SYLVANUS OLYMPIO, L’AUTRE VERITE INTERDITE

pic56.jpgAtsutsé Kokouvi Agbogbli, historien et politologue togolais, vient de publier aux éditions Graines de pensées à Lomé, une biographie consacrée au premier président togolais intitulé justement Sylvanus Olympio, le père de l’indépendance du Togo. L’écrivain béninois Florent Couao-Zotti l’a lu… pour nous! (K.A)

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agbobli.jpgAtsutsé Kokouvi Agbogbli (photo ci-contre), historien et politologue togolais, vient de publier aux éditions Graines de pensées à Lomé, une biographie consacrée au premier président togolais intitulé justement Sylvanus Olympio, le père de l’indépendance du Togo.

Ce livre qui vient, à la suite d’autres témoignages, éclairer la personnalité de cet homme d’Etat, est essentiellement bâti autour de son assassinat survenu le 13 janvier 1963. Ce qui est remarquable ici, c’est l’élaboration quasi romanesque du récit, construit à la manière d’une intrigue policière, un triller dont on entrevoit, pièce après pièce, le dénouement tragique.

Le premier chapitre nous plonge dans « la nuit fatale », celle du 12 au 13 janvier au matin. Le chef de l’Etat, qui est pourtant informé de l’opération montée contre lui, se réfugie derrière son assurance habituelle, estimant que sa garde, pourtant restreinte, serait capable de renvoyer à leurs galons les membres du commando. Il était même persuadé qu’au-delà, son peuple serait en mesure de faire barrage à tout intrigant voulant attenter à sa vie. Naïveté ? Prétention ?

En tout cas, les choses ne tardent pas à se gâter. La garde est neutralisée et des tirs nourris arrosent sa chambre à coucher. Dépité, le président escale le mur de clôture de sa maison qui fait corps avec celui de l’ambassade des Etats-Unis, et trouve cachette à l’intérieur d’une voiture stationnée dans la cour. Toute la nuit, le commando le recherche. A la pointe du jour, alors que tout espoir semble perdu, le sergent-chef Etienne Eyadema – chef du commando – informé par un diplomate étranger en poste, s’introduit souverainement dans l’ambassade avec ses hommes, et retrouve le fugitif. L’infortuné est alors entraîné hors de la légation et sommé de les suivre au camp Tokoin. Refus. Ordre. Le ton monte. Dans le voile du petit matin, trois coups de feu éclatent. Sylvanus Olympio s’écroule, mort.

SylvanusOlympio.jpgMais qui est cet homme qui a suscité tant de frustrations – voire de haine – au point d’être abattu comme un vulgaire poulet ? Qui étaient les membres du commando ? Que voulaient-ils ? Et qui était caché derrière l’opération ?

Dans les chapitres suivants, Atsutsé Kokouvi Agbogbli remonte le temps pour reconstruire le parcours du personnage de Sylvanus Olympio, depuis sa naissance en 1906 à Kpando (actuel Ghana) jusqu’à sa mort. Il développe, sur la foi de documents, de témoignages recoupés, un argumentaire qui justifierait les mobiles du crime et du putsch.

Selon l’auteur, ce sont les militaires démobilisés de l’armée française qui exigeaient du président d’être reversés dans la nouvelle armée togolaise. Le refus du chef de l’Etat ainsi que son attitude sectaire et autoritaire vis-à-vis des opposants les auraient décidé à initier l’opération. Chose étrange : ils devraient aller juste faire entendre, baïonnette au poing, leurs revendications, mais ils en sont revenus avec le meurtre du président et l’arrestation de la quasi-totalité des membres du gouvernement.

Autres interrogations : si aucune puissance n’a soutenu, ni aiguillonné les putschistes, comment ceux-ci ont-ils été instruits de la cachette du leader togolais en fuite ? Qui était cet informateur étranger ? Au nom de quoi le commando a-t-il allègrement enfreint les conventions internationales d’inviolabilité des ambassades ? Et pourquoi le président a-t-il été exécuté alors qu’il était déjà neutralisé ? Et, d’ailleurs, parlant des trois tirs fatals, qui en est l’auteur ?

A ce propos, l’historien évite de croire que ce soit Etienne Eyadema, celui qui a revendiqué le meurtre. Etienne Eyadema appelé « l’illustre inconnu du 13 janvier » à qui un chapitre est consacré, apparaît comme un habile opportuniste, un soldat rusé qui a pu tirer profit de ce crime. De simple sergent-chef démobilisé voué au chômage, il était devenu le symbole du putschiste froid et criminel dont la tête, aux lendemains des événements, avait été réclamée par les voisins du Togo, en l’occurrence le ministre des affaires étrangères du Dahomey, le bouillant Emile Derlin Zinsou.

pic56.jpgEn refermant cet ouvrage, on est partagé par deux sentiments contradictoires. D’un côté, un livre passionnant, documenté qui fourmille d’anecdotes, de faits et de situations rapportées et sur lesquels ne plane aucun doute. De l’autre, des interrogations, des incertitudes et même quelque fois, du scepticisme. Certes, plus de quarante années se sont écoulées après les événements du 13 janvier 1963, mais il n’empêche que nombre d’acteurs sont encore présents – des deux côtés de la frontière togolaise – et qui peuvent éclairer nos lanternes.

C’est pourquoi, je trouve bien amusant que l’auteur joue à la diversion de l’énigme policière lorsqu’il explore les pistes conduisant à la vérité sur l’identité réelle du meurtrier de Sylvanus Olympio. Chaque fois que des aveux sont sur le point d’être recueillis, les témoins reportent pour plus tard leurs confessions, se rebiffent à la dernière minute, quand ils ne sont pas tout simplement emportés par la mort. Ce qui atteste incontestablement de ce que cette histoire reste, sinon à approfondir, du moins, à compléter.

©Florent COUAO-ZOTTI

Écrivain, Bénin

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