Carnet de route: »wo ist Togoland »? Première étape, Misahöhe

cimetiere_ouidah7.JPGMisahohe_ernst2.JPGTraverser le Togo, à la recherche des traces de la conquête allemande du pays. Des traces plus « littéraires » qu’historiques, car notre méthode de travail (l’anti-méthode), est aux antipodes de celle d’un historien : ce qui nous importait, à mon ami Bernard Müller (anthropologue)et moi-même, ce n’était pas la vérité constituée, documentée, mais la fiction autour de la vérité, les transformations de l’histoire de la confrontation réelle des peuples d’ici avec le colonisateur, plus d’un siècle après l’événement. Il va de soi que nous connaissions les faits, à travers les livres et articles de spécialistes qui nous accompagnèrent tout le long du voyage, mais les peuples n’ont-ils pas aussi le droit de réinterpréter l’Histoire, seule façon de construire des mythes fondateurs !? Étant donné la longueur de ce carnet, j’ai décidé de le publier en plusieurs fois pour en faciliter la lecture. Veuillez m’en excuser !

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« L’oubli et la mémoire sont également inventifs »

J. L. Borges, Le rapport de Brodie.

cimetiere_ouidah7.JPGMisahohe_ernst2.JPGTraverser le Togo, à la recherche des traces de la conquête allemande du pays. Des traces plus « littéraires » qu’historiques, car notre méthode de travail (l’anti-méthode), est aux antipodes de celle d’un historien : ce qui nous importait, à mon ami Bernard Müller(anthropologue) et moi-même, ce n’était pas la vérité constituée, documentée, mais la fiction autour de la vérité, les transformations de l’histoire de la confrontation réelle des peuples d’ici avec le colonisateur, plus d’un siècle après l’événement. Il va de soi que nous connaissions les faits, à travers les livres et articles de spécialistes qui nous accompagnèrent tout le long du voyage, mais les peuples n’ont-ils pas aussi le droit de réinterpréter l’Histoire, seule façon de construire des mythes fondateurs !?

7 Mai 2006 : Misahöhe

La première halte sur la route qui mène vers Mango, lieu du dernier poste administratif allemand au Togoland, nous conduit au cimetière allemand de Misahöhe. Misahöhe est un village dans la montagne, tout près de Kpalimé où, au tout début de leur installation, les Allemands implantèrent leur premier poste administratif en 1890, avant celui de Kété-Krachi (dans le Ghana actuel), qui date, lui, de décembre 1894. Plus on monte vers Misahöhe, plus on comprend ce qui a pu attirer dans ces parages les premiers administrateurs du Togoland : la nature voluptueuse du site et son retranchement stratégique, à l’écart des routes qui mènent vers la Gold Coast, la colonie britannique. En entrant sur le site, quelques constructions en béton armé, style bunker, apparaissent dans les herbes, qui attestent que le lieu avait été construit pour résister à tout assaut. Misahöhe reste célèbre pour son cimetière allemand. Le panneau qui l’indique le signale à 300 m de la route qui passe devant la résidence du Préfet. Chemin très escarpé, mais nous ne pouvons empêcher de nous marrer, chaque fois qu’on tombait sur un autre panneau signalétique, la distance annoncée restait toujours la même :300 m ! De quoi se poser des questions sur le fabricant des panneaux ! Avant d’atteindre le cimetière, on tombe sur plusieurs bâtiments en ruine dont certains portent des traces d’incendie. Au total 5 bâtiments en ruine, qui servaient de palais de justice, de prison et de logements de fonction pour les administrateurs allemands. La robustesse de ces tas de pierraille étonne le visiteur, et justifie l’admiration des habitants du coin pour ces « Allemands qui savaient bâtir, eux ». Comparés au Français, bien évidemment. Décidément ! Comment les contredire, puisque les bâtiments, même dégradés, ont résisté à l’incendie allumé par les jeunes du village, en 1991, lors des émeutes contre la dictature du Général Eyadema !? Trois jeunes enfants nous accompagnent vers le bosquet où se trouvent les tombes en contrebas.

Cimetière allemand_misahohe6.JPGEt plus nous avançions, plus m’agaçent ces panneaux qui indiquent le même kilométrage (300m), quelle notion extraordinaire de la distance ! Trois hommes casqués, à moto, remontent vers nous dans la descente, on apprend qu’ils font du rallye dans la montagne. J’envie leurs engins, qui m’auraient évité le souffle court et les douleurs dans les jambes, moi pauvre citadin lancé dans la conquête d’une montagne.

