Carnet de route : une biennale littéraire en Indonésie !

cartepostale_jakarta.jpgMercredi 22 août. Avant de quitter Bordeaux ce matin, je repense à la blague de mon frère et ami, le comédien Pascal N’zonzi la veille au téléphone : il aurait appris, rigolait-il, qu’il y a encore eu un tremblement de terre à Jakarta. Deux jours plus tôt, il me parlait de bombes, à cette allure, si je l’écoutais, il ne me resterait plus qu’à défaire mes bagages…

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cartepostale_jakarta.jpgPour Linda et Iwana,
De la Fondation.

Mercredi 22 août. Avant de quitter Bordeaux ce matin, je repense à la blague de mon frère et ami, le comédien Pascal N’zonzi la veille au téléphone : il aurait appris, rigolait-il, qu’il y a encore eu un tremblement de terre à Jakarta. Deux jours plus tôt, il me parlait de bombes, à cette allure, si je l’écoutais, il ne me resterait plus qu’à défaire mes bagages et aller faire plusieurs joggings au Parc de l’Ermitage à Lormont, pour contrôler mon surplus pondéral. Je pars donc, et me dit : le Prince Frisco, dont la fondation finance mon voyage à Jakarta et Magelang y serait-il allé, lui, malgré le tableau peu reluisant qu’on lui aurait fait du pays Indonésie ? Je n’en doute pas. Allez, quand il faut y aller, il faut y aller, à la guerre comme à la guerre ! Un poème admirable de Carlos Drummond de Andrade vient hanter ma mémoire, le titre, « Mort en avion ». Le poète se moque, qui présente la mort, toute mort, comme un paradoxe, un fait divers maintes fois renouvelé :
Je m’éveille pour la mort.
Je me rase, m’habille, me chausse.
C’est mon dernier jour : un jour
Entamé d’aucun pressentiment.
Tout fonctionne comme toujours.
Je sors dans la rue. Je vais mourir.
Je ne mourrai pas maintenant. Un jour
Entier se profile devant moi. (La Machine du monde et autres poèmes, Gallimard).
Mes enfants dorment encore à cette heure-ci de la journée, j’irai les réveiller de force pour un dernier câlin avant départ. Ce périple-ci va être long : Paris/Amsterdam/Kuala-Lumpur/Jakarta, dans les deux sens !
À l’aéroport Charles de Gaulle de Paris, une surprise m’attend. Je n’aurais droit qu’à un seul bagage de 20kg ! Le « piece concept » de Air France, formule qui permet d’enregistrer deux valises de 23kg ne marcherait que vers l’Afrique et les USA, pas vers l’Asie, continent pourtant prisé par les touristes. Je me retrouve encombré d’une deuxième valise, et devrais débourser presque 600 euros pour payer l’excédent. Un temps, je pense annuler le voyage vers Jakarta, puis l’idée me vint d’appeler mes amis de Paris au secours. Bien m’a pris, en l’espace de trois coups de fil, j’avais trois bonnes âmes qui volaient à mon secours, pour récupérer le bagage de trop : Sitou, Alexis et Kudzo, qu’ils en soient remerciés ! Leur spontanéité, leur calme alors que je paniquais, m’a été d’un baume ce jour-là. Merci mes amis, je ne sais même pas comment vous exprimer ma reconnaissance !
Jeudi 23 Août. 14h22. Aéroport de Kuala Lumpur, Malaisie. Je comprends ce que signifie le concept de « pays émergent ». Ici, les installations sont modernes, hyper sophistiquées. Le tramway arrive jusqu’aux terminaux, et il y a des écrans tactiles d’information partout. Tout est aux normes d’un aéroport occidental, et l’on sent que le débat sur le développement de ce pays autrefois classé parmi ceux du Tiers-monde n’est plus d’actualité : le pays s’est développé, point barre ! Alors qu’ailleurs (suivez mon regard), on pérore toujours et l’on stagne de manière incompréhensible. Le somnifère que j’ai pris pour affronter les 17h de vol m’étourdit, pendant que j’avance dans le hall du transit. Vivement Jakarta, j’ai l’impression d’être attaché à un engin lancé vers la Lune !

perroquet_indonesie.jpgNous atterrissons à Jakarta vers 17h 55. La chaleur et la végétation sont tropicales. À part ces autoroutes bondées de voitures qui me rappellent plus l’Europe que l’Afrique, je me sens en terrain connu. Mais la ville est grande, et la traverser à une heure de pointe relève de l’exploit. Notre chauffeur slalome à se donner des vertiges. Enfin, tant bien que mal, nous arrivons devant le Teater Kecil, le Théâtre Municipal Taman Ismail Marzuki où doit se tenir la cérémonie d’ouverture de l’édition 2007 de la Biennale Littéraire Internationale Utan Kayu. Je flotte sur un nuage composé de mes propres rêves de dormeur éveillé et de celui d’une ombre fatiguée, affamée.

