

Il y a une autre vérité à savoir : fort aujourdhui de ses 55 États et gouvernements membres, ainsi que de ses 13 pays observateurs, lOrganisation Internationale de la Francophonie nest plus une institution qui se cherche. Au contraire, malgré les crises quelle a traversé, les critiques justes et injustes quelle subit tous les jours, elle décline désormais de façon sereine sa vison du monde, qui est dapporter à ses États membres un appui dans lélaboration ou la consolidation de leurs politiques à travers des actions de coopération bilatérale, conformément aux grandes missions tracées par le Sommet de la Francophonie, missions quil faut absolument rappeler pour que les citoyens de lespace francophone prennent la mesure des ambitions de lOIF : promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique ; promouvoir la paix, la démocratie et les droits de lHomme ; appuyer léducation, la formation, lenseignement supérieur et la recherche ; développer la coopération au service du développement durable et de la solidarité.
On le voit donc, lidéal francophone suit un chemin dutopie, au sens positif et dynamique du mot, qui na cessé de devenir pragmatique depuis les premiers rêves des pères fondateurs de la Francophonie que sont Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba, Norodom Sihanouk et Hamani Diori, de se servir de lenvergure de la langue française pour intégrer leurs pays à la communauté internationale. Cela peut faire sourire, une communauté basée sur le partage de langue, mais même sur ce terrain-là, la Francophonie a beaucoup évolué, qui ne confond pas langue et valeurs, mais prône la célébration de la diversité linguistique, faisant de la langue française, langue coloniale certes mais langue internationale, le socle à partir duquel développer les langues partenaires. Nest-ce pas cela que le groupe des signataires du « Manifeste pour la littérature-monde en français » nont pas compris, en déclarant récemment la Francophonie obsolète ? Personnellement je minterroge devant ce manifeste concocté par des écrivains qui prennent Paris pour le nombril du monde. Et jinterroge les auteurs africains signataires de ce fumeux texte : comment peut-on concevoir pour les littératures africaines de demain un enfermement dans la simple langue française, alors quil faille souhaiter la multiplication des traductions du corpus littéraire francophone dans les grandes langues nationales africaines ? Certains programmes de lOIF, comme le soutien au développement des réseaux de lecture publique, ou celui dirigé par le linguiste congolais Julien Kilanga Musinde (photoci-contre), ancien recteur de lUniversité de Lubumbashi, développent cet esprit-là, à travers le financement de traductions en langues nationales ou la confection de grands dictionnaires transversaux, à linstar du tout récent Dictionnaire Français-Sango-Lingala ! Point besoin de rappeler que par-delà les questions linguistiques, ce qui se joue est de lordre de la décomplexion des mentalités par rapport à lhistoire et une sauvegarde des richesses inhérentes à un enracinement dans lhumus national. À côté, « la littérature-monde en français », quen français, me semble plutôt une régression dangereuse, et confirme cette réalité que les intellectuels français ont de la peine à concevoir la diversité culturelle comme une source denrichissement.
La Francophonie est donc un outil intéressant et efficace pour un développement multisectoriel des pays africains, et cest fort convaincu de cette réalité que le Président de la République, Faure Gnassingbé, a récemment confirmé au Président Abdou Diouf sa volonté de rendre plus visible la Francophonie au Togo, en faisant aboutir dans un proche futur, le projet de construction de la Maison de la Francophonie sur son site du campus de Lomé. Il est indéniable que la construction dune telle maison, forcément polyvalente dans son fonctionnement, en plus de lexistence du Brao, de la Commission Nationale de la Francophonie, du Village du Bénin, fournirait aux citoyens un cadre public facile daccès où se divertir et se renseigner au quotidien sur les projets que lOIF peut soutenir. Un autre projet pilote de lOIF est en cours actuellement dans un pays voisin comme le Burkina-Faso, il sagit du projet de la Maison des Savoirs Francophones, on peut raisonnablement souhaiter que notre future Maison de la Francophonie évolue au point de se transformer à son tour en une véritable Maison des Savoirs Francophones. Cest de lordre du possible, si nous y mettons de la volonté.
Cest justement sur ce terrain volontariste que la Francophonie souffre parfois de lisibilité. Le dire nest pas porter préjudice à lidéal francophone, au contraire. Car au même moment où certains partenaires jouent le jeu, dautres veulent faire cavalier seul. Dans un récent rapport intitulé « Pour une Renaissance de la Francophonie » (juin 2008), et remis à M. Alain Joyandet, Secrétaire dÉtat chargé de la Coopération et de la Francophonie, par M. Hervé Bourges, ce dernier rappelle quelques vérités, notamment celles relatives aux difficultés de circulation dans lespace francophone, que cela soit du Sud vers le Nord ou entre les pays du Sud. Ceci met à mal lidée dune « communauté effective et agissante ». Si du côté français, la cause en est le repli de la France sur elle-même, avec pour horizon lUnion Européenne, du côté africain nous avons à trouver les raisons qui nous empêchent de coopérer au sein de lespace francophone.
Les célébrations de la Journée du 20 mars par exemple, nont jamais donné lieu (à moins que je sois sous-informé) à des actions croisées entre le Togo et le Bénin, ou du Togo avec le Burkina-Faso. Or, on peut imaginer que le dynamisme des uns peut profiter aux autres, et faciliter la perception au niveau symbolique par nos populations de lexistence réelle dune communauté agissante. Le rapport dHervé Bouges tente de réfléchir à partir de la France, avec des propositions fortes en 16 points qui forcent ladmiration ; il nous appartient, au niveau régional africain de continuer à dialoguer, afin de trouver des solutions au manque de visibilité de lOIF, situation injuste, car la Francophonie prend au jour le jour du poids sur le plan politique africain, par son engagement dans les processus de pacification (Anjouan, Tchad ) ou de démocratisation (Togo, Côte-dIvoire, RCA, Kenya, Zimbabwe ), sans compter son rôle décisif dans ladoption par lUnesco de la Charte sur la Diversité culturelle, ou son engagement pratique à travers ses opérateurs majeurs que sont TV5, lAgence Universitaire de la Francophonie, lAssociation des Maires Francophones, lUniversité Senghor. Pourquoi mettre sous le boisseau sa lumière, qui nest pas moins éclairante que dautres ?
La Francophonie est un outil efficace, je le répète, dont les citoyens togolais devraient de plus en plus se saisir pour penser le développement national, secteur par secteur. De notre côté, nous restons disponibles, pour réfléchir ensemble avec les opérateurs locaux aux actions utiles et nécessaires pour le rayonnement de lidéal francophone.
Kangni Alem ALEMDJRODO
Écrivain et universitaire, lauteur de larticle est Membre du Conseil Permanent de la Francophonie et Sherpa.
P.S./A propos du manifeste pour une littérature-monde en français
Le texte : http://www.etonnants-voyageurs.com/spip.php?article1574
Une réaction : http://www.najjar.org/litteratureMondeEnFrancais.asp