Carnet de route: Malawi, the warm heart of Africa

malawi.jpgAvant mon arrivée dans ce pays, j’ignorais jusqu’au nom de son président. Franchement, ne me dites pas que vous, vous le savez ! Personnellement, ce n’est qu’après cinq heures d’attente au Kamuzu International Airport de Lilongwe, les yeux bourrés de sommeil et le corps rompu, que j’ai aperçu sur un mur, au moment du départ, le nom du président du Malawi.

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cathedrale_blantyre.jpgAvant mon arrivée dans ce pays, j’ignorais jusqu’au nom de son président. Franchement, ne me dites pas que vous, vous le savez ! Personnellement, ce n’est qu’après cinq heures d’attente au Kamuzu International Airport de Lilongwe, les yeux bourrés de sommeil et le corps rompu, que j’ai aperçu sur un mur, au moment du départ, le nom du président du Malawi, le Dr Bingu something. De Lilongwe, je n’ai pas vu grand-chose. J’ai refusé de payer 200 kwachas à l’embarquement, en expliquant à la dame qui me les réclamait comme taxe de séjour, qu’au lieu d’arnaquer les voyageurs en transit, on pourrait tout aussi bien reporter cet impôt sur les billets de Air Malawi au moment de l’achat. Compréhensive, la bonne dame ne m’a point fait de misère. 200 kwachas, pensez-donc, une misère en francs CFA ! Le bi-réacteur de Air Malawi ressemble à un petit porteur de la société DHL. Il est à l’heure, malgré l’orage. J’embarque enfin, direction Blantyre.
chez_maki.jpg15 mars. Le soir de mon arrivée à Blantyre. Chez Maky. Sur les hauteurs de la ville, un vieux domaine colonial transformé en pension familiale. L’homme qui gère les lieux s’appelle Maky, camerounais, la cinquantaine, ayant longtemps vécu à Brooklyn. Bonhomme et méfiant à la fois, il me demande soudain : « Quels sont les écrivains Camer que tu connais ? » Et moi de lui réciter, comme un élève studieux, les noms des auteurs de son pays que je connais de près ou de loi : P.M. (connais pas, dit-il), E.E., G-P. E. (ça, ce sont des gars de Douala, non ?), B.N. (hein, tu as dit qui ?), j’ai dit Blaise Ndjehoya. Maky tressaille, se gratte les dreadlocks. « Tu connais Blaise, vraiment ? » Je lui raconte comment j’ai fait la connaissance de Blaise Ndjehoya, plus de 17 après avoir lu son livre-culte Le Nègre Potemkine, alors que j’étais encore étudiant à la fac au Togo. « On va l’appeler », décide Maky. Et, miracle de la télécommunication, cinq minutes plus tard, nous faisons la surprise à Blaise en le réveillant dans son appartement parisien. Conversation tendre avec un Blaise endormi, qui ponctuait ses propos au bout de la ligne par un répétitif « ça c’est fort » !
16 mars. A Blantyre, les nuits sont fraîches à cette période de l’année. La veste est de rigueur, si l’on ne veut pas se les geler. Surtout que je passe mes soirées au bar avec Maky à écouter du jazz jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’heure. Ce soir, un groupe de jeunes femmes venues fêter l’enterrement de vie de jeune fille de l’une d’entre elles, fout en l’air ma programmation : les nanas voulaient danser du Shakira, même pas du couper-décaler, du Shakira, my Goodness ! Je m’abstiens de tout commentaire, et les regarde se ridiculiser toutes seules, tu parles, elles n’avaient même pas des hanches souples ! Un polonais, spécialiste des nouvelles technologies en adduction d’eau nous rejoint au bar. Maky nous présente, K.A., écrivain, Togo. L’homme s’exclame : « Ecrivain, vous écrivez sur quoi ? » Sur du papier, je lui réponds, un peu excédé par la question. Pourquoi faut-il toujours que les écrivains s’expliquent sur les sujets de leurs livres, MERDRE !? Mon Polonais d’Ubu se gratte la moustache, et moi je me retire dans ma chambre, l’humeur définitivement mauvaise. Le lendemain au réveil, panne d’eau dans les chambres, j’ai eu envie d’aller réveiller le père Ubu pour lui demander à quoi servait au Malawi sa nouvelle technologie d’adduction d’eau.
17 mars. Petite virée nocturne dans Blantyre. Les rues sont désertes comme s’il y avait le couvre-feu. Cette ville me fait penser à Lusaka. Même désolation dans le centre-ville abandonné, même séparation entre la ville et les townships, comme du temps de la colonisation. Rien à voir avec la topographie des villes d’Afrique de l’Ouest ou Centrale. Vers une heure du matin, j’ai quand même fini par trouver un bar sympa !
20 mars. Journée de la francophonie. Le concept, ici, a du plomb dans l’aile. A la conférence que j’anime au CCF, aucun des 63 français vivant à Blantyre (à part le directeur et l’attachée linguistique) n’est présent. Cette dernière me demande si je ne suis pas déçu. Devant une assistance de 8 personnes, je tente de répondre à la question « Is French an African language ? » Je ne me sens pas l’âme d’un mercenaire, vu que la cause semble perdue d’avance. Le Français au Malawi ? Une promotion qui n’aurait de sens que si l’université s’en mêle vraiment, mais aucun étudiant, encore moins un responsable du Département de Français de l’Université du Malawi n’a daigné célébrer le 20 mars. Le Français au Malawi ? Pour l’instant juste une hypothèse d’école.
22 mars. Visite au Musée national du Malawi. Située derrière la mairie de Blantyre, l’édifice date de 1966, la même année où le pays, autrefois nommé Nyassaland, a accédé à l’indépendance sous la conduite d’un certain Dr Kamuzu Banda, fier nationaliste devenu plus tard dictateur obscure, autoproclamé président à vie. Juste à l’entrée du musée, d’ailleurs, son portrait immense trône dans une galerie bien éclairée ; sous le portrait, on a fait exposer la Bible sur laquelle Banda prêta serment, le texte des deux serments qui firent de lui, dans l’ordre, président tout court et président à vie, et enfin le stylo qui a servi à signer ces textes historiques. Je m’étonne que le même stylo ait pu servir deux fois, le guide éclate de rire.