poster-2007en-23.jpgSur scène, un jeune prodige indonésien de guitare classique joue les quatre parties d’une suite d’un compositeur espagnol dont le nom m’échappe. Le thème du festival cette année s’appelle « Force Majeure ». Tenir debout jusqu’à la fin de la cérémonie, pour moi était aussi un cas de force majeure. Je tombe de sommeil, la faute au Stinol, mon somnifère de voyage préféré. Mais j’ai 20 minutes de lecture à honorer pendant la cérémonie, alors je m’accroche vaille que vaille, mais je préviens les organisateurs : pardon, juste après la lecture, j’aimerais aller à l’hôtel me reposer. Enfin, disons que j’ai tenu jusqu’au bout, mais je n’avais plus souvenir le lendemain de ce que j’avais lu, à part le fait que c’était une traduction pas très réussie en Anglais d’un texte intitulé « Apprentissage de la mémoire ». Apprendre à se souvenir, tout un programme qui m’allait bien.
Vendredi 24 Août. On ne chôme pas à la Biennale Utan Kayu. À peine réveillé ce matin, je reçois un coup de fil de Kadek, le chargé à l’organisation internationale du festival, qui me rappelle mon rendez-vous de 11h. Effectivement, je dois participer à un débat sur le thème « A tale of Sister Cities », à l’Institut Italien de Culture de Jakarta, en compagnie d’une auteure italienne, Idana Pucci, une descendante de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, comme elle aime à se présenter !

idana_kangni.jpgIdana Pucci est un personnage attachant et communicatif. Dans le bus qui nous emmène à l’Institut, elle s’excuse en riant. « Vous savez, Kangni, je sais peu de choses du Togo, mais ce que j’en sais va vous faire rire. » Un instant, j’ai cru qu’elle allait me parler des exploits de l’équipe nationale togolaise au dernier Mondial de football ! Mais la suite fut vraiment plus marrante. Pour elle, le Togo, c’était son ancien président, Gnassingbe Eyadema bien sûr. L’homme, paraît-il, se faisait confectionner ses costumes et ses chemises chez un excellent couturier de Rome. Je n’en doute point, car j’avoue que moi-même je trouvais trop bien fait les costumes de mon président ! Puis un jour, arrive le couac. Une commande de plus de 20 chemises du président disparaît dans la nature. Colère du feu président, qui passera plus d’un mois à téléphoner personnellement au Ministère des Affaires Étrangères italien à la personne chargée de retrouver le paquet, une amie rwandaise d’Idana Pucci ! Mais évidemment, on ne retrouva jamais les chères chemises d’Eyadema, chères, je veux dire « expensive », comme on dit en Anglais. Quel dommage !
Intéressante, Idana Pucci, vraiment intéressante. Quelques minutes plus tard, nous parlions de Savorgnan de Brazza, son ancêtre du côté de sa mère, quand elle me sort soudain, en me tutoyant enfin, comme une vraie italienne : « Tu sais que je me suis battue contre Sassou ? Et j’ai gagné ! » Sassou, entendez Sassou Nguesso, l’actuel président du Congo, capitale Brazzaville ! Lequel a récemment fait construire un mausolée à la mémoire de Savorgnan de Brazza et fait rapatrier ses cendres au Congo. Une histoire controversée, dont j’avais en son temps parlé sur mon blog. Oui, Idana Pucci s’est battue seule dans l’anonymat contre Sassou Nguesso, et elle a gagné d’une certaine manière, même si…
De quoi s’agit-il ? En fait, jusqu’au dernier moment, elle fut la seule de la famille de l’explorateur à réclamer le transfert de ses cendres contre des gestes humanitaires de la part du président congolais, lequel (soutenu par la France de Chirac) voulait se servir de cet événement pour redorer son blason terni pour cause de dictature et de très mauvaise gouvernance. Avec l’aide d’un de ses amis avocats à Paris, le même qui avait déjà assigné Sassou et le groupe pétrolier Total en justice, elle élabore une liste de gestes à poser avant la signature de l’autorisation par la famille de l’explorateur de ramener les cendres au Congo : réhabiliter le pouvoir du descendant du roi téké Makoko, construire une route allant à la résidence de ce dernier, réhabiliter le Lycée qui porte à Brazzaville le nom de son ancêtre, et des tas d’autres choses apparemment anodines, mais qui pour elles avaient du sens. Lors d’une réunion à Rome, le président congolais aurait fini par accepter et signer sa liste, mais comme elle dit elle-même, son avocat continue de suivre de près la réalisation de toutes ces choses qu’elle aurait négociées contre le retour au Congo de la dépouille de son ancêtre ! Pendant le débat à l’Institut Italien de Culture, je retiendrai cette phrase admirable d’une descendante passionnée à propos de son ancêtre controversée : « Brazza était un artiste, dans la peau d’un colon. » Idana Pucci est vraiment un personnage que je suis fière d’avoir rencontré. En 2006, elle a écrit et publié une anthologie en hommage à Pierre Savorgnan de Brazza intitulée Una Vita per l’Africa !
Le même jour, retour au théâtre à 19h. Toujours cet embouteillage monstre dans les rues. À chaque instant, on sent venir le moment où va avoir lieu un accident. Une moto percute un pousse-pousse de biais, ce dernier s’en va valdinguer sur le trottoir. Plus de peur que de mal, la circulation qui avait spontanément ralenti reprend son flux rapide, mortellement citadin. On sent la débrouille dans les transports collectifs, les minibus ont des banquettes en bois, et un homme collecte les sous des passagers à la montée. Je reconnais ces choses-là, et je me dis décidément quelque chose différenciera toujours les pays émergents des pays occidentaux, la souplesse dans la galère, l’improvisation que des lois stupides et rigides ne viennent pas entraver. Une banquette dans un minibus à Paris ou Amsterdam, ce n’est pas demain la veille !
Nous arrivons enfin au théâtre. Un petit vieillard indonésien nous exécute une sorte de chant sacré à l’ouverture. Passionnant. On se laisse bercer par ce chant traditionnel, même si on n’y comprend rien. Il y a des choses qui sont de l’ordre de l’ineffable, et la musique en fait partie. Je sens la fatigue m’envahir, plus tard, pendant les lectures. Chaque auteur a droit à 20 minutes, tous se laissent emporter par leurs propres paroles et dépassent de très loin le temps imparti.

