Deux faits ont attiré mon attention cette semaine: l’hommage de l’Etat d’Osun (Nigeria) au prix Nobel de littérature Wole Soyinka, et la mort, en Italie, de celui qui fut un maître pour ma promotion à l’Université du Bénin (comme on disait): le sémiologue Umberto Eco.
Les choses n’ont pas toujours les sens qu’on pense leur attribuer. Sinon, comment expliquer que les réseaux sociaux se soient enflammés à propos du buste que le gouverneur de l’Etat d’Osun a décidé d’ériger dans sa ville pour rendre hommage à l’icone littéraire du Nigeria!? Sur le facebook de l’écrivain camerounais Patrice Nganang, un facebooker pose la question inattendue: pourquoi un simple buste, et pas une statue complète? Est-ce l’argent qui manque au pays du pétrole, pour investir dans une oeuvre complète? Ne riez pas! Une autre participante au débat (Patrice, en fait répond qu’il ne débat pas sur sa page) s’insurge contre l’orgueil de Soyinka, lequel comme un égoïste va poser devant son propre buste: « … je suis surprise que Soyinka ait posé devant son propre buste: lui qui se moquait férocement des gens pompeux et orgueilleux ! (le chapitre 10 de la partie 1 de ses « Interprètes », ou il dresse un portrait du Professeur Oguazor, est un merveilleux exemple) »! En effet, dans son roman Les Interprètes, Soyinka a bel et bien dressé le portrait en question. Curieux et faux débat que tout cela, mais à a nature intéressante. Car dans tout cela, on omet d’expliquer dans quel contexte le buste a surgi. Le monument se trouve à l’intérieur d’un collège à Ejigbo, un établissement public neuf baptisé du nom du Nobel. Et la statue, ou le buste, redondant dans ce cas-là, puisque l’école porte le nom de Soyinka, devient témoignage visuel pour les jeunes générations d’élèves appelées à fouler de leurs pieds ce lieu d’éducation. La statue de l’icône comme modèle de réussite? De gloire littéraire? De fierté nationale? Tout y passe. Dans tous les cas, la valeur propédeutique de l’ouvrage est indiscutable. Enfin, théoriquement… Les choses n’ont pas toujours les sens qu’on pense leur attribuer.
Le buste de Soyinka donc, ou sa statue en pied, tout cela est à décoder, déchiffrer, car comme dirait Umberto Eco, cet universitaire italien fin lettré qui vient de tirer sa révérence, par-delà le signe, il y a d’autres signes, évidents ou celés, simples ou manipulés. Comme l’oeuvre littéraire, le signe (peu importe sa nature) est ouvert, illimité dans ses interprétations. Voilà ce que nous enseignait Umberto Eco au siècle dernier. Nous étions étudiants en sémiologie, et découvrions comment réinterpréter le monde autour de nous. Pour lui rendre hommage, j’ai retrouvé cet extrait plein d’esprit d’un de ses essais, Comment voyager avec un saumon; le sémiologue analyse un objet de notre quotidien, et quel objet: le suppositoire! Soudain, au détour de l’analyse de la forme de l’objet, il y a l’humour de Umberto Eco, un humour cultivé, que je propose à votre réflexion, en vous souhaitant une très excellente semaine. « Le suppositoire contient l’idée d’un trajet forcé qui, du dehors (le monde de l’apparence) le conduit vers le dedans (le monde de l’intériorité). Le suppositoire se présente comme le symbole même de ce processus d’intériorisation propre à toute véritable initiation (voyez l’inversion typique de la mystique soufi, du mythe platonicien de la caverne). […] Symbole d’une lumière perdue au fin fond des ténèbres, d’un salut salvateur mais irrécupérable, d’une force agissant à l’intérieur mais ne pouvant jamais plus être ramenée à la Lux originelle, le suppositoire devient donc l’emblème de l’incertitude et de la recherche. Mais pourquoi, vu les liens entre les sciences égyptiennes et les connaissances hermétiques des Druides celtes, y a-t-il des suppositoires en forme d’obélisques et pas en forme de dolmens? » Vous ne regarderez plus jamais un suppositoire comme avant!