par Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/
Il faut un statut aux anciens présidents africains ! Telle est la pétition de principe qui fait consensus chez les politiques comme chez les universitaires, depuis le début de la transition à l’Etat de droit et de démocratie pluraliste, dans la décennie 1990. Si sa concrétisation reste timide, son actualité ne se dément pas : la conférence internationale de Cotonou (23-25 février 2009) na pas manqué de réaffirmer quil sagissait de lun des défis de lalternance démocratique; au Bénin, vient dêtre déposée sur le bureau de l’Assemblée Nationale par le député Epiphane Quenum de la Renaissance du Bénin, le parti de lex-Président Nicéphore Soglo (1991-1996), la proposition de loi du 2 mars 2009 portant statut des personnalités ayant assuré de hautes fonctions de l’Etat en République du Bénin ; et à Madagascar, après le changement à la tête de lEtat, les assises nationales des 2-3 avril 2009 viennent de recommander lélaboration dun « statut des anciens Chefs de lEtat ».
Pour autant, ce choix de politique constitutionnelle mérite un examen approfondi propre à en jauger les vices et les vertus. Une ébauche de cet exercice sera proposée dans les lignes qui suivent, sur LA CONSTITUTION EN AFRIQUE
Un gage de démocratie ?
Il faut un statut aux anciens présidents africains pour sécuriser les démocraties émergentes et y ancrer le principe de la limitation du nombre de mandats. Autrement dit, si la nation, constituante et législatrice, ne se préoccupe pas de ménager une vie après le pouvoir , lalternance démocratique risque dêtre lourdement hypothéquée : le Président en exercice pourrait succomber à la tentation de faire changer préventivement les règles du jeu par le pouvoir de révision souverain pour se maintenir au sommet de lEtat ; et le Président battu pourrait ourdir quelque complot contre son successeur, pour effacer lhumiliation de la perte « sèche » du pouvoir et/ou se prémunir contre des poursuites judiciaires vexatoires. La démocratie naurait de chances de senraciner en Afrique quau prix de loctroi dun généreux statut à ceux qui ont servi la nation.
Le raisonnement se tient ; il instruit sur la relation au pouvoir et sur la difficile acceptation des choix du souverain primaire. Cependant, une démocratie apaisée implique dabord et avant tout que les gouvernants consentent (ou soient forcés de consentir) à la précarité de leur condition. Et cest parce que le sens éthique des responsabilités fait trop souvent défaut quune réforme déontologique du pouvoir serait bienvenue. Dans un tel contexte, il convient de sinterroger sur le sens dun statut des anciens présidents, destiné moins à reconnaître les éminents services quils ont rendus à la nation quà neutraliser leur capacité de nuisance. Est-il judicieux dassurer automatiquement à un ancien président une retraite dorée, qui le mette à labri de tout besoin jusquà la fin de ses jours, dans des pays aux ressources (très) limitées ? Si la reconnaissance de la nation lui est acquise à vie, le futur bénéficiaire ne sera pas incité à bien gouverner, puisque, en toute hypothèse, la vie publique sera pour lui une source sans fond de privilèges, au pouvoir et après le pouvoir. Or, la mal gouvernance est un des principaux maux qui gangrènent les démocraties africaines émergentes.
Cest dire que si lon saccorde sur le principe dun statut pour les anciens présidents il paraît hasardeux de ne pas réfléchir sur le cercle des bénéficiaires et sur le contenu des droits et avantages à octroyer.
Quels anciens présidents ?
La nation, constituante et législatrice, lorsquelle dresse la liste des ex-personnages de lEtat à honorer, répond à deux grandes questions :
– les ex-chefs dinstitutions et/ou ex-membres du gouvernement doivent-ils, à linstar des ex-chefs dEtat, bénéficier dun statut ?
– faut-il réserver la jouissance du statut à certains anciens présidents remplissant des conditions déterminées ?
