Ensuite, laprès-midi, jai été accueilli en grande pompe à la Bibliothèque nationale de Malabo, un joyau, grands dieux, par la Secrétaire dEtat au Livre , Guillermina Mekuy, politique et romancière de 27 ans, revenue dEspagne récemment pour prendre sa place dans la société équato-guinéenne ! Ah la bibliothèque nationale de Malabo, un choc ! Une bâtisse moderne à vous couper le souffle. Dès le hall dentrée, des galeries calmes aux lumières tamisées accueillent le lecteur, qui peut aussi se connecter au wifi grâce à son P.C. Le mobilier, en teck, est neuf et brillant. Plus loin, une grande salle Internet. Tout est luxe, calme et volupté. Une si belle bibliothèque dans un pays où le livre est à peine une priorité ! Nous montons au troisième étage, dans une petite salle coquette à lacoustique intimiste. Cest là que mattend le public. Nous dialoguons dans les deux langues nationales de la Guinée équatoriale, lespagnol (que je comprends et ne parle pas) et le français (que la vice-doyenne de luniversité dit que jécris comme un Français, tu parles !). Nous parlons de tout, des comédiens lisent des extraits de mes textes, lecture exécrable, mais je respecte leur effort. Pourquoi diable nai-je pas lu moi-même, surtout que jaime particulièrement cet exercice ? Je sens Ivanne, la directrice de lICEF tendue. Elle ne supporte pas elle aussi la mauvaise performance des comédiens. Diplomatiquement, elle arrête le massacre, et je reprends la main, pour lire un extrait de ma nouvelle « Les silences du commandant Maitrier », qui raconte lassassinat de Sylvanus Olympio, le premier président du Togo, sous langle dune triple conspiration, française, américaine et locale. En fait, jai lu ce passage pour tenter dexpliquer à un de mes interlocuteurs, les mille et une manières dont dispose lécrivain pour parler de sujets politiques, sans toutefois sortir de la fiction, puisque, lui semblait-il, les écrivains de ma génération fuient les sujets politiques du continent pour se réfugier dans des histoires moins engageantes !
A la fin de la rencontre, Guiilermina Mekuy nous a reçus longuement dans son bureau. Belle et légère, elle moffre deux exemplaires de son roman écrit en espagnol, et nous parle de son projet fou : faire installer dans toute la vile de Malabo, des kiosques à journaux et à livres, qui serviront de librairies. Il est vrai que dans cette ville, il nexiste aucune librairie. Shame ! Jai quitté la belle dame avec le sentiment que quelque part dans nos pays, il existe une jeunesse qui croit encore à quelque chose. Qui vivra verra.
Vendredi 26 mars. Je suis à la veille de mon départ de Malabo pour Paris, où je dois assister au Salon du Livre. Ce matin, jai rencontré les élèves du lycée français de Malabo. Une prof dynamique, agrégée de Lettres, a conduit la rencontre autour de mon recueil « La gazelle sagenouille pour pleurer ». Très pro, méthodique, avec un sens de la répartie mortelle, surtout quand elle tente de trouver des incohérences dans mes prises de position. Passionnant. Il y avait dans le lycée des profs dorigine togolaise et béninoise. Inévitablement, comme cest toujours le cas avec des profs africains, le débat est revenu sur la question de lengagement politique de lécrivain. Rien à faire, oh rien à faire ! Une des reproches était du type : « comment peut-on représenter son pays à la Francophonie et écrire librement ? M. Kangni, quand vous prenez la plume, êtes-vous libre de ce que vous écrivez ? ». Au fond, jadore ces genres de question, surtout que je saisis le sous-entendu quil y a derrière : je viens du Togo, et donc vu la situation politique du pays, je me dois de mettre ma plume au service de…. Je connais les clichés permanents collant à la peau de nos profs africains, lesquels considèrent comme libres dans leur engagement, les ténors de la littérature quils aiment citer : Ferdinand Oyono, Cheikh Hamidou Kane, Kourouma, Henri Lopès (le pauvre !) je demande au jeune prof béninois qui cite les noms si ces écrivains, en dehors décrire dans la vie, avaient une profession ? Il ne sait pas, dit-il. Et cest là que réside tout le drame. Je lui fais observer que la plupart ont occupé des fonctions politiques, à commencer par Oyono. Il semble tomber des nues. Nayant pas à me justifier, eu égard à mes principes et convictions, je lai juste convié à lire mes livres pour se faire une idée de la réponse à sa question. Jai quitté le lycée français vers midi, avec une invitation des Togolais à manger le lendemain. Sympas et pas rancuniers.
Vers 15h, je rencontre rapidement le ministre équato-guinéen de la Culture, un homme affable qui parle un français impeccable. Je retrouve mes poulains laprès-midi à lICEF pour lavant-dernière séance de latelier décriture. Je tente de leur expliquer quils sont les seuls maitres à bord de leur création. Et je leur cite mon maître, Soyinka répondant à un autre poète nigérian qui laccusait de mettre sa plume au service de certaines causes politiques : « Mieux vaut alléguer le blocage
de la Muse/Mieux vaut faire le guet plutôt que bredouiller des vérités/Dispensées au métronome/Ma langue népouse pas facilement les slogans. » (Wole Soyinka, La terre de Mandela, Belfond, 1988, p. 75. Tout le monde na pas vécu la vie de Soyinka. Oui, la littérature nest pas un long fleuve tranquille dans un continent qui se cherche des sauveurs !
Samedi 27 mars. Jai fait annuler la séance de lecture des textes issus de latelier décriture. Beaucoup de bons sentiments mais des textes inaboutis au niveau du style. Le temps a manqué pour un travail approfondi de réécriture, ces quelques jours datelier ont été un marathon, normal que les fruits naient pas tenu la promesse des fleurs. Le soir, pendant que se déroulait dans la grande salle de lICEF une dictée francophone, je leur ai tenu compagnie pour parler avec eux de leurs rêves décrivains en herbe, de leurs hésitations à prendre de la distance avec le réel qui nourrit leurs imaginaires. Les règles du jeu sont là, implicites, encore faut-il y accéder en pleine connaissance de cause. Jai pris lavion à 23h, direction Paris et son salon du Livre, dimanche jai un débat en compagnie de Théo Ananissoh, romancier togolais que je nai plus vu depuis bientôt un an !