ecrivains_utankayu2007.jpgComme toujours, parmi les écrivains, il y a ceux qui aiment se donner en spectacle, ceux qui se prennent pour des danseurs ou des chorégraphes, et les persifleurs qui se moquent de ceux qui se prennent pour des génies. Franchement, parfois je me demande pourquoi les auteurs ne font pas simplement confiance aux mots qu’ils écrivent, et vont chercher des béquilles pour faire les intéressants. Pauvre spectateur, avais-je envie de crier, méfie-toi, les écrivains ne valent que par ce qu’ils écrivent, non ce qu’ils croient qu’ils sont. La fatuité est universelle, et ce soir je me sens fatigué !
Heureusement qu’il y a l’anthologie de la biennale, Force Majeure, 567 pages de littérature, un bel objet à lire à tête reposée. Je laisse mon esprit vagabonder pendant qu’un poète danse avec une comédienne qui joue le rôle d’un mannequin trouvé dans les décombres d’un incendie, avec des clichés insoutenables sur les bébés qui vagissent en sortant de l’utérus maternel. Je lirai tous les textes qui m’échappent plus tard, oui plus tard, pas besoin que l’appréciation de la littérature soit elle aussi un cas de force majeure !
Samedi 25 Août. Troisième journée de lecture, cette fois-ci dans un nouveau lieu, Komunitas Utan Kayu. On se déchausse avant d’entrer dans la salle de théâtre. Une jolie petite salle en sous-sol, avec un parquet verni, et très peu de matériaux lourds, normes anti-sismiques oblige ! Avant les lectures, j’ai visité l’expo photo « Force Majeure » à la Galerie Lontar, sise à l’intérieur d’Utan Kayu. Sur deux étages, des images des ravages du tsunami qui a ravagé plusieurs villes de l’Indonésie. Je garde en mémoire trois images saisissantes :
1. ces deux paquebots transportés depuis l’océan par je ne sais quelle force, et posés là sur le macadam comme des jouets d’enfants ;
2. les marches d’un escalier qui partent vers le vide, on ne peut imaginer, en voyant le vide autour, la maison qu’il y avait là, et pourtant, cet escalier devait bien se trouver dans quelque maison ;
3. un Coran brûlé sur rocher planté au beau milieu d’un étang, comme pour rappeler que même la foi des hommes aura été ébranlée avec cette horrible catastrophe naturelle.
Il semble, depuis le tsunami, que le nombre de patients recherchant l’aide des psychiatres a augmenté dans toute l’Indonésie. Comment vivre après une telle furie ? Comment comprendre une telle violence contre laquelle la force de l’homme reste impuissante ? J’ai quitté l’expo le cœur serré.
Après les lectures, j’ai marché dans la rue en face des locaux du Théâtre Utan Kayu. L’air est saturé d’une odeur d’essence persistante. La pollution à Jakarta, ville de presque 20 millions d’habitants, vaut celle de Lagos, Nigeria. Les motocyclistes portent des masques de tissu sur le nez pour s’en protéger. La pollution, est-ce toujours le prix à payer pour un développement technologique ? Cela fait drôle, après les trois heures d’intimité feutrée que je viens de passer à l’intérieur du petit théâtre Utan Kayu, trois heures où le jazz seriné par une excellente harpiste indonésienne et un tromboniste qui aurait joué avec Salena Jones ( !), l’une de mes chanteuses préférées, a alterné avec des lectures de qualité. C’était Babel, ou presque, tous ces textes lus dans toutes ces langues du monde et traduits sur écran géant : le vietnamien côtoie l’anglais, qui lui-même fricote avec l’indonésien, l’arabe, l’hindi, le français, le chinois… Mais une évidence me saute aux yeux, la proximité de l’Australie rend la langue anglaise presque banale ici, presque tous les participants à la biennale savent causer dans la langue de Shakespeare !
Un petit mot sur Komunitas Utan Kayu, la structure qui organise cette biennale. Le centre porte le nom de la rue dans laquelle il se trouve. Un ensemble culturel complet constitué d’une galerie d’exposition, d’un théâtre, d’une librairie, d’un café, d’une bibliothèque, aussi bien que de plusieurs bureaux dans lesquelles on fabrique un magazine culturel, KALAM. Le créateur du centre, le poète et journaliste Goenawan Mohamad, est une légende vivante à Jakarta. Il se raconte que, créé sous le régime militaire de Suharto, le lieu servait de centre de résistance à la férule dictatoriale du père de l’indépendance indonésienne. Mais ces temps sont loin à présent, et le projet a fleuri. Aujourd’hui, en plus du centre, la communauté possède une radio privée (Radio 68-H), une école de formation au journalisme, etc.…
Je rêve en regardant autour de moi. Que du beau, dans un pays développé, en marche vers la démocratie. Pourrais-je arriver à créer un semblable centre culturel privé un jour au Togo ? Je pense à mon complice et ami Gaétan Noussouglo, avec qui nous avons l’intention de reprendre le centre Arema à Lomé, un centre privé à l’abandon depuis la mort de son créateur, le musicien Corneille Akpovi. Serions-nous moins ambitieux que les Indonésiens, avec qui nous étions ensemble à la Conférence de Bandung en 1955 ? Quelle réussite, Utan Kayu, quelle réussite, même si me dit-on les problèmes liés à l’expansion de la structure sont incommensurables ! Normal. Une structure culturelle n’est pas une épicerie, et la maintenir à flot demande un travail considérable, surtout quand les financements font défaut !
Dimanche, 26 Août. Journée relaxe. Avant même que le jour ne se lève, j’avais décidé de profiter de cette journée. Je n’irai peut-être pas écouter les lectures ce soir, ayant déjà suivi la performance de la plupart des auteurs programmés, à l’exception d’Edmundo Paz Soldán, auteur bolivien vivant à Madrid, auteur d’un remarquable thriller traduit en anglais, Turings’s Delirium (Mariner Books, 2007).
D’ailleurs, ce matin, c’est avec Edmundo que je pars faire des courses dans Jakarta. Je recherche du matériel électronique, essentiellement Les prix sont relativement bas, parfois la moitié de ce qu’on aurait dépensé en Europe. Edmundo tourne en rond dans l’Ambassador Hall. Il y a tellement de caméras numériques sophistiquées ici, et pas chères, qu’il en reste confus. Finalement, chacun ayant trouvé son compte, nous sommes allés déjeuner dans un restau au centre-ville, de la cuisine traditionnelle de Java. Rien à voir avec le Café Batavia, lieu célèbre de Jakarta où Edmundo et moi avons décidé de faire un tour avant notre départ du pays ! Après manger, nous avons hélé deux taxis motos, des « zémidjans » aurait-on dit au Togo. Sensation extraordinaire quand on traverse l’autoroute juchée et casquée sur ces bolides qui zigzaguent comme des engins sortis d’un film de course-poursuite.
Le soir, fatigué, je reste dans ma chambre. Vers 22h, affamé, je sors manger dans un bar populaire non loin du Harris Hotel. Beaucoup de jus de fruits, régime oblige, et des gâteaux aux crevettes… Un des serveurs me prend pour un Américain, il me demande où je vis en Amérique, et si je peux l’aider à trouver du travail là où je vis. Je le regarde et je souris. Comment lui expliquer que moi aussi je recherche un bon boulot avec un bon salaire, qui me permette de nourrir ma femme et mes enfants, d’acheter des disques de jazz et des livres de théologie (mes deux passions), et aussi des vidéos des meilleurs matchs de tennis que je visionnerai plus tard, quand je serai vieux et fatigué sur cette terre d’illusions ? Comment lui expliquer que nous sommes tous logés à la même enseigne, vivant à l’heure de ce que les sociologues appellent la globalisation de la précarisation ? Et dans cette situation de vie précaire, les artistes et les écrivains sont des illusionnistes parfaits : ils sont pauvres, souvent, mais mènent une vie de voyages qu’un vrai pauvre ne pourra jamais s’offrir.