Certains pays répondent par laffirmative à la première question. Au Togo, sous lempire de la Constitution de 1992 révisée en 2002, sajoutent aux anciens présidents de la République (art. 75) les anciens présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat (art. 54 et loi organique n°2007-13 du 19 juin 2007), les anciens membres du gouvernement (art. 76) et les anciens députés et sénateurs (art. 52 et loi organique n°2007-14 du 19 juin 2007). Et au Bénin voisin, Epiphane Quenum, dans sa proposition de loi du 2 mars 2009 suggère un statut spécial pour les « citoyennes et citoyens choisis directement ou indirectement par le peuple, à qui la constitution » a imposé « dénormes contraintes et sacrifices » pour lanimation des institutions constitutionnelles : anciens présidents de la République ; anciens présidents de l’Assemblée Nationale ; anciens membres du gouvernement ; anciens présidents des autres institutions constitutionnelles (Cour Constitutionnelle, Haute Autorité de lAudiovisuel et de la Communication, Conseil économique et social). Si la démocratie a un coût, le renchérissement qui résulterait dun élargissement inconsidéré du cercle des bénéficiaires constituerait un lourd fardeau pour les finances publiques et serait socialement insupportable. La contestation au Niger contre le régime indemnitaire des députés est là pour en attester (cf. « La Cour Constitutionnelle du Niger casse le statut du député », « Session extraordinaire « mains propres » », et « La Constitution ne protège pas contre la gabegie des députés » ). Cest pourquoi un statut budgétivore des anciens présidents paraît particulièrement contre-indiqué.
Il convient également de rappeler quen démocratie « La vie publique, dans son ensemble, doit être marquée du sceau de la morale et de la transparence, raison pour laquelle il faut élaborer et appliquer des normes et règles propres à les assurer » . Ce sage précepte soppose à ce que les personnalités énumérées par la Constitution et/ou la loi jouissent inconditionnellement dun statut spécial. Pourtant, en droit positif, le versement de prestations aux anciens présidents et loctroi de dautres avantages sont peu ou pas conditionnés. Au nom de la morale publique, la nation pourrait légitimement refuser quémarge (ou continue démarger) au budget de lEtat un ex-dignitaire qui na pas accédé au pouvoir, dans le respect de la Constitution et des autres règles de droit ; qui a quitté le pouvoir contraint et forcé, après sa destitution pour infraction pénale ou mauvaise gestion ; qui a fait lobjet dune condamnation pénale définitive ; qui na pas régulièrement souscrit à son ultime déclaration de biens ou dont la déclaration laisse apparaître un enrichissement sans cause ; qui a manqué gravement à son serment ; ou encore – pour éviter cumuls de rémunérations et mélange des genres-, qui ne sest pas retiré de la vie publique active, continue à briguer des mandats et occupe certaines fonctions constitutionnelles. A défaut, les anciens présidents apparaîtront comme dillégitimes jouisseurs ; et la confiance dans les vertus de la démocratie saffadira.
Quelle(s) reconnaissance(s) ?
La nation peut exprimer sa reconnaissance envers les anciens présidents de différentes manières et devrait le faire avec mesure. Cest avec un soin tout particulier que devraient être choisis les éléments de leur statut :
– participation symbolique à la vie publique ;
– appartenance éventuelle à une institution de la République ;
– pensions et autres avantages matériels.
Et lédiction dun régime dimmunités devrait être écartée.
Les « ex » méritent les attentions de la nation car, forts de leur expérience, ils peuvent encore la servir mais la servir autrement. Reste à savoir à quelle place formelle ou informelle – ils se sentiront et seront utiles. Symboliquement, il paraît logique daccorder aux anciens chefs de lEtat un haut rang dans le protocole officiel en Guinée, ils « prennent rang protocolaire immédiatement après le Président de la République, dans l’ordre de l’ancienneté de leur mandat, et avant le Président de l’Assemblée nationale », selon la Loi fondamentale de 1990 (art. 36) – et de prévoir quils assistent le chef de lEtat en exercice, lorsque ce dernier préside aux solennités nationales.
