
Il avait ressenti, d’abord, comme des picotements à l’intérieur de la paume des mains. Cela faisait presque dix minutes qu’il avait bu la cachaça spéciale de son hôte, il en avait trouvé le goût plutôt fruité et le parfum très frais. Les bouteilles du même breuvage que, d’habitude, Gankpé ramenait au palais et faisait circuler entre les notables et les conseillers lui avaient toujours paru périmées.
Ensuite, il sétait dirigé avec Chacha et les autres invités vers la terrasse surplombant la place Brésil, la place des enchères devant le domicile de son hôte. Cest au moment d’enjamber le seuil de la porte y menant que les picotements devinrent plus accentués, gagnant pratiquement toutes les parties de son corps.
Discrètement, le roi porta aux lèvres la bague anti-poison qu’il portait toujours à l’annulaire droit. Pour l’avoir expérimenté plus d’une fois lors des tentatives d’empoisonnement dirigées contre sa personne, il connaissait la puissance d’extraction de venin de la pierre noire dissimulée dans le métal du bijou. Il eut la sensation que ses lèvres, qui le grattaient furieusement, avaient gonflé. Il enleva son couvre-nez en or ouvragé et le tendit à son épouse Sophia, laquelle avait remarqué le malaise de son époux et sétait rapprochée de lui.
« Quelque chose ne va pas, majesté ? demanda Chacha qui sétait retourné.
Aaarrrgh
, râla douloureusement le souverain, dévoré de partout par de violents fourmillements.
Une crise durticaire, peut-être, avança Gankpé, le roi en a déjà eu par le passé. »
À présent, il se grattait de partout, comme si le centre des douleurs sétait élargi à tout son corps, sous leffet dun sortilège ou dun poison plus puissant que sa bague anti-venin resté sans effet. Dun geste rageur, il sétait débarrassé de son épais pagne kenté, un tissage luxueux inventé au seizième siècle pour lapparat des rois du Ghana et adopté par la suite par les autres royaumes. Arqué et tournant sur lui-même comme la biche menacée par un troupeau déléphants, il se raclait tour à tour et en même temps le torse, les cuisses, les fesses à travers létoffe de sa culotte de velours. La scène, épouvantable, saisit deffroi les invités au banquet. Snoep courait de Chacha à Sophia.
« Il faut faire quelque chose, il faut faire quelque chose », craillait-il en plusieurs langues.
Buchanan Murphy avait le front plissé dune incompréhension définitive, cependant que Chacha et Gankpé regardaient la scène de haut, à la fois distants et concernés autant que pouvaient lêtre des complices très au fait des raisons qui causaient des troubles à la victime étalée par terre sous leurs yeux. Car la biche sétait enfin effondrée, la tête dans le giron de Sophia, laquelle avait accompagné le roi dans sa chute avec délicatesse.
La biche gisait à demi conscient, sur son corps avaient fait irruption des taches rouges, encadrant certains renflements de la peau qui formaient comme des vésicules. Les amazones surgirent à cet instant sur la terrasse, cette fois-ci armées de javelots, et poussant devant elles le maître des rituels, lequel sagenouilla près du roi et délivra son diagnostic : malédiction !
« Quelle malédiction, tonna Chacha, soudain sorti de son hébétude ? Emmenez-le roi au fort, mon médecin lauscultera ! »
Les miliciennes (
) soulevèrent le roi parasol de terre et, toujours accompagnées du maître des rituels, lemportèrent vers le fort dont Francisco Félix de Souza était le directeur depuis bientôt trente ans.
Kangni ALEM, Esclaves, JC Lattès, Prix: 18