Je n’ai pas été formé complètement dans la tradition du conte. Mon grand-père paternel, lorsque j’avais entre 8 et 10 ans, venait souvent nous rendre visite à Lomé, et tentait bien de nous enseigner quelques contes et gestuelles liées à l’art des devinettes. Il n’allait pas loin dans son enseignement, très vite accaparé par la télévision (nouveauté dans les années 74), qu’il ne possédait pas chez lui à Aklakou. J’ai gardé de ces séances avec mes sœurs et cousins, quelques souvenirs émus, tout au plus. J’ai redécouvert le conte et l’ai étudié en profondeur durant mes années comme étudiant à la fac de lettres: de l’analyse structurale du conte par Vladimir Propp, aux études de littérature orale africaine, j’ai vite compris ce qui se jouait dans le conte. Du moins, je croyais avoir compris. Mon rapport au conte est devenu polémique avec les années. Dans la littérature togolaise, les auteurs de conte nous ont habitué à la compilation des textes. Le conte était devenu, aux yeux de ceux qui s’y intéressaient, un genre culturel, à finalité morale, à sauver de… la perdition? De la disparition? Je parle ici du texte de conte, et pas de l’art de raconter. Heureusement, car le sentiment de lire et relire les mêmes histoires (avec quelques variantes selon la zone de collecte) disparaît lorsqu’on écoute de grands conteurs comme les togolais Sanvee Allouwasio, Gnim Atakpama, Allassa Sidibé ou le congolais de Paris Gabriel Kinsa. Les conteurs réinventent le conte, l’adaptent aux mouvements et chaos du monde qui les entoure, à la complexité même de la finalité morale. Les compilateurs de conte, souvent, n’ont même pas l’ouverture d’esprit et le style convenable qui sied à tout bon conteur, ils sont tout au plus des archivistes qui travaillent sans ambition littéraire un genre à l’origine oral, suprême contradiction!
Annie Ferret (française) et Kokouvi Dzifa Galley (togolais) sont des auteurs de conte à part entière, possédant un imaginaire digne de celui des conteurs eux-mêmes. Graines de chagrin et L’oracle a parlé, leurs livres respectifs, participent de ce réenchantement salutaire du genre. Graines de chagrin surtout, où Annie Ferret invente complètement ses contes, les éloignant de toute source reconnaissable, n’en gardant que les codes du genre. Annie écrit le conte, invente ses propres histoires pour ne pas se laisser conter l’Afrique. Sa passion du continent lui suffit, lui concède l’autorité nécessaire à ce pari, dont elle sort gagnant. Si les contes d’Annie sont inédits, ceux de Galley ne le sont pas; néanmoins, à la fidélité à la source orale, l’auteur substitue un travail rythmique propre à lui, complété par le travail de l’illustratrice Winnie Soké. On lit Annie Ferret et Dzifa Galley, et on a envie de se laisser raconter des histoires. Je ne résiste pas au plaisir de terminer ma chronique par une citation du livre d’Annie Ferret; un court extrait de la fin du conte intitulé « Dieu, la salière et l’agouti » qui vous plaira, je l’espère.
« A force de triturer la boulette de sel et d’épices, le poivre qu’elle contenait monta jusqu’au nez de Dieu, le chatouilla et produisit un éternuement effroyable qui s’exprima dans un AG… AGOUTTTIII! La boulette lui échappa alors des mains et tomba tout entière sur l’animal qu’il tenait toujours par la queue dans sa main droite. La pauvre bête en fut entièrement embaumée! C’était un vrai désastre, parce qu’il n’y avait plus moyen de rien y faire: la boulette d’épices que Dieu avait appelé cube maggi était enfermée à l’intérieur du malheureux animal! Mais le cri terrible poussé par Dieu venait de baptiser enfin sa nouvelle création qui, depuis ce jour-là, se nomme agouti. D’accord, c’est un nom ridicule, mais il faut bien reconnaître que depuis Dieu y a laissé tomber un cube maggi, tous les gourmets d’Afrique en raffolent…! » Dans cette logique, notre Kacou Ananze ouest-africain aurait pu donner une figure encore plus mutante que Spiderman, n’est-ce pas? Il faut espérer le renouvellement des figures du conte au cinéma et en littérature. Bon appétit!
intéressant extrait. du cube magique dans l’agouti
Le conte, surtout dans le contexte africain, relève de la logique traditionnelle. Au delà de sa fonction récréative, il véhicule -avec les proverbes qui l’animent souvent- une sorte de « morale traditionnelle » et cherche à péréniser la vision du monde telle perçue par les aïeux d’une communaité donnée.
A la question: faut-il répéter le conte ou le réinventer? Je pense, à mon humble avis, que la réponse à cette intérrogation est relative.
Ceux qui perçoivent le conte comme étant fondamentalement et exclusivement du domaine de la tradition ne vont que cautionner la répétition avec peut-être quelques modifications.
Par contre, avec le conte en tant que genre culturel, la réinvention est la bienvenue. L’usage du conte n’est plus donc une pratiques sclérosée. Même s’il fallait valoriser un conte déjà existant il faut travailler, retravailler et transformer ce dernier pour avoir un NOUVEAU.
Le monde evolue et nous avons besoin des histoires toutes nouvelles pour s’instruire et amuser nos âmes…!!!