Anatole Tokofaï est un écrivain togolais révélé en France en 1999 par un premier roman, Le Tissu, qui lui avait valu le Prix Simone et Cino del Duca du meilleur manuscrit. Entretemps, on n’avait plus de ses nouvelles. Le voici de retour, seize ans plus tard, avec un nouveau roman au titre bien curieux pour une œuvre de littérature : La solution innovante.
Comme dans Le Tissu, la démarche de Tokofai (scientifique de formation) consiste à poser une thèse, pour ensuite s’attacher à la défendre et à l’illustrer de plusieurs détails. Ici, c’est une formule du philosophe Nietzsche qui introduit le lecteur dans le sujet posé : « qui vit de combattre un ennemi a intérêt à ce qu’il reste en vie ». L’histoire du roman se déroule au 19e siècle, avec en fond l’esclavage finissant et les guerres entre tribus, dans une partie de l’Afrique de l’Ouest. Omokoé, le chef de la tribu des Simba est en guerre contre ses voisins les Lembés. On devrait dire ses derniers voisins, puisqu’il a déjà éliminé la plupart des autres peuples voisins, et seuls les Lembés, avec à leurs tête La Matriarche Verte, résistent encore à ses charges fréquentes. La bataille finale sera impitoyable pourtant, laissant désormais seul au monde le peuple Simba. Sauf que, dans un contexte où les activités guerrières et la vente des esclaves sont les deux seules mamelles de la politique sociale, que faire lorsqu’on n’a plus d’ennemi à combattre, et que même les négriers européens subissent la peur des Anglais patrouillant dans l’Atlantique ? La traite venait d’être abolie, et Omokoé n’a plus de guerre à offrir à son armée. L’ennui s’installe. Il faut trouver une autre solution pour occuper les journées des habitants, ce sera la solution innovante, celle que vous découvrirez par vous-même en lisant ce roman. Côté suspense, vous découvrirez aussi avec amusement l’histoire du jeune Emanenki, adopté par Omokoé sans qu’il sache de quelle tribu l’enfant est originaire. Condamné à la mort par des oracles incertains, il est sauvé de justesse par la seule volonté du chef, qui le confi à l’une de ses nombreuses épouses ; il finira comme un redoutable guerrier à son tour… Si la mort d’Omokoé crée un instant l’incertitude, très vite son successeur sera connu, seulement voilà, semble dire le romancier, qui hérite des habits d’un vieux, hérite aussi de sa toux… Sauver le peuple de l’ennui, le faire entrer dans une nouvelle ère, le dilemme d’Omokoé va tarauder à son tour Matambala !
Le roman structuré en trois parties se lit comme une suite de réflexions sur le monde colonial et l’entrée dans un monde dominé et marqué par les perpétuelles intrusions extérieures. Un autre trait qui fait de ce roman un laboratoire à mes yeux est l’usage constant des néologismes pour nommer les objets dans un contexte mouvant, mais surtout la multiplicité des noms issus de plusieurs langues africaines. Cette dernière pratique est-elle une volonté, disons, panafricaine, de l’auteur de mettre en correspondance les valeurs signalées par les noms africains? Cela m’a beaucoup intrigué. On voyage à travers les mots, qui viennent de toutes les parties du continent. Cela peut dérouter le lecteur, mais cela n’est pas si désagréable si l’on s’y habitue. Allez, la littérature togolaise s’enrichit d’un nouveau titre, accueillons-le comme il se doit. Bonne semaine à vous, lecteurs !
Anatole Tokofaï, La solution innovante, roman, Paris, L’Harmattan, 2014, 290 pages, 25€.
C’est bien de lire Un tel résumé. Beaucoup du courage à l’auteur.