
Les vrais passionnés de livre connaissent la question que l’on se pose en entrant dans une bibliothèque : comment faire pour voler un bouquin ? Rassurez-vous, cette chronique n’est pas faite pour vous inciter à mal vous comporter. Je devais avoir 11 ans quand j’ai mis les pieds pour la première fois dans une vraie bibliothèque. J’y accompagnais un ami que son papa avait inscrit là, et qui s’adonnait au jeu du vol des bédés. L’exercice était fascinant, vu la rigidité des couvertures. D’abord, l’attirail nécessaire, un boubou assez ample pour dissimuler le corps du délit. Puis d’autres astuces, assez précises, que je m’interdis de vous dévoiler. Oh, ne faites pas la fine bouche, que celui ou celle d’entre vous qui n’a jamais volé un bouquin lève la main ! Seulement voilà, voler comporte des risques, pas de l’ordre de ce que vous imaginez. À force de délester les rayonnages des bouquins que l’on désire s’approprier, on appauvrit la poule aux bédés d’or. Ce que j’ai constaté dans la bibliothèque de mon quartier cette semaine, m’a donné l’idée de proposer à la directrice de la bibliothèque un plan serré en quatre points pour empêcher à jamais que des petits malins passent par derrière pour chiper les volumes que j’aime. Première proposition : transformer radicalement la fonction de la bibliothèque, en faire un lieu où le voleur se perd ! Je parle sous l’autorité doctorale du Professeur Umberto Eco « L’on dit que l’un des buts de la bibliothèque est de permettre au public de lire les livres. Mais je crois que par la suite sont nées des bibliothèques dont la fonction était de ne pas faire lire, de cacher, de dissimuler le livre. » Les petites bibliothèques en cela sont désagréables, elles ne sont pas assez dissuasives puisqu’il leur manque d’être assez labyrinthiques et achalandées pour impressionner l’imagination du voleur de BD ! Deuxième proposition : surveiller davantage ceux qui portent boubous, puisque l’habit ne fait pas le lecteur. Troisième proposition : changer les horaires d’ouverture de la bibliothèque de façon à repérer les désœuvrés, terrible corporation au sein de laquelle on dénombre les analphabètes, les ennemis de la lecture, ceux qui font profession de voler les livres pour aller les brader aux bouquinistes. Un vrai voleur, un amoureux des livres collectionne, il ne revend jamais ! « Le pire ennemi de la bibliothèque, rajouterait Eco, est l’étudiant qui travaille ; son meilleur ami est l’érudit local, celui qui a une bibliothèque personnelle, qui n’a donc pas besoin de venir à la bibliothèque et qui, à sa mort, lègue tous ses livres »…volés !? Quatrième proposition, et non des moindres : récompenser certains voleurs, particulièrement ceux qui subtilisent les vieux livres, pas vieux dans le sens cunéiforme, mais trop usagés, trop abîmés, et que les bibliothèques conservent parfois pour se donner un air de respectabilité. Et si le voleur de vieux bouquins participait finalement de la chaîne du financement du livre ? Alors, peut-être encourager les bibliothèques à offrir, de temps à autre, et à qui en ferait le vœu, ou à revendre à la brocante les livres impossibles qu’elles ne devraient plus conserver dans leurs rayonnages ? Ceci induit une autre conclusion : au lieu d’offrir de vieux livres inutiles aux bibliothèques, essayons de leur offrir des livres neufs.