Que peut la Francophonie au Togo ?

francologo.jpg…l’idéal francophone suit un chemin d’utopie… depuis les premiers rêves des pères fondateurs de la Francophonie que sont Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba, Norodom Sihanouk et Hamani Diori… se servir de l’envergure de la langue française pour intégrer leurs pays à la communauté internationale. Cela peut faire sourire, une communauté basée sur le partage de langue, mais même sur ce terrain-là, la Francophonie a beaucoup évolué…

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francologo.jpgLe Conseil permanent de la Francophonie, réuni à Vientiane (Laos), le 19 novembre 2007, pour sa 65e session, en décidant de la levée du maintien sous examen du Togo prononcé lors de la 64e session du Conseil, a signé le retour de notre pays au sein de la famille francophone. Depuis lors, tout en encourageant les autorités togolaises et l’ensemble des protagonistes à poursuivre leur mobilisation en faveur d’une vie démocratique apaisée et de la consolidation de l’État de droit, le Secrétaire Général de l’OIF (Organisation internationale Diouf.jpgde la Francophonie), le Président Abdou Diouf, n’a pas cessé d’apporter son soutien résolu et multiforme au processus politique en cours au Togo. Peu de gens le savent, mais les actions de soutien de l’OIF sont effectivement nombreuses et touchent généralement tous les ministères : éducation, tourisme, culture, communication, justice, économie, affaires étrangères, etc. Le dernier exemple en date est l’appui que l’Organisation, directement ou à travers son Bureau Régional de Lomé, le Bureau Régional de l’Afrique de l’Ouest (Brao), dirigé par M. Etienne Alingué, apporte au processus Vérité-Réconciliation à travers plusieurs projets sur lesquels nous reviendrons dans un futur article, quand le processus aura atteint sa phase pratique.

Il y a une autre vérité à savoir : fort aujourd’hui de ses 55 États et gouvernements membres, ainsi que de ses 13 pays observateurs, l’Organisation Internationale de la Francophonie n’est plus une institution qui se cherche. Au contraire, malgré les crises qu’elle a traversé, les critiques justes et injustes qu’elle subit tous les jours, elle décline désormais de façon sereine sa vison du monde, qui est d’apporter à ses États membres un appui dans l’élaboration ou la consolidation de leurs politiques à travers des actions de coopération bilatérale, conformément aux grandes missions tracées par le Sommet de la Francophonie, missions qu’il faut absolument rappeler pour que les citoyens de l’espace francophone prennent la mesure des ambitions de l’OIF : promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique ; promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme ; appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche ; développer la coopération au service du développement durable et de la solidarité.

On le voit donc, l’idéal francophone suit un chemin d’utopie, au sens positif et dynamique du mot, qui n’a cessé de devenir pragmatique depuis les premiers rêves des pères fondateurs de la Francophonie que sont Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba, Norodom Sihanouk et Hamani Diori, de se servir de l’envergure de la langue française pour intégrer leurs pays à la communauté internationale. Cela peut faire sourire, une communauté basée sur le partage de langue, mais même sur ce terrain-là, la Francophonie a beaucoup évolué, qui ne confond pas langue et valeurs, mais prône la célébration de la diversité linguistique, faisant de la langue française, langue coloniale certes mais langue internationale, le socle à partir duquel développer les langues partenaires. N’est-ce pas cela que le groupe des signataires du « Manifeste pour la littérature-monde en français » n’ont pas compris, en déclarant récemment la Francophonie obsolète ? Personnellement je m’interroge devant ce manifeste concocté par des écrivains qui prennent Paris pour le nombril du monde. Et j’interroge les auteurs africains signataires de ce fumeux texte : comment peut-on concevoir pour les littératures africaines de demain un enfermement dans la simple langue française, alors qu’il faille souhaiter la multiplication des traductions du corpus littéraire francophone dans les grandes langues nationales africaines ? Certains programmes de l’OIF, comme le soutien au développement des réseaux de lecture publique, ou celui dirigé par le linguiste kilanga.jpgcongolais Julien Kilanga Musinde (photoci-contre), ancien recteur de l’Université de Lubumbashi, développent cet esprit-là, à travers le financement de traductions en langues nationales ou la confection de grands dictionnaires transversaux, à l’instar du tout récent Dictionnaire Français-Sango-Lingala ! Point besoin de rappeler que par-delà les questions linguistiques, ce qui se joue est de l’ordre de la décomplexion des mentalités par rapport à l’histoire et une sauvegarde des richesses inhérentes à un enracinement dans l’humus national. À côté, « la littérature-monde en français », qu’en français, me semble plutôt une régression dangereuse, et confirme cette réalité que les intellectuels français ont de la peine à concevoir la diversité culturelle comme une source d’enrichissement.

