ILS L’ONT DIT: »LA LITTERATURE AFRICAINE N’EXISTE PAS »

efoui_1.jpgC’était, je crois en 2003, à Bamako, un journal local a publié cette phrase attribuée à mon ami Kossi Efoui. Depuis, il ne se passe aucune rencontre littéraire sans qu’on nous balançe indifféremment à la tête, à tous les auteurs de sa génération, la question de savoir à quelle littérature nous appartenons, étant donné que nous aurions déclaré, tous tant que nous sommes, que la littérature africaine n’existe pas!

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efoui_1.jpgC’était, je crois en 2003, à Bamako, un journal local a publié cette phrase attribuée à mon ami Kossi Efoui. Depuis, il ne se passe aucune rencontre littéraire sans qu’on nous balançe indifféremment à la tête, à tous les auteurs de sa génération, la question de savoir à quelle littérature nous appartenons, étant donné que nous aurions déclaré, tous tant que nous sommes, que la littérature africaine n’existe pas! Récemment encore, lors d’une causerie à l’université de Lomé, une étudiante m’a vivement interpellé: vous dites que la littérature africaine, etc, alors pourquoi vous plaignez-vous qu’on ne vous lise pas?
Si ce n’est pas toi, c’est donc ton frère! Que répondre? Que Kossi est un ami de longue date et que je ne souscris pas aveuglément à son affirmation? Kossi l’a dit, nous n’avons pas protesté, donc nous pensons comme lui. Vu sous l’angle du syllogisme, la remarque de l’étudiante togolaise est logique. Seulement voilà, entre logique et justesse, il y a un pas à franchir, celui du détail. Semble-t-il, les propos attribués à Kossi auraient été déformés par les journalistes sans que l’intéressé ait jugé utile d’exercer son droit de démenti. Il est vrai que la « violence herméneutique » de la boutade fait mouche, et pousse à la polémique plus que si son auteur avait déclaré « je ne connais pas la littérature africaine ».

Il n’en demeure pas moins que, même si l’on ne souscrit pas entièrement à cette affirmation, il faut lui reconnaître son potentiel de mise en exergue des situations paradoxales au seins des lettres africaines, comme l’absence de lectorat ou la difficulté de se référer clairement à un espace de réception. Boubacar Boris Diop, interrogé par le journaliste mauritanien Bios Diallo, dans Jeune Afrique L’Intelligent, reconnaît qu’il est arrivé même à Kossi « d´affirmer que l´Afrique n´existe pas. C´est une idée très forte, stimulante, déjà omniprésente chez Ngugi Wa Thiongo. Cette fois, elle explore d´autres pistes. En termes clairs : notre littérature en langues étrangères ne parle en fin de compte à personne. Constat rigide. » Et Boris Diop de préciser l’un des sens possibles à attribuer à cette posture: « Sans nul doute le refus de porter le fardeau de l´homme noir. Ce désir d´universalité est respectable. Personne n´a envie de se laisser enfermer dans son passé. Ce refus de diktats est aussi nécessaire à une certaine hygiène mentale. Seulement, il y a un gros malentendu dans cette affaire : on peut être un citoyen du monde actif et créatif sans renier son africanité. Birago Diop dit quelque part : « L’arbre ne s’élève vers le ciel qu’en plongeant ses racines dans la terre nourricière« .

obiang_1.jpgIl en est de la boutade de Kossi Efoui comme du concept de « migritude » inventé par le Professeur Jacques Chevrier. On a vite fait d’y inclure tous les auteurs africains vivant en France (uniquement, je crois) et tenter de trouver une caractéristique commune à leur intention d’écriture, comme le fait mon ami Ludovic Obiang, auteur et universitaire gabonais, dans une communication qu’il m’a fait lire récemment. Sous le titre « Garde-frontière ou passe-muraille? L’écrivain africain subsaharien face aux impasses de la société postcoloniale », Ludovic Obiang assène ces conclusions terribles sur ce qui serait l’état d’âme de l’écrivain de la migritude: « Foncièrement blasé, haineux de lui-même et hostile à tout dogme, il tournera son humanité en dérision dans une auto-flagellation sadique. En cela, il aura peut-être atteint aux limites rêvées par toute pensée nihiliste:la mort de l’homme. Sans racines, sans valeurs, sans savoirs, vide au point de provoquer un étiolement complet de son enveloppe corporelle et un effacement de sa conscience ». Et Obiang de citer Kossi Efoui pour illustrer sa conclusion : « Je n’ai plus envie ni d’aller ni de venir. le monde se retire. Et je manque dorénavant ».

Il y a dans la charge, une certaine vérité, même si je ne sais pas ce qui est vraiment mis en cause chez les auteurs incriminés, l’exil qui serait dysfonctionnel ou les idiosyncrasies, à l’oeuvre dans toute création littéraire.

Lorsque j’ai répondu à Ludovic Obiang qu’en aucun cas, et pour ce qui me concerne, je ne me sens pas membre d’une quelconque « migritude », il m’a simplement fait observer qu’il faut le dire, étant donné qu’on nous range souvent d’autorité dans des catégories réductrices sans que les principaux concernés ne puissent ou ne veuillent réagir. Qu’il a raison. De temps en temps, parler, afin que nos silences ne soient interprétés comme des consentements. Écrivain togolais, d’abord et cosmopolite ensuite, j’espère avoir clarifié les choses un minimum, même si je sais qu’il est vain de vouloir échapper aux critiques de son époque et aux liens de l’amitié intellectuelle.

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