Un souvenir de ma mère, partie tôt

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memeforgae2Elle devait rentrer ce soir-là. Souvent, elle revenait vers minuit. A l’heure où l’odeur des manguiers devenait sucrée comme une promesse incroyable. La mère ouvrait la porte et souriait à l’enfant qui attendait. Des deux, le plus fatigué n’était pas la voyageuse. Attendre est un métier dont les enfants ont la science, heureusement. La mère ouvrait la porte dans la nuit profonde, posait ses ballots et disait : « Il est tard, il faut aller dormir ».

L’enfant avait le temps, toutefois, d’apercevoir les friandises, et se promettait de les réclamer au réveil. Ce soir-là, elle ne revint pas. Personne ne sut à l’instant pourquoi. Elle était partie la veille, comme à l’accoutumée, acheter son commerce au Nigeria. Nigeria, un nom que l’enfant entendait souvent sans le situer. Ce soir-là, elle ne revint pas. Il s’endormit sans injonction. Et se réveilla sans comprendre.

La mère n’était pas rentrée. La peur céda la place au cri silencieux. Dans la maison, les grandes sœurs chuchotaient. On le fit partir de force vers son école lointaine, sise dans l’ancien quartier de son enfance. La famille avait déménagé quand le malheur avait pris le père. Mais l’école était restée à Bassadji, et il y retournait à pied. Un trajet long, épuisant, à descendre la colline et traverser la lagune. Puis le soir, à remonter la lagune et grimper la colline. Au retour, ce jour-là, la mère n’était point là. Le cri fit place au vrai silence. La maison sans la mère, soudain il n’y avait plus place au doute. L’enfant prit ses cahiers et ses livres, les fourra dans son cartable, qu’il glissa sous le lit encombré. Ça chuchotait toujours ! Des voisins venaient et repartaient, et personne n’expliquait rien. Assis sous le manguier, l’enfant observait la ruche. Lui savait que le doute n’était plus permis.

Vers le soir du lendemain, soudain, la porte s’ouvrit. Et les pleurs montèrent. Des pleurs de joie. Les sœurs hurlaient. La mère avait des vêtements qu’on ne lui avait jamais vus. Dépareillés. Elle posa son sac, salua tout le monde. Dans le sac, pas de friandises, mais les vêtements avec lesquels elle avait fait le voyage. Elle les tendit à la sœur, qui alla les tremper dans un seau d’eau. L’enfant s’approcha du seau, et vit l’eau rouge de sang, de beaucoup de sang. La mère ne parla pas beaucoup, elle expliqua simplement que le taxi avait fait des tonneaux, et qu’il y a eu des morts.

« Vous avez mangé ? », déclara-t-elle en se levant, et en se dirigeant vers la cuisine.

L’enfant se glissa sous le lit et sortit le cartable. La mère était de retour. Malgré les habits poisseux de sang. Lui savait qu’elle reviendrait, comme la première fois qu’elle avait quitté la maison. Le père l’avait fâchée, mais elle n’était pas allée loin, elle était revenue très vite, avant la rentrée des classes, et l’achat des cahiers et du cartable.

 

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