logohomepage.gifOui, comment lui expliquer que j’étais en Indonésie, non pas comme un touriste américain, mais comme écrivain, tous frais payés, grâce à la générosité d’une fondation hollandaise, alors même que ni le prince Claus (paix à son âme !), ni le prince Frisco ne sont mes amis personnels !? Ah, l’art et la pauvreté, « une passion si grande et pourtant nul pécule », comme l’écrivait le poète Carlos Drummond de Andrade, fils de bourgeois, au demeurant !
Lundi 27 Août. Nous quittons Jakarta pour Jogjakarta et ensuite Magelang. Le bus est climatisé, les écrivains fatigués, mais Kadek est toujours là, avec son micro à la main, à faire des blagues dans un anglais parfait, et surtout donner les infos utiles sur le déroulement du voyage. Il est 7h. Embouteillage monstre. Des milliers de motards casqués slaloment parmi les milliers de voitures, cependant que la chaleur monte, irrésistiblement, sur la ville, et que les vivants s’en retournent à leurs occupations quotidiennes. Les affiches géantes de Jakarta Crossover, le festival de jazz de la ville, attirent mon regard. Le dynamisme culturel de cette cité m’impressionne.
Nous arrivons enfin à la « Statiun Gambir », la gare où nous allons prendre le train pour la suite du voyage. Gare propre, les escalators marchent, et notre wagon est climatisé avec un écran vidéo qui diffuse des films locaux ! De quoi complexer le pauvre Togolais que je suis, qui n’a plus vu de train de voyageurs rouler dans sa ville de Lomé depuis bientôt vingt ans ! Why are we so… ? Pourquoi diable, chez nous, sommes-nous incapables d’avoir un réseau ferroviaire normal, des trains climatisés pour affronter la chaleur des tropiques ? Why are we so… ? Jakarta, ville moderne d’Indonésie, je ne puis en dire autant de Lomé, ni de plusieurs autres capitales africaines non plus, remarque. Et je me dis, des leaders comme Sankara, Cabral, Lumumba, Nkrumah, Olympio… sont morts sans réaliser leurs ambitions de nous conduire vers une modernité respectable. Leurs successeurs seront-ils à la hauteur de ces géants aux rêves écroulés, inachevés ?
Le train démarre vers 8h 30. Service de journaux à bord et rafraîchissements proposés par un personnel aux petits soins, élégamment habillé. Ce n’est pas possible, me dis-je, même si nous sommes en première classe, il doit y avoir un défaut. Effectivement, très vite je trouve la faille à ce train, les toilettes, sales, à l’ancienne, on fait ses commissions directement dans les rails !
Le paysage change au bout de quelques heures, beaucoup de rizières, de champs de piment, d’aubergine, de maïs, et des barrages d’irrigation tout le long du trajet. Le pays est grand, le train franchit des ponts d’une hauteur exceptionnelle, et partout les ouvriers travaillent à en construire d’autres !
Nous sommes arrivés à Jogjakarta aux environs de 17h30. Ville à l’opposé de Jakarta la tentaculaire, ici pas de gratte-ciels oppressants, et l’architecture des bâtiments publics rappelle un peu Recife, au Brésil, ville où les Hollandais ont également laissé leur empreinte. À pied, nous remontons le Maliboro, la longue avenue marchande de la ville. Promenade agréable après les longues heures de position assise dans le train aux toilettes défectueuses. Halte instructive devant les bâtiments du premier gouvernement indonésien, quand le pays arracha son indépendance à la tutelle hollandaise. Kadek raconte comment les Hollandais, revanchards, sont revenus pour reconquérir leur colonie, réinstaller leur gouverneur dans le lieu, avant de céder finalement devant la pression internationale et abandonner les Indonésiens à leur sort.
Puis, le bus qui nous attendait à la fin de l’avenue, nous a conduit jusqu’à l’hôtel Saphir. Dîner le soir avec Léo, le traducteur de mon texte pour l’anthologie de la Biennale. Il est hollandais, ancien prof de littérature française à Amsterdam, et maintenant retiré sur l’île de Java.

