

16 mars. A Blantyre, les nuits sont fraîches à cette période de lannée. La veste est de rigueur, si lon ne veut pas se les geler. Surtout que je passe mes soirées au bar avec Maky à écouter du jazz jusquà ce quil ny ait plus dheure. Ce soir, un groupe de jeunes femmes venues fêter lenterrement de vie de jeune fille de lune dentre elles, fout en lair ma programmation : les nanas voulaient danser du Shakira, même pas du couper-décaler, du Shakira, my Goodness ! Je mabstiens de tout commentaire, et les regarde se ridiculiser toutes seules, tu parles, elles navaient même pas des hanches souples ! Un polonais, spécialiste des nouvelles technologies en adduction deau nous rejoint au bar. Maky nous présente, K.A., écrivain, Togo. Lhomme sexclame : « Ecrivain, vous écrivez sur quoi ? » Sur du papier, je lui réponds, un peu excédé par la question. Pourquoi faut-il toujours que les écrivains sexpliquent sur les sujets de leurs livres, MERDRE !? Mon Polonais dUbu se gratte la moustache, et moi je me retire dans ma chambre, lhumeur définitivement mauvaise. Le lendemain au réveil, panne deau dans les chambres, jai eu envie daller réveiller le père Ubu pour lui demander à quoi servait au Malawi sa nouvelle technologie dadduction deau.
17 mars. Petite virée nocturne dans Blantyre. Les rues sont désertes comme sil y avait le couvre-feu. Cette ville me fait penser à Lusaka. Même désolation dans le centre-ville abandonné, même séparation entre la ville et les townships, comme du temps de la colonisation. Rien à voir avec la topographie des villes dAfrique de lOuest ou Centrale. Vers une heure du matin, jai quand même fini par trouver un bar sympa !
20 mars. Journée de la francophonie. Le concept, ici, a du plomb dans laile. A la conférence que janime au CCF, aucun des 63 français vivant à Blantyre (à part le directeur et lattachée linguistique) nest présent. Cette dernière me demande si je ne suis pas déçu. Devant une assistance de 8 personnes, je tente de répondre à la question « Is French an African language ? » Je ne me sens pas lâme dun mercenaire, vu que la cause semble perdue davance. Le Français au Malawi ? Une promotion qui naurait de sens que si luniversité sen mêle vraiment, mais aucun étudiant, encore moins un responsable du Département de Français de lUniversité du Malawi na daigné célébrer le 20 mars. Le Français au Malawi ? Pour linstant juste une hypothèse décole.
22 mars. Visite au Musée national du Malawi. Située derrière la mairie de Blantyre, lédifice date de 1966, la même année où le pays, autrefois nommé Nyassaland, a accédé à lindépendance sous la conduite dun certain Dr Kamuzu Banda, fier nationaliste devenu plus tard dictateur obscure, autoproclamé président à vie. Juste à lentrée du musée, dailleurs, son portrait immense trône dans une galerie bien éclairée ; sous le portrait, on a fait exposer la Bible sur laquelle Banda prêta serment, le texte des deux serments qui firent de lui, dans lordre, président tout court et président à vie, et enfin le stylo qui a servi à signer ces textes historiques. Je métonne que le même stylo ait pu servir deux fois, le guide éclate de rire.
Jai attendu presque 15 minutes avant de débuter la visite proprement dite. Raison, le préposé aux tickets avait disparu, et il a fallu le chercher partout avant que je ne paye les 50 kwachas réglementaires. Une fois les sous empochés, le guide et le préposé aux tickets disparurent, me laissant seul. Jentre dans la grande salle, seul comme un grand. Visite décevante. Que dire du contenu des expos ? Un bric-à-brac de tableaux : scènes de vie préhistoriques, billets de banques datant de la période coloniale, masques, outils agricoles et armes traditionnelles de guerre, un vaste panorama sur la sorcellerie prétendument en voie de disparition, un hommage appuyé au Gr Livingstone, natif de Blantyre en Ecosse, etc. Je marrête sur une galerie montrant des scènes relatives à lesclavage au Malawi, à lépoque où les négriers arabes écumaient le territoire à la recherches de bois débène pour les trafiquants de Zanzibar. Peu dinfos sur la traite elle-même, alors que le sujet vaut largement le détour, pour la sauvagerie des raids arabes, les fameux chifwamba (raids nocturnes) au cours desquels les Arabes et leurs alliés Yao (tribu convertie à lislam) encerclaient les villages et massacraient systématiquement les habitants de façon à créer une dispersion qui permet disole les victimes. Après la traversée du lac Nyassa, commençait la marche forcée de trois ou quatre mois vers Kilwa, avec des esclaves enchaînés transportant de lourdes charges divoire. Si un esclave tombait malade en route, raconte-t-on, on le décapitait pour récupérer son collier, afin de le réutiliser bien sûr. Enfin, à Kilwa, les esclaves mâles les plus robustes étaient castrés pour être revendus comme eunuques à des prix exorbitants. Lhistoire de la traite arabe au Malawi laisse pantois, et cest dommage que le Musée national nait pas profité de la commémoration des 200 ans de lAbolition de la traite négrière pour en faire un expo qui eût fait déplacer les foules.

