DE LA LITTERATURE POUR RENDRE TRIVIALE AMADOU TOUMANI TOURE
On pensait, depuis longtemps, que le pouvoir de la littérature sur les corps sociaux et les hommes politiques sétait estompé et quun texte de fiction qui découpe à la machette un président de la République fut-ce dune République imaginaire serait relégué au rang des épouvantails pour bébés récalcitrants. Erreur : ces dernières semaines, lactualité vient nous rappeler lemprise des mots sur les hommes et les communautés.
Le premier rappel nous vient des fondamentalistes du monde musulman qui, à lannonce de lennoblissement, par la reine dAngleterre de Salman Rushdie, se sont hérissés en crocs de lions. La bombe quils avaient préparée contre lauteur des VERSETS SATANIQUES, a été dépoussiérée et réinvestie de la mission de départ : faire exploser et envoyer en enfer lécrivain infidèle. La reine, la plus haute institution que le monde anglo-saxon ait connue, a tremblé. Puisquelle a dû geler le projet, donnant ainsi raison à lintolérance.
Le deuxième argument, lui, nous vient de lAfrique, précisément du Mali. Un professeur de lycée de Bamako (lycée Nanaïssa Santara) qui a limagination débordante, a donné un exercice littéraire à ses élèves sur la base dune courte nouvelle. Le texte, intitulé « la maîtresse du président de la République », met en scène un chef dEtat à la sexualité un peu trop vadrouilleuse
Dily est étudiante, « prostituée économique », comme beaucoup de ses camarades. Au guichet de ses clients qui appartiennent tous au monde huppé, figure le président de la République. Lui, ne connaît pas le latex. Et ses frasques avec létudiante sont épiques et constamment renouvelées. Enceinte, Dily ne trouve rien dautre à faire que dattribuer la grossesse à son plus prestigieux client.
Ce dernier, craignant pour son honorabilité, tente de la pousser à lavortement. Mais ni ses promesses, ni ses menaces d’assassinat narrivent à défaire létudiante qui finit par accoucher. Dès lors, une autre bataille se profile : celle de la reconnaissance de l’enfant par le géniteur présumé. Bien sûr, le président sy oppose farouchement, ce qui oblige limpétueuse, de guère lasse, à sintroduire au palais de la République et à faire scandale. Elle débarque en pleine réunion du conseil des ministres et plaide sa cause en présence de tous les membres du gouvernement. Le Premier ministre a en été le premier ému puisquil prend la défense de la jeune femme et demande au président de reconsidérer sa position. Celui-ci, acculé, est obligé de céder. Il promet de reconnaître lenfant et même den épouser la mère
L’auteur du texte, qui n’est autre que le censeur de l’établissement, Bassirou Kassim Minta, a indiqué qu’en tant que pur produit de sa société, il a été inspiré par les réalités qui l’entourent. Car la valeur d’un sujet à l’école ne doit plus servir aux seules formations intellectuelle et pédagogique de l’élève, mais doit s’étendre au volet moral et civique. « Je m’inspire de mes recherches par exemple sur le Net, dans les livres et les anciens répertoires », indique-t-il pour le choix de ses sujets. M. Minta de poursuivre, « lorsque j’ai vu un sujet semblant dans un ancien cahier, j’ai passé une nuit à réfléchir sur les différentes articulations possibles en vu de l’adapter à mon besoin pédagogique ».
Voilà un enseignant qui ne se contente pas de ressasser à longueur dannées, ce quon lui a donné à ingurgiter depuis ses premiers kakis. Son mérite, cest davoir innover, de risquer un texte sur les travers actuels de la société dans laquelle vivent ses apprenants, des apprenants sur lesquels il tente davoir prise en les interrogeant sur des sujets dont ils sont les témoins ou dont ils sont pour les filles les victimes silencieuses.
Au lieu quun tel allant soit salué et encouragé, ou quon en fasse un sujet de débat public parce que induisant la morale des gouvernants , le président Amadou Amani Touré en a pris la mouche. Non seulement, lapprenti écrivain a été pris et emprisonné, mais le journaliste qui a relayé linformation, a subi le même sort. « Offense à la personne du chef de lEtat » ont prétexté les juges. Ce à quoi ont répondu dautres journalistes qui ont repris le texte dans leurs différentes publications, cette fois-ci assorti de commentaires divers. Mais comme ATT ne fait jamais les choses à moitié, il a envoyé en prison tous ces merdeux de petits gausseurs. On se croirait au temps de Sékou Touré. Même Eyadéma, dans ses dernières années, navait pas été si croûteux.
La morale ? Que la preuve est ainsi établie que la réalité a dépassé la fiction, que le chef de lEtat malien sest reconnu dans la peau du président flingueur et que la belle Dily au fessier de jument nest que la réplique dune connaissance proche mais alors très proche
En tout cas, je suis heureux que la littérature de limaginaire hante à nouveau le sommeil des plus grands, quelle réussisse à les interroger sur la pratique quils ont de la gestion des hommes et des femmes dont ils ont la charge…A quand donc le prochain exercice littéraire du censeur Kassim Minta ? Un sujet sur lamant de la première dame ?
Florent COUAO-ZOTTI