Véronique Tadjo et Fatou Keïta : reines jeunesse

512V4XKCFTL._SL500_AA240_.jpgQue vient faire un loup dans la forêt ou la brousse tropicale ? Seule Fatou Keïta connaît la réponse à la question. Et à quoi ressemble la chanson de la vie? Il faudrait s’adresser à Véronique Tadjo pour avoir un début de réponse. Les deux ivoiriennes en toute majesté!

Imprimer

fatou.jpg1.     Fatou Keïta, Le loup du petit chaperon rouge en Afrique, NEI/CEDA, Abidjan, 2007, 32 pages.

Que vient faire un loup dans la forêt ou la brousse tropicale ? S’y serait-il perdu ou transporté par magie, cet animal des pays tempérés ? D’entrée de jeu, l’auteure rappelle à ses lecteurs le cadre du récit : « Vous connaissez, bien sûr, l’histoire du Petit Chaperon Rouge ! Comme vous vous en souvenez, Le Petit Chaperon Rouge avait désobéi à sa Maman en parlant au loup dans la forêt, là-bas, au cœur de l’Europe. Ce grand méchant loup, en prenant la place de la grand-mère qu’il avait dévorée, avait ensuite avalé le pauvre Petit Chaperon Rouge… On le croyait… mort, ce grand méchant loup… il s’était caché… Il ne pouvait plus se montrer. Que faire ? Il réfléchit… et… Soudain, une idée lumineuse lui traversa l’esprit. Il allait voyager… partir dans une contrée où on ne le connaissait pas. »

Voilà donc brièvement expliqué cette surprenante réapparition en Afrique du loup du conte de Perrault. Mais Fatou Keïta s’amuse, visiblement, à tordre le cou à l’image du loup, animal mangeur de chair humaine. Car comment expliquer autrement ce qui se passe dans l’histoire du loup en Afrique ? On le voit bien, lors de la première rencontre de l’animal affamé avec la petite Mariama.

« À l’orée du village, il croisa une belle petite fille bien potelée et bien appétissante, mais la fillette était accompagnée de ses parents qui la tenaient chacun par une main. En plus, le papa avait, dans l’autre main, une énorme machette luisant au soleil. Le Grand Méchant Loup s’assit donc sagement et les regarda passer en se léchant les babines.

–       Oh ! Quel beau chien ! s’écria la petite Mariama en le voyant.

–       Oui, c’est un très beau chien, ajouta le père en regardant le Grand Méchant Loup, mais ne t’approche jamais d’n chien que tu ne connais pas. »

Têtue, la petite fille s’en tiendra à son intuition. Cet animal inconnu n’est ni plus ni moins qu’un chien, et comme avec tout chien, on peut bien s’amuser. La suite fera certainement rire le jeune public auquel l’album est destiné : revenu le lendemain pour croquer la petite fille, le loup se retrouve encerclé par une bande d’écoliers qui lui jettent des biscuits. Et lui, comme pour leur faire plaisir, et surtout pour donner une fausse image de lui-même en animal gentil, se mettra à croquer les présents des enfants. Et voilà donc le loup, le Grand Méchant Loup dévoreur de vielles dames et d’enfants tendres devenu en Afrique un vulgaire mangeur de biscuits.

« C’est ainsi que Le Grand Méchant Loup devint le meilleur ami de Mariama et le gardien de tout de le village. Il lui arrive quelque fois de hurler la nuit, juste histoire de se rappeler les temps anciens où il était LE LOUP ! »

Un album pour enfants très colorié, très bien écrit.

 

tadjo.jpg2.     Véronique TADJO, La chanson de la vie et autres histoires, CEDA/NEI, 2007. Textes et illustrations de Véronique Tadjo.

 

Ce livre est destiné aux enfants, « à partir de 11 ans. Il est écrit et illustré par son auteure, la romancière ivoirienne Véronique Tadjo, l’une des meilleures plumes africaines en matière de littérature jeunesse, qui plus est excellente illustratrice. Le livre en lui-même est composé de 19 textes appartenant à des genres divers, certains proches du conte, d’autres de la poésie morale, à l’instar de celui qui donne son nom au recueil, « La chanson de la vie » :

Le temps passe

Le soleil

Brûle le sol

Et apporte l’angoisse

Mais un jour

La saison des pluies arrive… »

 

512V4XKCFTL._SL500_AA240_.jpgIl y a une intention didactique manifeste derrière chaque texte, mais ce qui rend ce livre remarquable, c’est le télescopage des genres et des époques. Prenons par exemple le premier texte du livre, « Le-fils-de-la-lune-et-du-soleil », un conte en apparence tout ce qu’il y a de classique, à part la manière d’écrire le titre avec des tirets entre chaque mot, qui peut, à la limite, intriguer le lecteur. L’histoire débute de manière convenue : « Il y a longtemps, très longtemps, le soleil et la lune étaient amoureux l’un de l’autre. » Mais plus on s’avance dans la lecture, plus quelque chose nous dit que nous sommes en face d’autre chose que d’un conte conventionnel. De l’union des deux astres va naître ce fils dont le nom s’écrit de manière accolée. Mais le fils fait peur, son apparence fait trembler de frayeur les villageois. Il fut décidé de cacher son visage. Et la chute du conte vient de là : « Ce fut ainsi que le Masque naquit… »

Avec un autre texte, « Miss Johnson », on passe des temps anciens aux temps modernes. La scène a lieu dans une grande ville africaine. « Miss Johnson est une jeune fille au corps svelte et au visage serein… Elle vit dans un grand quartier populaire de la capitale où l’activité ne s’arrête jamais. »

Les journées de Miss Johnson, dans son bureau sans climatiseur, au Ministère des Affaire Sociales sont tristes et routinières. Alors, elle s’ennuie et devient maussade à la fin de la journée. Puis un jour, sur le chemin qui la ramène chez elle, son regard tombe sur un panneau marqué : « Artiste-Peintre ». La curiosité de Miss Johnson va progressivement transformer son quotidien, car sa rencontre avec le jeune artiste qui tenait l’atelier lui ouvre un monde inconnu d’elle, celui des arts et des délices métaphysiques.

Tous les autres récits sont ainsi construits, sur le détournement des évidences, ce qui rend la lecture du livre agréable.