En littérature comparée, il y a des thèmes qui sont historiquement marqués, cela ne veut pas dire qu’ils sont dépassés. Le dictature est un bon exemple de ce type de thèmes. Les auteurs qui l’ont connu y reviennent toujours, comme pour mieux en comprendre les aberrations. Tenez par exemple La fête au bouc de Mario Varga Llosa, un roman dont les pages nous projettent dans le labyrinthe de la dictature de Rafael Leonidas Trujillo, au moment charnière de l’attentat qui lui coûta la vie en 1961. Dans des pages inoubliables, le roman met en scène le destin d’un peuple soumis à la terreur et l’héroïsme de quatre jeunes conjurés qui tentent l’impossible : le tyrannicide.
Publié au Canada chez Boréal, Explication de la nuit, quatrième roman de l’écrivain togolais Edem Awumey raconte à sa manière très stylisée (trop?) la tentative de sédition d’une génération d’étudiants ayant vécu la dictature dans « un pays où le soleil brûle ». Un jour, un écrivain congolais invité à prononcer une conférence sur leur campus, montre la voie de la liberté retrouvée à Ito, Beno, Wali et Sika: « ne nous taisons pas, parlons, on ne nous fera rien » avait lâché le fieffé congolais. Et voilà nos amis partis dans une aventure où les mots vont prendre des sens nouveaux: monter un spectacle révolutionnaire à partir de Fin de partie, une pièce de Beckett. Toute cette histoire est racontée par Ito Baraka, survivant du quatuor, depuis son minable exil en terre canadienne. Après Beckett, il y eut la période de distribution de tracts, laquelle a fini en embastillement groupé, et en procès chahutés. Prison, soif, expérience de l’enfermement… tout y passe. Il y a un mouvement de l’écriture qui fait qu’au final, le souvenir de la révolution ratée rejoint vite d’autres: « Des révolutions affublées de surnoms inoubliables: la rouge, l’orange, les œillets, l’arabe, la française, la castriste, la tranquille, la rose, les casseroles, ces récipients transformés par des étudiants mécontents… au Québec… » Ito Baraka s’enferme dans son rêve de révolution ratée, sa captivité il l’a emportée avec lui en exil, et ce ne sont pas les seins de Kimi Blue, sa compagne québécoise qui l’empêcheront d’écrire un récit sombre avec ses fragments de souvenirs.
Ceux qui lisent Edem Awumey depuis son premier roman Port Melo (éditions Gallimard) apprécieront son écriture remarquable, qui rappelle encore un peu celle de Kossi Efoui, avec des figures croisées comme Le Marcheur, la notion d’événement, etc… C’est un roman de littéraire, ouvert aux grands textes que l’auteur adore citer sans retenue. Mais je ne peux m’empêcher de remarquer l’enfermement total de son héros dans un passé humblement glorieux. Le Canada où vit le narrateur n’est pas assez décrit, comme s’il n’y vivait pas réellement. Comment vivre après l’échec des révolutions? Comment se reconstruire, se projeter dans une autre histoire? Un roman de morts-vivants, je trouve, mais je peux me tromper. Bonne semaine à vous, lecteurs!