La littérature au Malawi a souffert sous la dictature du Dr Kamuzu Banda. Le tableau quen dresse Steve Chimombo est sombre. Des gens comme lui sont des résistants dans un pays où lire ne signifie rien. Même le théâtre se cherche, populaire et dite de participation, ennemi déclaré du théâtre littéraire. « Il y a pourtant une association des écrivains au Malawi, non ? » Steve nen fait pas partie, et préfère ne pas aborder le sujet. Il me remet alors un livret dont il est lauteur, A guide to Malawis Literature. On se quittera là-dessus, en nous promettant de nous revoir. Jen doute. Lhomme est un ours solitaire, je lai compris, qui a créé un Writing School, une sorte décole dateliers décriture, qui fonctionne uniquement par correspondance. Le retraité de lUniversité du Malawi na plus envie davoir en face de lui des étudiants. Tiens, lui fais-je remarquer au moment de nous séparer, nous avons au moins quelque chose en commun lui et moi. « Quoi, me demande-t-il à part écrire ? » Jai découvert dans sa bio que lui et moi avions reçu le même diplôme, le très marrant « Honorary Fellow in Writing » de lInternational Writing Program, la résidence décriture de lUniversité dIowa. Là, il a vraiment éclaté de rire, au souvenir de cette résidence où lon passait plus de temps à manger, dans les restaurants indiens dIowa (excellents !), quà écrire.
24 mars. Je me suis retrouvé ce matin propulsé président du jury du 23e Festival de théâtre interscolaire en Français du Malawi. La finale rassemble trois écoles. 30 minutes de spectacle pour chaque école, sur le thème imposé de « la migration ». Certains textes confondent MIGRATION et IMMIGRATION, mais bon me direz-vous où est la frontière ? Les élèves jouent en Français avec un accent anglais ou chichewa que je trouve charmant. Les joies du théâtre amateur : un comédien fait semblant duriner, la foule jubile canaille, pour suggérer la forêt on transporte sur le plateau des feuillages et des branches darbres fraîchement coupés dans la nature, adieu lécologie ! Sur la fiche technique, je lis, « contrôleuse de musique », renseignement il sagissait de lune des élèves chargée de jouer de la musique pendant le spectacle, une sorte de régisseur en somme ! Le prix de la meilleure actrice est revenu à une élève de Phwezi Girls Secondary School, excellente dans son rôle de roi. Comme jai tenté de lexpliquer aux autres membres du jury, certes tout nest que clichés dans les trois spectacles, mais faire jouer un rôle dhomme à une comédienne, cest déjà le début dune vraie composition de rôle au théâtre, et rien que cela méritait la récompense suprême du festival : un voyage dune semaine en France, dans lAude, aux frais de la princesse !
27 mars. Il faut une heure de route pour atteindre Zomba, la capitale coloniale du Malawi. Jy suis arrivé deux heures avant ma conférence à Chancellor College, ce qui me laisse le temps de monter jusquau sommet de la montagne pour admirer la superbe vue que lon a sur le Mozambique voisin. Chancellor College est un campus à langlaise, avec ses pelouses bien entretenues. La maintenance des bâtiments laisse à désirer, mais comme je le fais remarquer au chef du département de Français, eux au moins ont des locaux où sont prévus des toilettes, alors quà la fac des lettres à Lomé, on a construit un bâtiment entier sans prévoir des toilettes !
Sur la conférence elle-même, rien à signaler. A part la discussion intéressante autour du roman La Plantation de Calixthe Beyala. Comme me la fait remarquer la poétesse et universitaire malawienne Timwa Lipenga, certains détails dans ce roman censé se dérouler au Zimbabwe sont surfaits, à commencer par les noms des personnages qui sont tout sauf zimbabwéens, jusquà la perception idyllique des planteurs blancs par la romancière camerounaise qui na jamais mis les pieds au pays de Mugabe ! A lévidence, la lecture faite ici de ce roman est aux antipodes de laccueil quil a reçu en France à sa sortie.
29 mars. Je suis encore de retour à Chancellor College, cette fois-ci pour un séminaire et une projection de film autour de luvre de Wole Soyinka. Jai apporté également un Cd des chansons satiriques de Soyinka, si jai le temps je ferai écouter aux étudiants le titre que jaime le plus, « Chairman », composé contre Shewu Shagari surnommé « Share the Gari » ou « Suggar Daddy »! Lune des scènes du film qui a le plus impressionné lassistance : la séquence où lécrivain revient de chasse et fait griller une antilope sur le bûcher. On passe sans transition de la brousse aux salons feutrés de Stockholm pour la remise du Prix Nobel de Littérature à Soyinka. Très classe, commente une voix dans mon dos. A mon avis, cest aussi la scène qui résume le mieux la personnalité de Soyinka, lequel se réclame ouvertement des affinités avec Ogun, le dieu de la guerre et du fer, à la fois destructeur (guerrier, chasseur) et créateur (forgeron, sculpteur, poète) ! Il faudrait que je pense à remercier Alain Ricard qui ma fait découvrir ce film merveilleux sur lhomme dAké.
30 mars. Mon séjour tire à sa fin. Peut-être irais-je au lac Nyassa (Malawi ?) avant mon départ. Quelques derniers rendez-vous : luniversité de Mzuzu au nord du pays, la Kamuzu Academy à Blantyre dont le Président George Bush prétend que la bibliothèque pourrait rivaliser avec celle de Harvard… encore quelques palabres, quelques émotions et je men retournerai vers Lomé.
P.s. Au moment de partir, je constate que n’ai pas pris un visa pour entrer au Malawi, et j’ai simplement oublie d’aller regulariser ma situation au service de l’immigration, je crains le pire en arrivant at the airport. Mais bon, nous sommes en Afrique, enfin je veux le croire…