
La mère n’était pas rentrée. La peur céda la place au cri silencieux. Dans la maison, les grandes sœurs chuchotaient. On le fit partir de force vers son école lointaine, sise dans l’ancien quartier de son enfance. La famille avait déménagé quand le malheur avait pris le père. Mais l’école était restée à Bassadji, et il y retournait à pied. Un trajet long, épuisant, à descendre la colline et traverser la lagune. Puis le soir, à remonter la lagune et grimper la colline. Au retour, ce jour-là, la mère n’était point là. Le cri fit place au vrai silence. La maison sans la mère, soudain il n’y avait plus place au doute. L’enfant prit ses cahiers et ses livres, les fourra dans son cartable, qu’il glissa sous le lit encombré. Ça chuchotait toujours ! Des voisins venaient et repartaient, et personne n’expliquait rien. Assis sous le manguier, l’enfant observait la ruche. Lui savait que le doute n’était plus permis.
Vers le soir du lendemain, soudain, la porte s’ouvrit. Et les pleurs montèrent. Des pleurs de joie. Les sœurs hurlaient. La mère avait des vêtements qu’on ne lui avait jamais vus. Dépareillés. Elle posa son sac, salua tout le monde. Dans le sac, pas de friandises, mais les vêtements avec lesquels elle avait fait le voyage. Elle les tendit à la sœur, qui alla les tremper dans un seau d’eau. L’enfant s’approcha du seau, et vit l’eau rouge de sang, de beaucoup de sang. La mère ne parla pas beaucoup, elle expliqua simplement que le taxi avait fait des tonneaux, et qu’il y a eu des morts.
« Vous avez mangé ? », déclara-t-elle en se levant, et en se dirigeant vers la cuisine.
L’enfant se glissa sous le lit et sortit le cartable. La mère était de retour. Malgré les habits poisseux de sang. Lui savait qu’elle reviendrait, comme la première fois qu’elle avait quitté la maison. Le père l’avait fâchée, mais elle n’était pas allée loin, elle était revenue très vite, avant la rentrée des classes, et l’achat des cahiers et du cartable.
Je vous présente mes sincères condoléances et que la terre lui soit légère