
Ce livre qui vient, à la suite dautres témoignages, éclairer la personnalité de cet homme dEtat, est essentiellement bâti autour de son assassinat survenu le 13 janvier 1963. Ce qui est remarquable ici, cest lélaboration quasi romanesque du récit, construit à la manière dune intrigue policière, un triller dont on entrevoit, pièce après pièce, le dénouement tragique.
Le premier chapitre nous plonge dans « la nuit fatale », celle du 12 au 13 janvier au matin. Le chef de lEtat, qui est pourtant informé de lopération montée contre lui, se réfugie derrière son assurance habituelle, estimant que sa garde, pourtant restreinte, serait capable de renvoyer à leurs galons les membres du commando. Il était même persuadé quau-delà, son peuple serait en mesure de faire barrage à tout intrigant voulant attenter à sa vie. Naïveté ? Prétention ?
En tout cas, les choses ne tardent pas à se gâter. La garde est neutralisée et des tirs nourris arrosent sa chambre à coucher. Dépité, le président escale le mur de clôture de sa maison qui fait corps avec celui de lambassade des Etats-Unis, et trouve cachette à lintérieur dune voiture stationnée dans la cour. Toute la nuit, le commando le recherche. A la pointe du jour, alors que tout espoir semble perdu, le sergent-chef Etienne Eyadema chef du commando informé par un diplomate étranger en poste, sintroduit souverainement dans lambassade avec ses hommes, et retrouve le fugitif. Linfortuné est alors entraîné hors de la légation et sommé de les suivre au camp Tokoin. Refus. Ordre. Le ton monte. Dans le voile du petit matin, trois coups de feu éclatent. Sylvanus Olympio sécroule, mort.
Mais qui est cet homme qui a suscité tant de frustrations voire de haine au point dêtre abattu comme un vulgaire poulet ? Qui étaient les membres du commando ? Que voulaient-ils ? Et qui était caché derrière lopération ?
Dans les chapitres suivants, Atsutsé Kokouvi Agbogbli remonte le temps pour reconstruire le parcours du personnage de Sylvanus Olympio, depuis sa naissance en 1906 à Kpando (actuel Ghana) jusquà sa mort. Il développe, sur la foi de documents, de témoignages recoupés, un argumentaire qui justifierait les mobiles du crime et du putsch.
Selon lauteur, ce sont les militaires démobilisés de larmée française qui exigeaient du président dêtre reversés dans la nouvelle armée togolaise. Le refus du chef de lEtat ainsi que son attitude sectaire et autoritaire vis-à-vis des opposants les auraient décidé à initier lopération. Chose étrange : ils devraient aller juste faire entendre, baïonnette au poing, leurs revendications, mais ils en sont revenus avec le meurtre du président et larrestation de la quasi-totalité des membres du gouvernement.
Autres interrogations : si aucune puissance na soutenu, ni aiguillonné les putschistes, comment ceux-ci ont-ils été instruits de la cachette du leader togolais en fuite ? Qui était cet informateur étranger ? Au nom de quoi le commando a-t-il allègrement enfreint les conventions internationales dinviolabilité des ambassades ? Et pourquoi le président a-t-il été exécuté alors quil était déjà neutralisé ? Et, dailleurs, parlant des trois tirs fatals, qui en est lauteur ?
A ce propos, lhistorien évite de croire que ce soit Etienne Eyadema, celui qui a revendiqué le meurtre. Etienne Eyadema appelé « lillustre inconnu du 13 janvier » à qui un chapitre est consacré, apparaît comme un habile opportuniste, un soldat rusé qui a pu tirer profit de ce crime. De simple sergent-chef démobilisé voué au chômage, il était devenu le symbole du putschiste froid et criminel dont la tête, aux lendemains des événements, avait été réclamée par les voisins du Togo, en loccurrence le ministre des affaires étrangères du Dahomey, le bouillant Emile Derlin Zinsou.
En refermant cet ouvrage, on est partagé par deux sentiments contradictoires. Dun côté, un livre passionnant, documenté qui fourmille danecdotes, de faits et de situations rapportées et sur lesquels ne plane aucun doute. De lautre, des interrogations, des incertitudes et même quelque fois, du scepticisme. Certes, plus de quarante années se sont écoulées après les événements du 13 janvier 1963, mais il nempêche que nombre dacteurs sont encore présents des deux côtés de la frontière togolaise et qui peuvent éclairer nos lanternes.
Cest pourquoi, je trouve bien amusant que lauteur joue à la diversion de lénigme policière lorsquil explore les pistes conduisant à la vérité sur lidentité réelle du meurtrier de Sylvanus Olympio. Chaque fois que des aveux sont sur le point dêtre recueillis, les témoins reportent pour plus tard leurs confessions, se rebiffent à la dernière minute, quand ils ne sont pas tout simplement emportés par la mort. Ce qui atteste incontestablement de ce que cette histoire reste, sinon à approfondir, du moins, à compléter.
©Florent COUAO-ZOTTI
Écrivain, Bénin