Lincinération de nos morts pour leur honneur et pour le nôtre
(Par Roger Gbégnonvi)
Lune des raisons pour lesquelles Jésus, le Christ, a été torturé et crucifié, cest davoir traité de sépulcres blanchis (Mat., 23/27) la fine fleur de la société juive de son époque. Cette comparaison pour le moins désobligeante, il ne laurait pas faite si les Juifs avaient eu la très bonne habitude que lon a en Inde dincinérer les morts et de répandre leurs cendres dans la nature. Le samedi 9 septembre, en lan de grâce 2006, les morts arrivés de Cotonou ont été stoppés net dans leur élan et empêchés pendant des heures de rejoindre leur dernière demeure au cimetière de Somè. Cet affront invraisemblable et bien de notre temps, les populations de Togba, près dAbomey-Calavi, ne lauraient pas fait subir aux morts si, à linstar de certains Américains et Européens, les Béninois avaient commencé dimiter lInde, en confiant leurs morts à la vertu purificatrice du feu.
Car lorsque lon imagine un peu tout ce qui grouille sous la terre, lon se convainc aisément que lincinération est infiniment plus propre et plus belle que linhumation qui livre le corps du défunt aux affres de lhumiliation au bout desquelles lêtre aimé inhumé devient cette carcasse horrible dont se sert limagerie populaire et religieuse pour symboliser Satan dans ses uvres et dans ses pompes. Et nest-ce pas uvres et pompes de Satan que la coutume béninoise qui consiste à (faire) piller allègrement les tombes pour récupérer crânes et tibias que lon retrouve sur le marché Dantokpa et que le tout venant, qui connaît le mot de passe, peut se procurer à une modique somme (3.500 f CFA !?) pour des fins sombres, immondes et honteuses ? Et cest peut-être pour continuer à perpétrer ces horreurs mercantiles et bacchantes que le Béninois voit rouge et crie au scandale quand on lui parle dincinération. Le scandale, cest ce qui sest passé samedi dernier à Togba et qui prouve bien que, malgré les apparences ou précisément à cause delles, les morts ne nous importent pas pour eux-mêmes ni pour une quelconque vénération. Le scandale au superlatif, ce sont les crânes et tibias de nos morts à Dantokpa et qui prouvent bien que nos morts ne nous importent que dans la mesure où ils nous rapportent gros pour nos manipulations infestes, nos fumigations et nos incantations. Nos morts nous intéressent comme de puissants ustensiles de cuisine.
Pour éviter scandale, profanation et manipulations infestes de nos morts, il ny a quune solution, et cest lincinération à lindienne. Les Américains et les Européens qui lont adoptée conservent parfois les cendres dans des urnes ouvragées. Cette solution ne peut pas être béninoise. Comme il est de coutume et normal en Inde, le Béninois devra répandre les cendres dans la nature pour séviter la tentation de récupération du contenu des urnes aux mêmes fins de manipulations infestes.
Si nous sommes tant soit peu honnêtes et sincères, nous devons admettre que ce nest pas lincinération qui fait froid dans le dos, mais bien plutôt linhumation et tout ce qui sensuit de naturel dabord et qui nest pas beau, et qui précède labject mercantilisme des vivants lorsque crânes et tibias humains se retrouvent sur les étagères, cachés derrière les mâchoires de chat, les plumes de chouette, les dents de crocodile. Que vient chercher lhomme, que viennent chercher ses restes au milieu de cette funeste ménagerie ? Nous navons pas le droit de nous rendre capables et coupables de ça sur nos morts quand nous les avons enfouis sous terre.
Et pour nous enlever toute envie de continuer à le faire, il ny a que lincinération. Nous ny perdrons rien, nous y gagnerons tout, puisque, bon an mal an, nos salles des autels pour les mânes des ancêtres resteront ouvertes et fonctionnelles et que, périodiquement, comme cest de coutume dans certaines régions, nos morts reviendront danser, parés de leurs couleurs dor. Nest-ce pas là le meilleur hommage à nos morts ? Lincinération viendra nous le confirmer et nous y confirmer en nous débarrassant de tous les miasmes macabres qui nont que trop tendance à nous renvoyer en dessous de nous-mêmes.
Lincinération de nos morts sera pour leur honneur et pour le nôtre.