prambanan_jogyakarta.jpgMardi 28 Août. Départ de l’hôtel, tôt le matin pour une visite au temple Prambanan, construit au 9e siècle, détruit par un tremblement de terre en 2006, et en cours de réhabilitation par l’Unesco qui l’a classé au patrimoine mondial de l’humanité. C’est un complexe de 224 temples, le plus important site de temples hindouistes en Asie du Sud-Est, et comprenant les temples des trois plus importantes divinités de la religion hindoue : Shiva, Vishnu et Brahma. La légende raconte que tous les temples ont été construits en une seule nuit, par les dieux évidemment. Mais ces derniers n’étaient plus là, la nuit du tremblement de terre (5,6 sur l’échelle de Richter). Les gravats sont spectaculaires. On ne peut plus accéder à l’intérieur des temples, véritables ouvrages d’art architectural, complètement fissurés. Un cimetière de dieux, pour tout dire, mais quel spectacle hallucinant, malgré la dangerosité du site. Je regarde mes chaussures, elles sont recouvertes d’une poussière grise, du ciment réduit en poudre, issu des pierres broyées, des corps disloqués des statues des divinités. Que les dieux n’étaient-ils là, pour bloquer l’aiguille de l’échelle Richter sur zéro, en cette nuit du 26 mai 2006.
Une heure plus tard, nous repartions dans le car, qui grimpe la montagne, direction Ratu Boko, où se trouvent les ruines du palais du roi Boko. Ici, a existé jusqu’au 9e siècle, un empire, l’empire Mataram. Les vestiges sont chiches, une porte d’entrée en pierre de taille, des marches d’escalier, des structures d’écoulement d’eau, la plupart des maisons du palais étaient, semble-t-il, en bois de bambou, ce qui explique qu’il reste peu de choses. Néanmoins, on sent que le lieu fut important, ne serai-ce que par sa position surélevée, dominant une vallée immense et fertile.
Vers midi, nous avons fait une halte au Village Tembi, un centre créé par un riche homme d’affaires australien qui développe l’artisanat local, en faisant travailler les jeunes désœuvrés dont les créations sont exposées dans les grandes pièces de la résidence. Je regarde l’homme nous serrer les mains, et je me demande combien de riches peuvent investir autant dans les choses de l’art !
Enfin, nous quittons Tembi, et avant la tombée de la nuit, nous arrivâmes à Magelang. Ce soir les lectures reprennent à la Galerie Langgeng, haut lieu fréquenté par les artistes indonésiens du Visual Art. J’y fais la connaissance d’Iwana Chronis, arrivée la veille à Magelang. Elle cordonne pour la Fondation Prince Claus un programme spécial, le « Cultural Emergency Program », sorte d’aide humanitaire uniquement chargé de sauver les biens culturels après une catastrophe naturelle. L’Indonésie, sur ce plan, avec ses tremblements de terre fréquents, est malheureusement un terrain propice à ce genre de programme d’aide culturelle d’urgence. Le travail d’Iwana Chronis mériterait d’être plus connu, je crois, tellement les productions culturelles sont fragiles dans certains pays, et quand une catastrophe arrive, le plus souvent, on pense d’abord à sauver plus les humains que les objets d’art. Ce qui se conçoit. Mais l’esprit humain, son génie, survit aussi, et peut-être plus durablement, à travers les productions culturelles, et sauvegarder celles-ci me semblent tout aussi important. Mais le débat est compliqué, l’humanitaire culturel n’est pas encore un concept facile à manipuler, et Iwana le sait, qui sourit quand je lui demande de me définir ce que recouvre exactement le terme de « cultural emergency » : un concept large et dangereux, reconnaît-elle, les gens cherchent parfois à y mettre tout et n’importe quoi, juste pour soutirer des subventions à la Fondation ! J’admire la lucidité de cette jeune femme aux propos précis et convaincants.
Mercredi 29 Août. Ce matin, les écrivains répartis en trois groupes, sont allés à la rencontre du public scolaire. J’ai la chance, oh vraiment la chance, de faire partie du groupe qui se rend au Seminari Menengah St. Petrus Kanisius Mertoyudan. ! Un séminaire catholique de très haut niveau, où l’on forme de futurs prêtres et pasteurs, réputés pour leur esprit critique. Un haut lieu du savoir, en somme. On a beau dire ce qu’on veut, les institutions religieuses sont souvent des lieux où l’on dispense une éducation de qualité, et où l’on est toujours surpris par l’ouverture d’esprit des futurs aspirants à la vie religieuse. En entrant dans le séminaire, on sent qu’il y règne un ordre et une discipline, même si les élèves ne sont pas coupés du monde, qu’ils jouent dans les haut-parleurs du rock américain pendant qu’ils lavent le parquet, possèdent tous des caméras numériques qu’ils utilisent pour nous flasher ! On les prendrait pour des élèves de n’importe quel collège privé d’Indonésie, mais ici les règles sont différentes, il y a un temps pour jouer les « paparazzi », et un temps pour la discussion. Les écrivains ressortiront du séminaire, impressionnés par la qualité de leurs interlocuteurs.
Les études se font en Indonésien, même si l’on étudie aussi l’anglais, le latin et le grec ancien. Les études en langue nationale, c’est sûrement ce qui fait la force de ce pays autrefois colonisé par la Hollande. L’âme d’un peuple, son savoir-faire même quand il manipule d’autres réalités culturelles à lui imposées, comme le christianisme, réside dans l’usage d’une langue maîtrisée et compréhensible par tous dès le bas âge ! Et sur ce plan-là, il n’y a pas de doute, les pays d’Asie ont une longueur d’avance sur nous autres Africains habitués à mentir quand le débat vient à porter sur notre usage des langues coloniales dans l’éducation. Dans la bibliothèque du séminaire, il y a la connexion Internet, et les livres sont en indonésien, des grands classiques de théologie et de philosophie, en passant par les manuels d’informatique et les encyclopédies. De quoi vous complexer à vie !
Vers 11h, la direction réunit les séminaristes, pour une discussion qui allait durer jusqu’à 13h30. Vous n’allez pas me croire, mais à peine me suis-je présenté comme originaire du Togo, que tous les séminaristes se sont mis à crier « ADEBAYOR » ! C’est fou cette histoire de football, personne ne sait où se trouve le Togo sur la mappemonde, mais même à Magelang, on connaît le Togolais qui marque des buts à Arsenal, et qui a fait partie de ceux qui nous ont ridiculisé (ou immortalisé, c’est selon) à une certaine coupe du Monde !
Journée intéressante. Un des poètes indonésiens du groupe, Joko Pinurbo, qui a été élève au séminaire, a lu trois poèmes fort humoristiques, dont l’une, « Midnight phonecalls » rapporte la réplique suivante d’une mère à son fils, qui a fait se tordre de rire tout le séminaire :
« Mother ! Where are you ?
« Inside. »
« In the phone ? »
« In your pain. »
J’aurais bien aimé qu’un autre trublion de la poésie indonésienne, Rahardi, nous accompagnât, et nous face lecture de son roboratif poème « Whatever Easter », où Jésus est enchaîné et traîné par terre par des Panzer allemands, dans une série télévisée, devant Ponce Pilate qui fume des clopes, assis sur son trône. Les profs et les étudiants eussent-ils ri ? La métaphore leur aurait peut-être plu, mieux que le poète lui-même ne l’espérait. Puis le poète australien, Sam Wagan Watson, a fait lire par un séminariste, un de ses poèmes traduits en indonésien, et publié dans la deuxième anthologie de la biennale, TERRA. L’attention des élèves n’en fut que plus accru.
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kadeketayuutami_magelang.jpgVéritable star littéraire, Ayu Utami, a offert ses livres aux étudiants. Et moi, et moi… ? Eh, bien moi j’ai réussi un petit exploit dont je suis fier, j’ai réussi à faire exécuter par l’ensemble des séminaristes concentrés comme des moines, un des plus beaux chants de la liturgie catholique, un véritable poème qui m’a toujours presque fait pleurer (je dis bien presque) chaque fois que je l’entends, le Tantum Ergo ! Moment d’émotion, de nostalgie quand j’ai chanté avec eux ce chant qui célèbre les vertus de l’avènement du nouveau rituel, en opposition aux affres du vieux monde de la caverne : Tantum ergo sacramentum/Veneremur cernui…/Et antiquum documentum/Novo cedat ritui. Il est si grand, ce sacrement !/Adorons-le, prosternés./Que s’effacent les anciens rites/Devant le culte nouveau !/Que la foi vienne suppléer/Aux faiblesses de nos sens !
On est catholique ou on ne l’est pas ! La plupart des écrivains connaissaient le chant, mais avouèrent qu’ils n’avaient jamais cherché à savoir ce qu’il signifiait.
Question des étudiants. Pourquoi la poésie est-elle si difficile à lire ? Je leur fais remarquer que les Psaumes, véritables poèmes également, ne sont pas tous d’accès facile, et pourtant leurs interprétations font partie de cette culture de la lecture propre à chaque chrétien. Question d’habitude et de pratique, alors, celle de la poésie comme de la littérature en général. D’autres interrogations sur l’essence de la poésie nous emmènent loin, très loin, dans des considérations de philosophie esthétique. Personne n’a osé mentir quand s’est posée la question de savoir comment on devient écrivain ? En lisant beaucoup, seulement ? Pour moi, c’est une certitude, j’ai beau lire et adorer les essais sur l’imagination dans les mathématiques, je ne deviendrai jamais mathématicien. L’écriture est une grâce, concept chrétien, bien sûr, mais j’y crois. Comme dirait l’autre, simplement, le talent ça ne s’achète pas ! Mais quelle journée, quelle journée, nous étions tous fourbus en sortant du séminaire. Fourbus, heureux et enrichis, enfin, je parle pour moi.

