans le continent. Après en avoir pris connaissance, je tinvite à ne pas trop pleurer mais bien au contraire à réfléchir, réfléchir sur ce que tu peux faire ou apporter en tant quhomme désormais conscient de la situation, pour venir au secours de tous ces hommes et femmes, tous ces pauvres enfants et innocents qui crient à laide.
A Paris, je rêvais dune Afrique paradisiaque, une terre paisible, merveilleuse; cétait suite à une consommation exagérée dimages rapportées par nos agences touristiques. Or rien de cela nest vrai. Et je maperçois de la duperie orchestrée par ces magazines pressés de vendre du papier et se faire des sous. Cest bien dommage que ce soit le contraire de quils disent qui me soit découvert sur les lieux. Au fond cher ami, lAfrique nest que souffrances et douleurs, tribulations et enfer. Ce rêve, caressé depuis mon jeune âge dune Afrique terre de justice et de paix, de bonheur et de joie, sest hélas brisé les ailes au contact de la réalité ! Je nen reviens pas quoù je croyais pouvoir rencontrer des hommes justes et heureux, jen vois des plus misérables et démunis, lâme rusée et taillée par la douleur et lespièglerie. Depuis laéroport, on vous prévient de toujours avoir un il pointé sur vos bagages : on y est jamais à labri de vol. Des groupes de voleurs parfois déguisés en douaniers ou bagagistes, font le bonheur du marché noir de la capitale. Alors attention, vous qui venez dy arriver pour la première fois, me prévient une vieille femme, déjà victime de leurs lubies. Après laéroport, le Centre-ville, les quartiers des hommes du pouvoir, où jétais censé être reçu. Derrière les vallées, perdues dans les herbes et les décharges industrielles, plusieurs cités ou disons bidons villes. On y découvre, ahuris, toutes sortes déclopées, doisifs et désoeuvrés, les déchets de la République sont-ils qualifiés par les tenants de la bourgeoisie politique et membres du gouvernement, question de marquer léloignement avec le pouvoir central, organisé ici comme une cabbale. Et jai essayé de me renseigner sur leur situation et il ma été rapporté quun tel regroupement témoigne en fait dune non appartenance à lethnie au pouvoir : des chemisettes dhommes à la chair rongée par la famine et la chaleur, la peau sur les os, marchant sur deux jambes aussi frêles, aussi squelettiques quon dirait deux tiges dallumettes. Et ce en face du regard malveillant de leurs propres dirigeants bien en chair !- Potelés et ventripotents, diserts et comiques, les politiques dici font la pluie et le beau temps ; ils sont devenus célèbres grâce à de longs et époustouflants discours sur la pauvreté qui mine la survie des populations, à laquelle sajoute labsence de moyens de lutte efficaces. Comme si ils étaient impuissants den venir à bout, nous les assistions à chaque meeting se larmoyer sur les estrades et crier aux malversations et à lindifférence des grandes puissances économiques, tandis que leurs comptes en banque ne cessaient dêtre renfloués, alimentés par les deniers publics et autres impôts exigés aux pauvres habitants : de centaines de milliards détournés et désormais tenus en épargne dans des banques suisses, finançant léconomie capitalistique ! Les critiques ont dû appeler cela par gestion trans-parente : devinez la pertinence. Une gestion en réalité trans-familiale, plutôt que transparente comme on le sait tous. Pourquoi se plaindre alors que rien ne marche depuis, quand on choisit lapocalypse politique ? »
Extrait de Noire Misère, recueil de nouvelles inédit, quatrième de couverture, par D. Monofila. et A.S.D.