A loccasion du dernier Festival de Théâtre du Bénin (FITHEB), une de mes pièces a donné lieu à une polémique à laquelle jétais loin de mattendre. En effet, suite à la présentation dATTERRISSAGE (Editions Ndzé), plusieurs débats avaient été organisés autour du spectacle dans des lycées et collèges du Bénin. Cest limpact inattendu de ces rencontres sur la presse, tel que lillustre un article paru dans La Gazette du Fitheb, que je veux commenter ici.
Selon lauteur de ce papier que je me garderai de juger, il semble que jaurais écrit Atterrissage pour démolir dans la tête des jeunes africains qui vivent au quotidien la misère de leur condition sociale, culturelle et professionnelle, leur rêve dimmigrer en Occident. Je veux bien croire que mon humour, qui exploite souvent les clichés et les gags cyniques, est parfois incompréhensible, mais en même temps, comment comprendre une telle accusation, sinon quelle reflète une vérité intéressante : à celui qui na pas vu, nessayez pas de décrire les cercles de lenfer !? La double actualité récente des clandestins africains abandonnés dans le désert marocain et celle des cadavres abandonnés sur un bateau en train d’errer, au large des Îles Canaries, ma rappelé le triste souvenir de deux de mes amis qui, en 1991, au plus fort de la crise politique au Togo, avaient décidé de traverser le Sahara pour immigrer en Espagne. Je tais, par respect, lampleur des souffrances endurées, pour un résultat dérisoire quils sont à même dévaluer sereinement avec le recul des ans. Tous les deux approchaient la trentaine, avaient une famille quils entretenaient difficilement, et lhonneur et le sens des responsabilités les obligeaient à essayer de sen sortir par tous les moyens. Au cur donc du débat sur limmigration clandestine, se trouve la question des moyens mis en uvre. En écrivant Atterrissage, je réagissais à un fait divers brutal et tentais de comprendre les mécanismes qui poussent à choisir un moyen plutôt que tel autre. Je sais quon ne peut dissuader un désespéré de tenter daméliorer son sort, puisque linstinct de survie fait partie de la nature de lhomme. Alors, si vraiment certains jeunes collégiens du Bénin ont cru que jai écrit cette pièce pour leur dire STOP, quils se rassurent : au moins une fois dans ma vie, jai connu aussi ce quon appelle le désespoir ; mais question tout de même, au plus fort du désespoir, est-il interdit de rester lucide également ?
Voici lintégralité de larticle signé Rock Akpoli, paru dans La Gazette du Fitheb, n°001 du 14 Février 2006.
ATTERRISSAGE: Satire de l’immigration africaine.
« Le Théâtre Musical Possible de Belgique a donné la représentation de «Atterrissage» au Centre culturel français de Cotonou dans le cadre de la 8è édition du Fitheb samedi dernier. Ce premier spectacle est une pièce de Kangni Alem, mise en scène de Mpunga Denis. Après l’indépendance de l’Afrique, cette dernière est demeurée toujours dépendante de ceux-là, ces gens qui se disent «les maîtres du monde». C’est ainsi que l’Afrique est restée sous le règne de la guerre, la pauvreté, la famine et quoi d’autre. A la quête du confort, du mieux-être et de . la paix, la jeunesse africaine pense qu’il faut toujours aller se faire exploiter au pays des maîtres du monde. De cela est née une réalité tragique : l’exil (africain) que l’auteur togolais vient dénoncer à travers cette représentation du Théâtre musical possible de Belgique.
A l’espace Marcellin Adadja du théâtre de Verdure du CCF, les comédiens du Théâtre Musical Possible ont relevé le défi d’adaptabilité en interprétant avec rigueur la pièce de Kangni Alem sur une scène plutôt sobre. Un minimum d’éclairage, des accessoires : une échelle, un tabouret, un gramophone, un mégaphone. Côté costume, le minimalisme y est également. Ils étaient quatre comédiens bien rodés dans le jeu. Partagés entre l’hilarité, la surprise et la tristesse, les enfants, les femmes et les hommes présents à ce rendez-vous ont communié avec un spectacle qui interpelle. «Atterrissage» est l’histoire de deux jeunes africains d’origine guinéenne. Fodé et Yaguine se sont battus corps et âme pour se donner les moyens de partir en Europe. Naïvement, les deux amis se font escroquer par un pasteur qui, en fin de compte, réussit à les faire introduire dans une pièce marchande, le train d’atterrissage de l’avion où les deux aventuriers succomberont plus tard de froid et de chaleur. Sur le cadavre de Fodé, on découvrira une lettre. L’histoire ne nous dit pas s’il l’a écrite avant ou dans la pièce marchande mais on sait qu’elle est adressée aux responsables d’Europe et que Fodé y explique les raisons de leur aventure et demande Insistance et l’aide de l’Europe. Dans sa mise en scène, Mpunga Denis a mis l’accent sur la légèreté du contrôle des candidats à lémigration pour faciliter l’aspect de stigmatisation et de critique. Les comédiens plus outillés ont porté ce projet de mise en scène avec un rythme assez précis. Ainsi plus lisible le spectacle laisse percevoir son propre projet : une stigmatisation du problème de l’immigration clandestine, de l’exil, de la fuite des cerveaux africains. Le propos de l’auteur ici laisse toutefois perplexe. On a le sentiment d’un sujet dans l’air du temps traité sans nuances avec des préjugés, des idées reçues ou quoi qu’il fasse l’immigrant est forcément voué à la mort et dut-il devenir riche, il est définitivement privé de bonheur par le simple sort d’avoir opté pour l’exil. Cette vision des choses correspond hélas aux préoccupations d’une campagne dont les visées restent peu claires. Quoiqu’il en soit, ce discours aura servi aux comédiens du Théâtre Musical Possible de captiver l’attention du public. »