Indah_kangni.jpgJeudi 30 Août. Ne jamais se fier aux apparences ! Cela fait une semaine que nous sommes ensemble. Toujours présente à la tête de mon groupe. Elle s’appelle Indah Lestari, notre accompagnatrice à la Biennale, une jeune indonésienne de père japonais et de mère chinoise. Ce matin, surprise, dans le bus qui nous conduit pour une visite au temple Borobudur, je découvre qu’elle est une passionnée de littérature africaine, même si elle a fait un mémoire de fins d’études sur Virginia Woolf. Quelques jours plus tôt, elle m’avait laissé entendre qu’elle apprenait le Français pour pouvoir lire les grands auteurs de la littérature française dans le texte. Là, elle me parle des enfants esprits dans The Famished Road du nigérian Ben Okri, me cite Achebe et Gordimer, et du coq-à-l’âne, demande mon avis sur la pratique de l’excision en Afrique, pratique courante en Indonésie aussi. Toute cette discussion venait du fait que la veille, j’avais séché la séance de lecture au temple, parce que je devais absolument boucler un travail universitaire que je devais rendre avant même mon départ pour l’Indonésie. La discussion a commencé sur le sujet de mon article, puis a dérivé vers des considérations plus générales sur les littératures africaines, et c’est là où je découvre qu’elle est la traductrice en indonésien de Disgrâce, le roman controversé du Nobel de Littérature sud-africain Coetzee !
Nous étions passés de l’excision à Coetzee, comme ça, sans transition, et je me suis écrié intérieurement, « Mon Dieu, elle fait quand même du chemin, la littérature africaine ! » Allez, à toutes fins utiles, je vous file le lien du blog de la demoiselle Indah Lestari, faites-y un tour, et saluez-là de ma part : http://pelouse.multiply.com!