La Francophonie est donc un outil intéressant et efficace pour un développement multisectoriel des pays africains, et c’est fort convaincu de cette réalité que le Président de la République, Faure Gnassingbé, a récemment confirmé au Président Abdou Diouf sa volonté de rendre plus visible la Francophonie au Togo, en faisant aboutir dans un proche futur, le projet de construction de la Maison de la Francophonie sur son site du campus de Lomé. Il est indéniable que la construction d’une telle maison, forcément polyvalente dans son fonctionnement, en plus de l’existence du Brao, de la Commission Nationale de la Francophonie, du Village du Bénin, fournirait aux citoyens un cadre public facile d’accès où se divertir et se renseigner au quotidien sur les projets que l’OIF peut soutenir. Un autre projet pilote de l’OIF est en cours actuellement dans un pays voisin comme le Burkina-Faso, il s’agit du projet de la Maison des Savoirs Francophones, on peut raisonnablement souhaiter que notre future Maison de la Francophonie évolue au point de se transformer à son tour en une véritable Maison des Savoirs Francophones. C’est de l’ordre du possible, si nous y mettons de la volonté.

C’est justement sur ce terrain volontariste que la Francophonie souffre parfois de lisibilité. Le dire n’est pas porter préjudice à l’idéal francophone, au contraire. Car au même moment où certains partenaires jouent le jeu, d’autres veulent faire cavalier seul. Dans un récent rapport intitulé « Pour une Renaissance de la Francophonie » (juin 2008), et remis à M. Alain Joyandet, Secrétaire d’État chargé de la Coopération et de la Francophonie, par M. Hervé Bourges, ce dernier rappelle quelques vérités, notamment celles relatives aux difficultés de circulation dans l’espace francophone, que cela soit du Sud vers le Nord ou entre les pays du Sud. Ceci met à mal l’idée d’une « communauté effective et agissante ». Si du côté français, la cause en est le repli de la France sur elle-même, avec pour horizon l’Union Européenne, du côté africain nous avons à trouver les raisons qui nous empêchent de coopérer au sein de l’espace francophone.

Les célébrations de la Journée du 20 mars par exemple, n’ont jamais donné lieu (à moins que je sois sous-informé) à des actions croisées entre le Togo et le Bénin, ou du Togo avec le Burkina-Faso. Or, on peut imaginer que le dynamisme des uns peut profiter aux autres, et faciliter la perception au niveau symbolique par nos populations de l’existence réelle d’une communauté agissante. Le rapport d’Hervé Bouges tente de réfléchir à partir de la France, avec des propositions fortes en 16 points qui forcent l’admiration ; il nous appartient, au niveau régional africain de continuer à dialoguer, afin de trouver des solutions au manque de visibilité de l’OIF, situation injuste, car la Francophonie prend au jour le jour du poids sur le plan politique africain, par son engagement dans les processus de pacification (Anjouan, Tchad…) ou de démocratisation (Togo, Côte-d’Ivoire, RCA, Kenya, Zimbabwe…), sans compter son rôle décisif dans l’adoption par l’Unesco de la Charte sur la Diversité culturelle, ou son engagement pratique à travers ses opérateurs majeurs que sont TV5, l’Agence Universitaire de la Francophonie, l’Association des Maires Francophones, l’Université Senghor. Pourquoi mettre sous le boisseau sa lumière, qui n’est pas moins éclairante que d’autres ?

La Francophonie est un outil efficace, je le répète, dont les citoyens togolais devraient de plus en plus se saisir pour penser le développement national, secteur par secteur. De notre côté, nous restons disponibles, pour réfléchir ensemble avec les opérateurs locaux aux actions utiles et nécessaires pour le rayonnement de l’idéal francophone.

Kangni Alem ALEMDJRODO

Écrivain et universitaire, l’auteur de l’article est Membre du Conseil Permanent de la Francophonie et Sherpa.

P.S./A propos du manifeste pour une littérature-monde en français

Le texte : http://www.etonnants-voyageurs.com/spip.php?article1574

Une réaction : http://www.najjar.org/litteratureMondeEnFrancais.asp