J’ai attendu presque 15 minutes avant de débuter la visite proprement dite. Raison, le préposé aux tickets avait disparu, et il a fallu le chercher partout avant que je ne paye les 50 kwachas réglementaires. Une fois les sous empochés, le guide et le préposé aux tickets disparurent, me laissant seul. J’entre dans la grande salle, seul comme un grand. Visite décevante. Que dire du contenu des expos ? Un bric-à-brac de tableaux : scènes de vie préhistoriques, billets de banques datant de la période coloniale, masques, outils agricoles et armes traditionnelles de guerre, un vaste panorama sur la sorcellerie prétendument en voie de disparition, un hommage appuyé au Gr Livingstone, natif de Blantyre en Ecosse, etc. Je m’arrête sur une galerie montrant des scènes relatives à l’esclavage au Malawi, à l’époque où les négriers arabes écumaient le territoire à la recherches de bois d’ébène pour les trafiquants de Zanzibar. Peu d’infos sur la traite elle-même, alors que le sujet vaut largement le détour, pour la sauvagerie des raids arabes, les fameux chifwamba (raids nocturnes) au cours desquels les Arabes et leurs alliés Yao (tribu convertie à l’islam) encerclaient les villages et massacraient systématiquement les habitants de façon à créer une dispersion qui permet d’isole les victimes. Après la traversée du lac Nyassa, commençait la marche forcée de trois ou quatre mois vers Kilwa, avec des esclaves enchaînés transportant de lourdes charges d’ivoire. Si un esclave tombait malade en route, raconte-t-on, on le décapitait pour récupérer son collier, afin de le réutiliser bien sûr. Enfin, à Kilwa, les esclaves mâles les plus robustes étaient castrés pour être revendus comme eunuques à des prix exorbitants. L’histoire de la traite arabe au Malawi laisse pantois, et c’est dommage que le Musée national n’ait pas profité de la commémoration des 200 ans de l’Abolition de la traite négrière pour en faire un expo qui eût fait déplacer les foules.
chimombo_alem.jpg23 mars. Déjeuner avec Steve Chimombo, l’écrivain malawien le plus connu, certains disent le seul écrivain qui compte actuellement au Malawi… J’avais acheté son roman The Wrath of Napolo dans une librairie de la ville, et cherché à le rencontrer. Steve est son propre éditeur (Wasi Publications), il édite également un magazine des arts, Wasi, dont il écrit pratiquement tout seul les articles. Forcément, cela sent l’autopromotion, mais Steve sourit et balaie la remarque d’un proverbe bien senti : « comme disent les Ibo du Nigeria, si personne ne tresse tes éloges, tu le feras toi-même. » Son roman est un pavé de presque 600 pages, j’en suis encore au début, difficile d’en dire plus, mais j’ai beaucoup aimé un de ses recueils de nouvelles, The hyena wears darkness, que j’ai décidé de traduire pour la collection de nouvelles que je dirige aux Editions Ndze !
La littérature au Malawi a souffert sous la dictature du Dr Kamuzu Banda. Le tableau qu’en dresse Steve Chimombo est sombre. Des gens comme lui sont des résistants dans un pays où lire ne signifie rien. Même le théâtre se cherche, populaire et dite de participation, ennemi déclaré du théâtre littéraire. « Il y a pourtant une association des écrivains au Malawi, non ? » Steve n’en fait pas partie, et préfère ne pas aborder le sujet. Il me remet alors un livret dont il est l’auteur, A guide to Malawi’s Literature. On se quittera là-dessus, en nous promettant de nous revoir. J’en doute. L’homme est un ours solitaire, je l’ai compris, qui a créé un Writing School, une sorte d’école d’ateliers d’écriture, qui fonctionne uniquement par correspondance. Le retraité de l’Université du Malawi n’a plus envie d’avoir en face de lui des étudiants. Tiens, lui fais-je remarquer au moment de nous séparer, nous avons au moins quelque chose en commun lui et moi. « Quoi, me demande-t-il à part écrire ? » J’ai découvert dans sa bio que lui et moi avions reçu le même diplôme, le très marrant « Honorary Fellow in Writing » de l’International Writing Program, la résidence d’écriture de l’Université d’Iowa. Là, il a vraiment éclaté de rire, au souvenir de cette résidence où l’on passait plus de temps à manger, dans les restaurants indiens d’Iowa (excellents !), qu’à écrire.
24 mars. Je me suis retrouvé ce matin propulsé président du jury du 23e Festival de théâtre interscolaire en Français du Malawi. La finale rassemble trois écoles. 30 minutes de spectacle pour chaque école, sur le thème imposé de « la migration ». Certains textes confondent MIGRATION et IMMIGRATION, mais bon me direz-vous où est la frontière ? Les élèves jouent en Français avec un accent anglais ou chichewa que je trouve charmant. Les joies du théâtre amateur : un comédien fait semblant d’uriner, la foule jubile canaille, pour suggérer la forêt on transporte sur le plateau des feuillages et des branches d’arbres fraîchement coupés dans la nature, adieu l’écologie ! Sur la fiche technique, je lis, « contrôleuse de musique », renseignement il s’agissait de l’une des élèves chargée de jouer de la musique pendant le spectacle, une sorte de régisseur en somme ! Le prix de la meilleure actrice est revenu à une élève de Phwezi Girls Secondary School, excellente dans son rôle de roi. Comme j’ai tenté de l’expliquer aux autres membres du jury, certes tout n’est que clichés dans les trois spectacles, mais faire jouer un rôle d’homme à une comédienne, c’est déjà le début d’une vraie composition de rôle au théâtre, et rien que cela méritait la récompense suprême du festival : un voyage d’une semaine en France, dans l’Aude, aux frais de la princesse !