Borodudur_kangni.jpgVers 8h30, nous sommes arrivés dans l’enceinte du Candi Borobudur, autre patrimoine historique classé par l’Unesco et protégé par la Convention de Genève sur les conflits et les guerres. Deux précautions valent mieux qu’une dans le cas de Borobudur, car le site qui a résisté à plusieurs tremblements de terre est tout simplement magnifique. Partout, des cloches monumentales, à l’intérieur desquelles se trouvent des Bouddhas, dont les visiteurs viennent toucher la panse, pour demander richesse et prospérité.
Il faut grimper les cinq marches de l’ouvrage avant de pouvoir toucher le Bouddha. Je reprends mon souffle, saccadé après la montée du monument. Mon Bouddha a la tête coupée, arrachée par je ne sais qui… J’en avise un autre, bien portant, repu et tout, quand même, et je fais mon vœu : « Euh… », je ne vous le dirai pas, c’est entre mon Bouddha et moi !
Borobudur n’est pas loin du volcan Merapi, dont les éruptions, par deux fois ont déjà endommagé le site, obligeant l’Unesco à intervenir à plusieurs reprises. J’ai cherché partout le guide du temple pour savoir à quand remonte sa construction, en vain. Je me suis mis alors en quête d’un panneau d’informations, puisque les livres vendus à l’entrée étaient rédigés en indonésien, et que Indah avait disparu, elle aussi, parmi les innombrables cloches de Borobudur et les Bouddha à tête coupée. En fait, il semble que le commerce de têtes de Bouddha soit très lucratif, même si les peines de prison sont lourdes quand on vous arrête, alors les trafiquants prennent tous les risques pour piller le temple dès que les gardiens ont le dos tourné.
Dernier jour en Indonésie. Le soir, dernières lectures au temple illuminé par des projecteurs puissants. On ne peut rêver meilleur décor naturel pour célébrer la littérature. Le spectacle final a lieu tard, aux alentours de vingt-trois heures. Une merveille même pour celui qui ne comprend rien à la langue indonésienne. En effet, Ki Slamet Gundono, célèbre marionnettiste local, a l’art de mélanger d’abord les genres, le théâtre et la musique, ensuite les langues, l’indonésien et un délicieux anglais plus que « broken », qui n’appartient qu’à lui ! Le résulta en est, des rires en cascades, facilité d’ailleurs par un échange constant entre les musiciens et le « puppet master », les premiers se moquant constamment du second, mettant en doute systématiquement la crédibilité de l’histoire qu’il raconte. Le public est aux anges.
Et puis, pendant le spectacle, soudain, arrive le « drame », l’une des danseuses de la troupe tombe en transe. L’air hébété, hagard, elle traverse le plateau et, au lieu de jouer, continue son chemin vers nul ne sait où… Le « puppet master » se précipite pour l’arrêter et essaie de la faire revenir à elle en criant son nom. De guerre lasse, il s’excuse auprès du public, fait emporter la danseuse vers les coulisses en plein air et met fin au spectacle. Le public ne comprend rien. Nous nous levons et tournons tous en rond, incapable de comprendre cette transe subite et cette interruption brutale du spectacle. Les mystères de Borobudur ? Pendant le retour vers le car, je m’en ouvre à Edmundo et lui donne mon avis. Personnellement, je crois à la transe dans le théâtre, ou à des phénomènes proches de la catharsis, mais dans le cas de la danseuse de la compagnie Ki Slamet Gundano, je crois que nous avons tous simplement été floué. Cela ne me surprendrait pas que cette finale subite déclenchée par la transe ait été une astuce trouvée par les acteurs pour mettre fin à une histoire qui avait l’air interminable, vu aussi que l’heure était avancée. Une transe théâtralisée, mais puisque le public possède cette faculté de croire à tout ce que le théâtre veut lui faire croire, l’affaire n’en fut que plus rondement menée.
Allez, il était temps d’aller dormir. Le lendemain, nous repartons à 5h pour Jogjakarta en car, et ensuite Jakarta en avion.

