Cher Tavio, en 1994 je t’avais dédicacé ma pièce Nuit de Cristal. Tu étais dans la tombe déjà, depuis l’assassinat qui te faucha la vie le 23 juillet 1992; donc je ne sais pas si tu as pu jeter un coup d’oeil sur ce texte qui racontait, de façon maladroite, nos désillusions de rêveurs éveillés dans le Togo du Général Eyadema. Aujourd’hui, 23 juillet 2006, je t’écris encore, avec l’assurance cette fois-ci que des bribes de ma lettre atteindront les rivages de l’océan qui nous sépare. Ce matin, j’ai allumé l’encens du Tibet, pour accueillir ton souffle en ma demeure, auprès de moi pour quelques heures, et deux cierges, une pour le parti que tu créas, le PSP (Parti Socialiste Panafricain), qui n’a pas survécu à ta mort, et une autre pour le MO5 (Mouvement du 05 Octobre) dont tu fus membre fondateur, un MO5 qui survit vaille que vaille malgré l’exil de la plupart de ses animateurs. C’est à toi que je pense, et à rien d’autre. Même pas à tes assassins, qui ont signé leur crime, dit-on, en jetant sur ton corps agonisant leurs cartes d’identité de policiers. Ils n’ont jamais été inquiétés. Oh, tu sais, je n’ai plus envie d’entendre tout cela, mais juste t’entendre toi me parler dans la solitude de nos deux coeurs. Ou bien, est-ce à moi de te parler? Que dire alors? On trime, on peine à tenir debout avec nos rêves émiettés par le quotidien de l’exil et de la nostalgie. On est, pour certains d’entre nous, devenus réalistes, on fait un peu dans l’amalgame si tu veux, mais la fin ne justifie-t-elle pas les moyens? Que te dire encore? Que notre génération se meurt, abandonnée à elle-même, et qu’elle a peur de passer sans jamais avoir tenté de faire briller le flambeau? Tu vois, c’est plutôt à toi de me parler, pour m’éviter de ressasser. Les cierges brûlent toujours dans le couloir de mon appartement, alors j’attends et j’arrête de parler pour ne rien dire.
Ah, quand même, joubliais… Les dernières élections ont été une honte à TiBrava, enfin j’appelle le pays ainsi dans mes livres, tu vois, même nommer les choses nous coûte. Rien à signaler, le père est mort, son fils a repris laffaire. On dit que le fils est un peu différent, qu’il est prêt à replanter le rêve sur nos terres désertées; ah, on dit, à moi personnellement il n’a pas encore donné de preuves, alors j’attends et j’espère. Allez, Tavio, bonne journée, et dors bien ce soir, et si la lune sur ta tombe passe, attrape-la, c’est ta seule chance de voir le soleil à minuit, à minuit le soleil brille pour tous les morts, dixit l’autre ami Tchicaya U’Tamsi. Repose en paix, mon ami, mon frère!
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