La Rue des commerçants, à Bruxelles, fait l’angle du restaurant « Stanley », spécialisé dit le panneau à l’entrée, en cuisine coloniale. Ah, le pays de Léopold et son irréfragable syndrome colonial, faudra-t-il un jour rattacher, annexer la Belgique au Congo pour que cessent ces postures snob que lautre qualifierait de postcoloniales ? En arrivant à la hauteur de la rue, jai dédaigné le «Stanley», continué mon chemin à la recherche des oranges. Mon corps réclamait des oranges pour combattre le manque dénergie qui me guette chaque hiver en Europe. Dun côté comme de lautre des trottoirs, des prostituées occasionnelles(?), la plupart entre 30 et 40 ans. Il est presque 14h. Peu de clients, alors elles accostent les voitures et les piétons avec le sourire. À la hauteur dun porche, je surprends un bout de conversation, une femme disant aux autres, « de toutes façons, tant que naurai pas dautres solutions, je viendrai ici. Je suis prêt à me sacrifier pour eux
»
« Eux »! Qui sont « eux »? La phrase me trouble, parce que je lai déjà entendue plusieurs fois de la bouche de femmes de mon entourage, certaines très proches parentes, et dautres encore plus proches. Lidée que la dignité de ces femmes, leur honneur puisse les pousser à refuser le fatalisme et à se prostituer va me faire réfléchir jusquau soir. Nous avons encore des leçons à apprendre des femmes ! La preuve, le soir même, à la lecture de mes textes au Centre Culturel Jacques Franck, dans le cadre de la manifestation « Green Light », une dame dans la salle minterpellera vivement pendant le débat. « Jaime beaucoup vos textes, jen ai lu la plupart, mais ce soir je découvre quelque chose qui me révolte, et que je navais pas vu en lisant vos textes, donc est-ce à cause de la manière dont les comédiens ont lu? Je découvre que la femme chez vous cest poitrine plastique, sperme, profondeurs, sécrétions bref, excusez-moi Monsieur Kangni Alem, je voudrais que vous nous éleviez, jaimerais vous lire autrement, vous découvrir en train de tomber amoureux, bref parler de la femme autrement. »
Pendant quelques secondes je me suis tu, puis je me suis lancé moins dans une défense de mes propres obsessions et fantasmes que de ma liberté de regard ; dautant plus que jétais convaincu quelle navait ni tort ni raison. Jai dautres amies lectrices qui mont déjà donné des avis plus nuancés sur mes portraits de femmes. Alors, savez-vous ce que jai dit pour conclure la séance dinterrogatoire ? « Madame, je vous ai compris ». Ma mauvaise foi est légendaire, je le sais, et j’assume!
Jai eu envie de lui raconter comment sest terminé ma promenade dans la Rue des commerçants ce matin-là, mais je nai pas eu le courage. De quoi allait-elle encore me traiter ? Javais acheté mes oranges, et en revenant, sur le trottoir, une des femmes ma demandé si je voulais « passer un bon moment avec elle ». Désolé, ai-je répondu. Ou bien, quaurais-je dû répondre ?