Faut-il aussi les faire participer activement aux institutions de la République, en les faisant siéger de droit dans lune dentre elles ? La question, difficile sil en est, ne saurait recevoir une réponse uniforme. Sil répond par laffirmative, le Constituant doit veiller à accorder aux anciens présidents une place de choix, où ils puissent prodiguer leurs conseils avisés et faire partager leur connaissance des affaires de lEtat. Leur participation à des instances consultatives devrait être privilégiée. En Guinée, selon la Loi fondamentale de 1990 (art. 36), les anciens présidents de la République « siègent de plein droit au Conseil économique et social ». Au Bénin, lors des débats constitutionnels de 1990, a été écartée une option intéressante : le titre V de lavant-projet de Constitution avait réservé aux anciens Chefs dÉtat la qualité de membres de droit et à vie du Haut Conseil de la République (HCR), « chambre de réflexion » et « autorité morale de la Nation » ; le HCR aurait eu pour mission de donner « son avis sur les grands projets dorientation nationale » ; il aurait, surtout, pu agir en qualité de « Conseiller et conciliateur de la vie politique interne, de la préservation et de la promotion des valeurs de civilisation nationale » . Maurice Glélé, le Président de la Commission Constitutionnelle, avait précisé que lexpérience des anciens présidents leur permettrait « en tant que sages, [de] tempérer les ardeurs soit de lAssemblée, soit du Président de la République » dans le cadre dun régime présidentiel. Par contre, lappartenance des « ex » à la juridiction constitutionnelle, sur le modèle français repris au Gabon (Constit. 1991, art. 89), est une piste contestée et contestable. Même si la lecture du récent ouvrage « Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel » enseigne que les ex-présidents de la IV° République française ont accompagné, plutôt avec bonheur, les premiers pas du Conseil constitutionnel, la règle est fort critiquée dans lancienne métropole : jugée « insolite » , considérée comme une « anomalie » , elle a échoué « Si lintention était de contraindre les anciens Présidents de la République à la retraite politique et au silence pour mieux favoriser lexercice du pouvoir par leurs successeurs » . Il serait sage que le constituant africain tire les leçons de cette expérience et ne se hasarde pas à faire dune puissante juridiction constitutionnelle, quil se plait souvent à créer, « la maison de retraite des anciens présidents de la République » .
Sur le plan matériel, le statut des « ex » ne saurait décemment comporter une pension de retraite trop élevée, ni dautres avantages faramineux. A cet égard, la proposition de loi Quenum du 2 mars 2009 paraît dautant plus disproportionnée que les heureux bénéficiaires pourraient, semble-t-il, percevoir dautres rémunérations publiques et privées. Mais la palme de lindécence revient au Ghana, démocratie modèle dans la région : lalternance de décembre 2008 a été ternie par une loi octroyant des avantages exorbitants au président battu, dans un pays en quasi faillite pour cause de mauvaise gestion. Une certaine frugalité devrait être de mise : les présidents et anciens présidents ont le devoir de servir ; ils devraient être privés du pouvoir de se servir.
Enfin, rien ne justifie, dans une démocratie émergente, que les « ex » continuent de jouir de certaines immunités ou soient carrément soustraits à toute poursuite judiciaire. Rendus à la vie civile, ils devraient être traités comme nimporte quel citoyen. Ni plus, ni moins. Les immunités, voire limpunité, constitutionnelles des anciens présidents du Gabon (Constit. 1991, art. 78 après révision de 2000) ou du Cameroun (Constit. 1996, art. 53 après la révision de 2008) blessent lesprit du bien public, car elles banalisent la criminalisation de lEtat au sommet. Une manière de réduire en cendres la république !
Aux anciens présidents, la nation reconnaissante ? Oui, mais pas à nimporte quelle condition et pas à nimporte quel prix !
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
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