ESCLAVES: EN LIBRAIRIE LE 6 MAI 2009

9782709633246-vJ’avais rêvé que ce roman sorte avant le 10 mai, date de la commémoration de la mémoire de la traite et de l’esclavage en France. Mon éditeur JC Lattès me fait ce cadeau. Le 6 mai, en France et en Europe, le roman sera dans toutes les librairies. L’occasion pour moi de vous en offrir, enfin, un court extrait. Bonne lecture, et surtout lisez tout le livre, aimez ou détestez mais sentez-vous libre de réagir. (K.A)

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9782709633246-vTemps anciens IV : le roi, dans sa tête, la nuit/I

Il avait ressenti, d’abord, comme des picotements à l’intérieur de la paume des mains. Cela faisait presque dix minutes qu’il avait bu la cachaça spéciale de son hôte, il en avait trouvé le goût plutôt fruité et le parfum très frais. Les bouteilles du même breuvage que, d’habitude, Gankpé ramenait au palais et faisait circuler entre les notables et les conseillers lui avaient toujours paru périmées.
Ensuite, il s’était dirigé avec Chacha et les autres invités vers la terrasse surplombant la place Brésil, la place des enchères devant le domicile de son hôte. C’est au moment d’enjamber le seuil de la porte y menant que les picotements devinrent plus accentués, gagnant pratiquement toutes les parties de son corps.
Discrètement, le roi porta aux lèvres la bague anti-poison qu’il portait toujours à l’annulaire droit. Pour l’avoir expérimenté plus d’une fois lors des tentatives d’empoisonnement dirigées contre sa personne, il connaissait la puissance d’extraction de venin de la pierre noire dissimulée dans le métal du bijou. Il eut la sensation que ses lèvres, qui le grattaient furieusement, avaient gonflé. Il enleva son couvre-nez en or ouvragé et le tendit à son épouse Sophia, laquelle avait remarqué le malaise de son époux et s’était rapprochée de lui.
« Quelque chose ne va pas, majesté ? demanda Chacha qui s’était retourné.
– Aaarrrgh…, râla douloureusement le souverain, dévoré de partout par de violents fourmillements.
– Une crise d’urticaire, peut-être, avança Gankpé, le roi en a déjà eu par le passé. »
À présent, il se grattait de partout, comme si le centre des douleurs s’était élargi à tout son corps, sous l’effet d’un sortilège ou d’un poison plus puissant que sa bague anti-venin resté sans effet. D’un geste rageur, il s’était débarrassé de son épais pagne kenté, un tissage luxueux inventé au seizième siècle pour l’apparat des rois du Ghana et adopté par la suite par les autres royaumes. Arqué et tournant sur lui-même comme la biche menacée par un troupeau d’éléphants, il se raclait tour à tour et en même temps le torse, les cuisses, les fesses à travers l’étoffe de sa culotte de velours. La scène, épouvantable, saisit d’effroi les invités au banquet. Snoep courait de Chacha à Sophia.
« Il faut faire quelque chose, il faut faire quelque chose », craillait-il en plusieurs langues.
Buchanan Murphy avait le front plissé d’une incompréhension définitive, cependant que Chacha et Gankpé regardaient la scène de haut, à la fois distants et concernés autant que pouvaient l’être des complices très au fait des raisons qui causaient des troubles à la victime étalée par terre sous leurs yeux. Car la biche s’était enfin effondrée, la tête dans le giron de Sophia, laquelle avait accompagné le roi dans sa chute avec délicatesse.
La biche gisait à demi conscient, sur son corps avaient fait irruption des taches rouges, encadrant certains renflements de la peau qui formaient comme des vésicules. Les amazones surgirent à cet instant sur la terrasse, cette fois-ci armées de javelots, et poussant devant elles le maître des rituels, lequel s’agenouilla près du roi et délivra son diagnostic : malédiction !
« Quelle malédiction, tonna Chacha, soudain sorti de son hébétude ? Emmenez-le roi au fort, mon médecin l’auscultera ! »
Les miliciennes (…) soulevèrent le roi parasol de terre et, toujours accompagnées du maître des rituels, l’emportèrent vers le fort dont Francisco Félix de Souza était le directeur depuis bientôt trente ans.

Kangni ALEM, Esclaves, JC Lattès, Prix: 18 €

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