
Le tableau que dresse lhistorien de ce peuple des montagnes est en grande partie connu. Il se déroule sur trois périodes : avant la colonisation, sous la colonisation et après la colonisation. Pourquoi le fait colonial, dépassant même le fait esclavagiste est, aux yeux de lhistorien, le facteur clef de lhistoire des Kabyès ? Parce quil a permis lunification dun peuple disparate, continuellement divisé entre ses sous-groupes. Cela aussi, on le sait, mais ladmet-on ? Lhistorien insiste beaucoup sur les conséquences de lisolement territorial et politique de ce peuple à la veille de la colonisation allemande, car cela permet de comprendre le pas franchi par la suite. Car tout va se jouer dans le dernier quart du 19e siècle, avec la mainmise des armées coloniales sur le réduit kabyè et lidéologie chrétienne qui va bousculer les coutumes établies. Lautorité coloniale installe la chefferie, dans le but de récolter limpôt de capitation. Les Kabyès de Piya et Yadè se rebiffent, ils devront sy faire pourtant, et supporter comme tous les sujets allemands les travaux forcés, nécessaires à la construction de cette entité politico-administrative vague que constitue désormais pour eux le Togo !
Je passe sur les détails, le passage de la férule allemande à la française. On retrouve facilement ces schèmes dans lhistoire de tous les peuples du Togo. Et je minterroge. Lhistorien raconte bien les différentes émigrations kabyès, forcées et volontaires soit vers les plaines environnantes (création de Lama-kara), soit vers les autres régions du Togo, dans le cadre des réalisations économiques de la colonie ; il raconte les mutations, les brassages avec les peuples daccueil, ce quil appelle « intégration » ». Mais à aucun moment, on ne sort de lhistoire coloniale pour percer à jour la naissance dune acceptation des souffrances comme passage obligé vers la naissance dun véritable esprit national. Quant le lecteur arrive à la fin du livre, il est surpris par les conclusions qui naissent, imperceptiblement, dans son esprit, eu égard aux réalités togolaises du moment : un pays aux superstructures dominées essentiellement par lethnie kabyè. Est-ce la raison de la mise en garde finale de lauteur ? « Naguère considéré comme arriéré et traité de subalterne, le peuple kabiyè ne doit pas aujourdhui tirer avantage de sa relative émancipation pour chercher à prendre sa revanche. » Courier Noël Kacou est un historien sage ! Jai lu son livre comme un écrivain, cest-à-dire habité par lesprit dune problématique qui me permette de comprendre pourquoi lhistoire des peuples du Togo comme dAfrique me paraît être répétitive, je ne sais si des monographies nous diront un jour à quel moment le sentiment national est né chez nos peuples asservis, et ce que nous avons fait réellement de lhéritage du colon. Cela dit, ce livre (une thèse remaniée) ne laisse pas indifférent, et devrait plaire à toux ceux qui sintéressent à lhistoire racontée sans passion.