Enfin, nous y arrivâmes, au fameux cimetière allemand qui est presque la référence pour tous les férus d’histoire coloniale au Togo. Au milieu d’un bosquet en fleurs, un joli petit cimetière avec des tombes massives, 7 tombes d’adulte et deux d’enfants. Certaines tombes ont perdu leur plaque, mais je ne doute pas que nous retrouvions les noms des défunts dans quelque archive si nous décidions de les chercher. Tout est calme alentour, dans cette demeure où reposent les âmes de ces soldats, botanistes, ingénieurs pour la plupart, lancés dans une aventure, une conquête coloniale qu’ils en sont venus à prendre comme un sacerdoce. Morts pour la science, loin de leur patrie, clament certaines inscriptions. Ce qui étonne, c’est l’âge à laquelle ils mouraient, autour de la trentaine, victimes de la rigueur du climat et des maladies tropicales sans doute, dont beaucoup n’étaient pas traitées à l’époque par la médecine occidentale. Pendant que je réfléchissais devant les tombes, un bruit sourd attire mon attention. Sautant d’un manguier où il était en train de cueillir des mangues, un jeune homme atterrit à nos pieds et se propose d’aller chercher le gardien des lieux. L’impression que je ressens dans ce bosquet, devant ces sépultures de colons et de leurs familles ? Pas grand-chose, au fond, sinon cette impression bizarre de mélange des genres : dans la conquête d’un territoire, à quel moment interviennent les considérations scientifiques, et à quoi servent-elles ? Certainement à mieux savoir pour mieux dominer. La colonisation est une entreprise dont nous n’avons pas fini d’interroger les ressorts. Dans le petit livre de l’écrivain Romain Gary qui nous accompagnait, je découvrirai plus tard ces phrases auxquelles j’adhère en partie : « Des aventuriers, des excentriques, des missionnaires, des déserteurs, des marchands, des saints et parfois des meurtriers; des émigrants vivant aux crochets de leur famille; des explorateurs, des puînés, qui ne pou­vaient hériter du titre et de la fortune de leurs aristocrates de pères; des romantiques qui voulaient vivre plus près de la nature et croyaient à la noblesse naturelle de l’homme primitif; des joueurs, dont la famille payait les dettes à condition qu’ils déguerpissent à jamais; de jeunes alcooliques, censés être guéris par la vie active dans le bush; de vieux alcooliques, toujours en quête d’un nouvel endroit pour se soûler; des amateurs d’évasion, qui avaient «toujours voulu s’éloigner de tout ça», et ceux qui se trouvaient là sans savoir tout à fait comment ni pourquoi. Tous allèrent en Afrique et tous avaient un autre point commun: ils n’étaient vraiment pas des bâtisseurs d’empire et, pourtant, ils ont bâti des empires ». Romain Gary, « Les coloniaux » [1959], in L’Affaire Homme, Gallimard/Coll.Folio, 2005[1977].

misahoheruine_2.JPGLa vie continue. Nous n’avons pas attendu le gardien, mais plutôt rebroussé chemin, difficilement, mon cœur battant à se rompre dans la montée de la montagne, et mes pieds écrasant les mangues pourries éparpillées dans la végétation. Au retour du cimetière, nous faisons une rencontre intéressante, un jeune pasteur venu en évangélisation dans le coin, qui nous demande en quoi nous pouvons être utiles pour la restauration du site. Il nous emmène à l’étage faire la visite de la plus grande pièce réaménagée, et se lance dans des comparaisons entre l’œuvre de Jésus et celle des colons. Cela sent le prosélytisme à la ronde, mais la force et la conviction contenues dans les propos du pasteur ont de quoi toucher. Construire, prévoir et bâtir, dans le sang, la sueur, disait le Pasteur en se référant à Jésus, son maître ( autre porteur de glaive spirituel), celui qui sait faire cela ne peut que marquer les imaginaires, et le colon allemand a marqué les imaginaires au Togo, d’autant plus facilement que tous ceux qui lui ont succédé n’ont été, dixit le Pasteur, que de piètres bâtisseurs!

Et vers la fin, revient sa question : sommes-nous venus dans l’intention de les aider à transformer le site de Misahöhe en lieu touristique ? J’ai préféré botter en touche la question, même si je crois que sa demande est sensée. Un tel lieu pourrait servir de musée de l’histoire coloniale du Togo, mais j’ignore si un tel projet existe dans les cartons des Ministres de la Culture, du Tourisme voire de l’Éducation nationale du Togo. Dans dix ans, maximum, vu leur état de délabrement avancé, la plupart des ruines de Misahöhe auront disparu ou auront été transformés en habitations modernes si rien n’est fait pour les requalifier.

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