university.jpg27 mars. Il faut une heure de route pour atteindre Zomba, la capitale coloniale du Malawi. J’y suis arrivé deux heures avant ma conférence à Chancellor College, ce qui me laisse le temps de monter jusqu’au sommet de la montagne pour admirer la superbe vue que l’on a sur le Mozambique voisin. Chancellor College est un campus à l’anglaise, avec ses pelouses bien entretenues. La maintenance des bâtiments laisse à désirer, mais comme je le fais remarquer au chef du département de Français, eux au moins ont des locaux où sont prévus des toilettes, alors qu’à la fac des lettres à Lomé, on a construit un bâtiment entier sans prévoir des toilettes !
Sur la conférence elle-même, rien à signaler. A part la discussion intéressante autour du roman La Plantation de Calixthe Beyala. Comme me l’a fait remarquer la poétesse et universitaire malawienne Timwa Lipenga, certains détails dans ce roman censé se dérouler au Zimbabwe sont surfaits, à commencer par les noms des personnages qui sont tout sauf zimbabwéens, jusqu’à la perception idyllique des planteurs blancs par la romancière camerounaise qui n’a jamais mis les pieds au pays de Mugabe ! A l’évidence, la lecture faite ici de ce roman est aux antipodes de l’accueil qu’il a reçu en France à sa sortie.

29 mars. Je suis encore de retour à Chancellor College, cette fois-ci pour un séminaire et une projection de film autour de l’œuvre de Wole Soyinka. J’ai apporté également un Cd des chansons satiriques de Soyinka, si j’ai le temps je ferai écouter aux étudiants le titre que j’aime le plus, « Chairman », composé contre Shewu Shagari surnommé « Share the Gari » ou « Suggar Daddy »! L’une des scènes du film qui a le plus impressionné l’assistance : la séquence où l’écrivain revient de chasse et fait griller une antilope sur le bûcher. On passe sans transition de la brousse aux salons feutrés de Stockholm pour la remise du Prix Nobel de Littérature à Soyinka. Très classe, commente une voix dans mon dos. A mon avis, c’est aussi la scène qui résume le mieux la personnalité de Soyinka, lequel se réclame ouvertement des affinités avec Ogun, le dieu de la guerre et du fer, à la fois destructeur (guerrier, chasseur) et créateur (forgeron, sculpteur, poète) ! Il faudrait que je pense à remercier Alain Ricard qui m’a fait découvrir ce film merveilleux sur l’homme d’Aké.
30 mars. Mon séjour tire à sa fin. Peut-être irais-je au lac Nyassa (Malawi ?) avant mon départ. Quelques derniers rendez-vous : l’université de Mzuzu au nord du pays, la Kamuzu Academy à Blantyre dont le Président George Bush prétend que la bibliothèque pourrait rivaliser avec celle de Harvard… encore quelques palabres, quelques émotions et je m’en retournerai vers Lomé.

P.s. Au moment de partir, je constate que n’ai pas pris un visa pour entrer au Malawi, et j’ai simplement oublie d’aller regulariser ma situation au service de l’immigration, je crains le pire en arrivant at the airport. Mais bon, nous sommes en Afrique, enfin je veux le croire…