Chronique du mardi 7 Avril: L’éternel voyage de Monsieur Kpomassie

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Electre_978-2-08-134372-6_9782081343726Le magazine Jeune Afrique vient d’annoncer la réédition du récit best-seller L’Africain du Groenland, signé Tété-Michel Kpomassie, un natif d’Atoeta.

J’étais au collège quand ce livre a paru en 1981. Son auteur avait fait une tournée, et était venu présenter son livre au Centre Culturel Français de Lomé. J’avais pour voisin de quartier, d’autres Kpomassie (Nonovi, BeauGars…), et ces derniers étaient fiers comme des dindons de la célébrité ramenée par le grand cousin. Quant à moi, jeune élève qui rêvait de devenir écrivain, j’étais troublé par ce grand Monsieur, par son aventure, et toute la publicité autour de son livre. Kpomassie est, paraît-il, le second Noir après l’Américain Matt Henson à fouler le sol du Groenland, et cela mérite qu’on soulignât l’exploit. En dehors d’un autre livre qui n’a pas eu la même audience, En mission avec Hôpital sans frontières (Flammarion, 1993), Kpomassie n’a plus rien écrit depuis. Mais sa légende est éternelle, celle du Noir qui a raconté la vie d’autres colonisés, en l’occurrence les Inuits ! J’ai toujours aimé ce livre, sa réédition résout la question de son prix devenu exorbitant, pour cause d’épuisement du stock. Si je vous invite à découvrir ou redécouvrir Kpomassie à l’occasion de cette réédition, c’est que son œuvre vaut le détour. Il y a du rêve, de l’audace dans ce texte ; un brin de mélancolie aussi, quand on découvre ce que, au final, la colonisation a fait de tous les peuples vaincus : des zombies, des ombres sans épaisseur qui peinent, de génération en génération, à comprendre l’ampleur de la catastrophe intellectuelle qui les a frappés. Et si la grande leçon que nous enseigne Kpomassie était là ? Que l’Occident est pervers dans sa quête d’expansion. Je n’ai jamais rencontré Kpomassie, mais je ne désespère pas de le rencontrer un jour et lui redemander ce que le Groenland lui a apporté, à titre personnel et non pas anthropologique ou ethnologique. C’est inouï quand même, une telle traversée du monde depuis le quartier de Bè (Lomé), jusqu’à cet ersatz de territoire malmené par la Couronne danoise ! Oui, à part manger le phoque cru, et se laisser palper par les femmes Inuits, qu’est-ce que cette fugue monumentale lui a procuré comme satisfaction dans la vie… Il a fui le Serpent Dangbé, il a quitté à jamais sa communauté, mais s’est-il enfin trouvé enfin ? Même sans invoquer le mysticisme, phénomène que Kpomassie déteste, il y a d’autres perles qui justifieraient valablement qu’on (re)lise L’Africain du Groenland.

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Il y a des livres dont les propos sont éternels. Kpomassie a écrit le récit de voyage que l’on relit sans ennui. Un dernier détail sur lequel je persiste et je signe : on peut se passer de la préface de Jean Malaurie. Un accès direct à ce récit eût été préférable, pour éviter la lecture exotique occidentale que Malaurie impose au lecteur. Allez, foin de polémique, lisez, vivez ! Bonne semaine à vous, lecteurs !

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