kangniedmundo_cafebatavia.jpgVendredi 31 Août. À l’arrivée à Jakarta, des policiers partout. Terminaux bouclés, alerte à la bombe. Edmundo et moi décidons d’aller en ville pour passer le temps, avant notre départ le soir. Nous prenons un taxi, accompagné de Guntur, un des membres d’Utan Kayu, direction Café Batavia. C’était une promesse qu’il nous fallait absolument honorer. Et le déplacement en valait le coup. Joli café, vestige de la colonisation hollandaise. Construit entre 1805 et 1850, il a indifféremment servi comme résidence coloniale, entrepôt, bureau, et aujourd’hui a été transformé en café et en galerie d’art. L’intérieur est cossu mais branché à la fois, bourgeois mais populaire par la variété de sa clientèle.
Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Elles servent aussi à réfléchir sur l’état du monde. Au Café Batavia, conversation animée entre Edmundo, Guntur et moi, à propos du fondamentalisme musulman, et de la crainte que le monde ne finisse par se plier à la volonté des terroristes conservateurs. Guntur a fait des études à Al-Azhar, la célèbre université islamique en Égypte, mais les a abandonné explique-t-il, quand il a compris où on voulait l’emmener. Le 11 septembre (comme on dit sans plus), nous le reconnaissons tous, n’a pas été la meilleure idée des fondamentalistes pour gagner l’humanité à leur cause, car leur folie de destruction ne fait qu’aggraver la folie sécuritaire du camp d’en face, folie sécuritaire qui fait d’ailleurs les beaux jours du capitalisme triomphant et pénalise les citoyens ordinaires dans la vie de tous les jours. Démonstration. À mon arrivée à Amsterdam, le 1er septembre, au terme de 17h55mn de vol (merci mon somnifère), je découvre que j’avais mis par mégarde ma trousse de toilette dans mon bagage à main : crème douche, pâte dentifrice, crème pour le pied, déodorant, shampoing…, tout cela me fut confisqué et jeté à la poubelle. Je dois tout racheter. Quand on sait combien coûtent ces petites choses, parfois !
Non, mais, à bas le capitalisme et son cousin germain le fondamentalisme !

 

 

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