Chronique: Pas besoin de toujours comprendre

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bave2Les langues sont un mystère. Pour le professeur de littérature comparée que je suis, circuler d’une langue à l’autre a toujours été une source d’interrogation. Car comprendre le sens des mots dans une langue, lorsqu’on est bilingue c’est parfois les traduire dans une autre. « Les Noirs naissent mensongers », écrivait l’ivoirien Ahmadou Kourouma dans son roman Monnè, outrage et défi. Vous remarquerez que l’adjectif français « mensonger » est utilisé de façon fautive, puisqu’il remplace ici le mot « menteurs ». Quelle force, tout de même, des gens qui naissent faux, trompeurs naitraient mensongers. L’adjectif traduit l’essence et non la simple situation. Vous traduirez la même phrase comment en éwé, tem ou en espagnol, en collant de près au sens induit ? Les langues charrient des mots. Et parfois, on peut se retrouver devant eux comme devant un parchemin sans rien y comprendre. L’autre dirait, on y perd son latin. Sauf que le latin n’est pas toujours en cause. Dans son désir de toujours s’exprimer, l’homme en est venu à vouloir une littérature pour les yeux. On y perd sa langue, mais on reste étonné devant le sentiment que même les mots qu’on ne comprend pas sont peut-être des débris d’une des langues dont l’humanité a hérité après l’épisode biblique de la Tour de Babel. Par exemple, ce poème destiné à l’œil par un certain Isidore Isou, et intitulé Larmes de jeune fille, sauriez-vous trouver la langue du poème et traduire celui-ci dans la vôtre ?

M dngoun, m diahl Θhna îou
Hsn îoun înhlianhl M pna iou
Vgaîn set i ouf ! saî iaf
Fln plt I clouf ! mglaî vaf
ʌo là îhî cnn vîi
snoubidi î pnn mîi
A gohà îhîhî gnn gî…

Je m’arrête à la première strophe pour vous donner un conseil : gagnez du temps en cherchant qui est Isidore Isou. Ce poème de son invention est uniquement basé sur l’utilisation des lettres, et montre les limites du langage grâce à ce paradoxe fatal : tout langage privé même partagé peut rester désespérément privé. Allez, ne cherchez pas à comprendre, bonne semaine à vous lecteurs !

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