Un Prix Nobel en campagne

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vargasL’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, prix Nobel de Littérature, avait pris ses distances avec son pays, depuis sa candidature malheureuse à l’élection présidentielle de 1990. Quelle affaire que celle de cet écrivain qui aimait Fidel Castro, et quelle aventure que cette incursion dans la politique d’un pays qu’il aimait mais dans lequel il ne vivait plus vraiment ! Dans ses mémoires intitulées El pez en el agua, traduit en français sous le titre Le Poisson dans l’eau (Gallimard, 1996), il analyse froidement son engagement dans ce qui fut son unique bataille électorale. Vargas Llosa s’était impliqué dans ce combat avec l’intensité qu’il mettait à l’élaboration de ses romans. Or, rappelons-le, le romanesque chez Vargas Llosa ne s’exprime pas sur le plan de la contemplation, mais sur celui de l’ordonnancement d’actes dont les rencontres et les collisions font l’objet d’un scénario complexe et méticuleux, construisant non seulement les itinéraires des acteurs, mais également les étapes du travail de découverte et de perception par le lecteur du devenir des diverses intrigues et de leur confluence. Un travail monumental donc, que revendique hautement Vargas Llosa au même titre que l’héritage d’un Balzac ou d’un Flaubert. L’auteur organisa donc sa campagne présidentielle comme il avait construit ses romans en établissant, selon les justes propos du jury Nobel, une « cartographie des structures du pouvoir » et de sa conquête : avec des acteurs qu’il fallut pour certains d’entre eux créer, un mouvement politique et un Frente Democrático (FREDEMO) regroupant les partis de l’opposition dont il organisa la sujétion aux stratégies décidées par le candidat présidentiel. Le candidat Vargas Llosa ne ménagea ni sa peine ni son savoir-faire, mais acheva sa campagne épuisé et battu par le sulfureux Fujimori, de triste mémoire !
poissonL’auteur fournit quelques-uns des éléments qu’il pense être à l’origine de sa défaite. Outre le caractère incontrôlable d’une société traversée par des ressentiments d’ordre ethnique et racial qui lui tient lieu d’explication générale, il évoque aussi des facteurs plus précis. Ainsi se serait-il rendu compte très tôt au cours de sa campagne de la défaillance de l’acteur sans lequel aucun roman électoral n’arrive à son terme : l’acteur majoritaire que les électeurs des classes moyennes – dont l’adhésion fut à l’origine de sa candidature – n’étaient pas à même de former. Vargas Llosa promettait à ses électeurs une prospérité qui ferait du Pérou la Suisse de l’Amérique latine. Le message s’adressait essentiellement aux pauvres et, plus particulièrement, à ceux qui, chaque matin à Lima, ensevelissaient les trottoirs sous un monceau de marchandises sans provenance pour les remballer le soir venu, restituant le droit de circuler aux citadins rentrés chez eux. À ces pauvres, Vargas Llosa expliqua que c’est dans la précarité de leur statut et dans leur déshérence qu’ils trouveraient les ressources de leur salut et de celui du Pérou. Les recettes de cette révolution copernicienne avaient déjà été exposées dans l’ouvrage de l’économiste Hernando de Soto, L’autre sentier : la révolution informelle dans le tiers monde (1986), et relevaient de la plus grande simplicité : faire de l’informalité du travail des 400 000 individus qui transformaient les trottoirs liméniens en étals de marchandises un état reconnu par la loi ; à partir de quoi, par leurs qualités d’ingéniosité, de travail et d’inventivité, en dissipant les miasmes de l’étatisme et de la corruption, ces informels auraient engagé l’économie et la société péruvienne sur le chemin de la prospérité et de la justice. sotosentierCaricaturons le message : pour cesser d’être pauvre, il suffirait en somme de le devenir officiellement. C’est bel et bien cette caricature-là qui fut diffusée au cours de la campagne électorale. Aussi Vargas Llosa se rendit-il rapidement compte de la faible réceptivité de sa candidature dans le milieu de ces informels qui, s’ils connaissaient l’ouvrage d’Hernando de Soto pour en vendre des éditions contrefaites sur les trottoirs, en laissaient le plaisir de la lecture à leurs acheteurs. Le rendez-vous avec les pauvres fut donc un rendez-vous manqué. Au lendemain de la défaite de Mario Vargas Llosa aux élections présidentielles de son pays, on a pu dire : «Tant pis pour le Pérou, tant mieux pour la littérature ! »

One thought on “Un Prix Nobel en campagne”

  1. Moins de chance que Vaclav Havel. VARGAS avait fait campagne comme un intelligent je m’en souviens mais c’est courageux d’analyser ses erreurs. Bonne campagne à Lomé lol.

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