
1. Dimanche, 18 février. Je me réveille à 4h du matin pour profiter de lélectricité et préparer mes cours. À peine ai-je ouvert lordinateur que tac ! Plus de jus. De quoi vous déprimer et vous rendre morose pour la journée. Je regarde autour de moi, il fait noir dans le jardin, on se croirait au village, un village togolais bien sûr, où lélectricité est un luxe. Et pourtant, semble-t-il, on nous avait annoncé la fin des délestages pour le 13 février 2007, le jour où les chefs dEtat du Togo, du Bénin et du Nigeria se sont retrouvés à Sakété au Bénin, pour raccorder, à grand renfort de publicité et dun discours poétique du Professeur Gnininvi, ministre togolais des Mines et de lEnergie, notre réseau à celui du Nigeria. Un aveugle au secours dun autre aveugle, ironise le petit peuple à Lomé, le grand Nigeria étant réputé pour avoir encore plus de problèmes délectricité que le petit Togo ! Et comme quand on coupe lélectricité à Lomé nul ne sait quand on la rétablira, jai sorti linusable lampe à pétrole, et me suis rabattu sur la correction des copies dun devoir des étudiants de quatrième année de Lettres Modernes de l’université de Lomé. Les premières phrases marrachent le fou rire : « Depuis la période aristotéricienne, la littérature nétait pas au service de lanalyse critique car elle nétait réservée quaux temples/Depuis toujours, il est incontestable, la littérature vit en parasite de la critique littéraire. » Ah, seigneur, soupirai-je, ma journée de parasite commence bien !
2. Le même soir, 22h30, dans lémission « Portrait sensible » sur Radio Lomé, Lys Djamié memmène dans un débat compliqué sur les enjeux dune nouvelle politique culturelle pour le Togo, avec à la clé linjonction pour moi de proposer des solutions pratiques pour sortir de lhypocrisie qui consiste, pour le Ministre actuel de la Culture, à faire signer à des artistes qui nont pas de statut reconnu par lAdministration un texte proposant leur admission à une Mutuelle pour les aider en cas de coup dur A peine lémission terminée, je reçois un coup de fil dun ami (tiens, ces derniers jours, jen suis venu à relativiser le sens réel de ce mot, car il y a ami et ami) qui se plaint. Voilà au moins un ami, un vrai, qui ne raconte pas des histoires dans votre dos, mais engage le débat frontalement pour mieux comprendre votre démarche, quil ne saisit pas entièrement, faute davoir une mémoire déléphant. Mon scepticisme, dit-il, sape les efforts des artistes togolais. Je lui pose alors ces questions : la dernière fois quil a fait un concert à Lomé, lui a-t-on signé un contrat ? Non, dit-il, cétait juste un accord verbal. Combien lui a-t-on payé à la fin de la prestation ? La moitié dabord, puis plus rien jusquà présent ; le gars attendrait des rentrées suffisantes pour le satisfaire. Dans ces conditions, poursuivis-je, où trouveras-tu les sous pour cotiser mensuellement à ta Mutuelle, étant donné que tu na ni fiche de salaire ni prélèvement automatique sur tes cachets ? Jai répété ma conviction que le Ministre de la Culture est un politicien, qui se sert logiquement du projet de mutuelle pour faire mousser sa conversion prochaine en député, dans le cadre des législatives de juin, et quil est temps quon passe, dans ce débat, à un niveau supérieur, où la passion des uns et le calcul des autres nous empêche de progresser. Nous nous sommes compris, au terme de cette discussion franche, du moins je lespère.
Au moment de mendormir, je pense fortement à Akofa Akoussa, la chanteuse togolaise de variétés, en train de mourir chez elle dun cancer des seins quelle na pas les moyens de soigner. Javais pris son cas lors de lémission pour illuster mon raisonnement. Ah, mourir dans la misère après 40 ans de chanson, pour une icône si respectée, je voudrais lui offrir toutes les mutuelles de la terre, si seulement elle pouvait encore rester un peu plus parmi nous. Je ten supplie, Akofa, il est trop tôt pour sen aller !
3. Samedi 17 février. Heureusement quil y a dautres artistes sur ce continent qui nont plus besoin de mutuelle pour survivre, et qui savent faire souffrir un public. Esplanade de lHôtel Sarakawa, 22h30. Cela fait plus dune heure que nous attendons le concert annoncé pour 19h, celui du chanteur ivoirien Meiway. Il est clair que lartiste, qui est bien arrivé à Lomé et se repose à lhôtel 2 Février, ne viendra pas. Des rumeurs dans la foule. Des divergences seraient nées entre la production et Meiway ; et comme toujours dans ce pays où personne ne respecte personne, nul ne viendra sexcuser auprès du public, bougonne ma voisine. Il est vrai que ce concert est bizarre : Togo Cellulaire, société publique de téléphonie mobile, aurait racheté toutes les places et offert le concert à ses clients dans le cadre de la célébration de la Saint-Valentin. Et puisque les temps sont durs pour les Togolais, et que la gratuité na jamais fait de mal à personne (cqfd), le public sest rué à lhôtel, et Meiway aurait protesté sur les nouvelles conditions du spectacle. Tout cela ma semblé trop pénible vers 23h, et je me suis éclipsé. Ce concert a-t-il eu lieu plus tard, à laube, par exemple ? Je nai même pas cherché à le savoir le lendemain. Samedi 24 février : coup de fil de Tony Feda, mon ami journaliste pour mannoncer une nouvelle que je trouve excellence, et qui ma même fait bondir de joie. Ouf, le chef de lEtat, Faure Gnassingbe, a fait évacuer vers Paris la chanteuse Akofa Akoussa, pour une tentative ultime de chimiothérapie. Que les dieux du cobalt, et de toutes les cochonneries utilisées pour soigner ce foutu cancer des seins lui soient favorables. Même si cette évacuation exceptionnelle ne résoud pas le problème du statut des artistes au Togo, je ne vais pas bouder mon plaisir. Cette initiative-là, il fallait simplement la prendre. Merci, M. le Président, ce pays a besoin quon le fasse rêver, et Akofa fait partie des gens qui nous ont fait rêver dans ce pays, il, fallait tenter de la sauver !
P.S. Il fait une chaleur du diable à Lomé, tout un pays attend la pluie, qui sannonce mais ne tombe pas. Traces sensibles de lharmattan qui nous a quittés début janvier, les arbres sont sales, les maisons poussiéreuses. Rhume, éternuements, tout le monde en est là. Seule la nature sait laver la nature. Sil ne pleut pas dici mars, je ne sais pas dans quel état nous serons. Jai le plaisir de vous saluer dun éternuement bien sonore depuis mon quartier non goudronné. A vous !