Je ne sais même plus dans combien de langues son livre a été traduit. De loin, il est le seul véritable best-seller de la littérature togolaise. Il s’appelle Tété-Michel KPOMASSIE, auteur de L’Africain du Groenland, un récit de voyage préfacé par l’universitaire français Jean Malaurie et publié chez l’éditeur français Flammarion en 1981.
LAfricain du Groenland raconte les tribulations dun jeune togolais en rupture de ban, qui décide de fuguer et de rejoindre le Groenland, la plus grande île au monde, située au nord de lAmérique. Jouvre une parenthèse pour signaler que cette entreprise folle par un jeune africain dune vingtaine dannées, au moment où, comme lui-même lécrit, beaucoup de ses compatriotes assuraient leur avenir en se faisant recruter au Ghana ou dans les pays voisins, « au sein déphémères institutions panafricaines », cette entreprise donc répondait à un réel besoin de sortir de la collectivité. Un voyage de huit ans, pour rejoindre cette banquise quil avait érigée en espace de liberté. Où les enfants sont rois, selon les termes du Dr Robert Gessain, auteur dun livre qui lavait émerveillé : Les esquimaux, du Groenland à lAlaska. La parenthèse refermée, revenons à la raison majeure de la fuite de Kpomassie vers son Groenland mythique, où il espère quil ny aurait pas de serpents. Ce qui déclenche sa fuite hors du Togo, sa rencontre avec un reptile. Dans des circonstances particulières. Un jour en brousse, le jeune Kpomassie faillit être mordu par un serpent, voulant lui échapper il se réfugia au sommet dun arbre dont il chuta. Résultat, plusieurs semaines de fièvre. Cest lors dune consultation animiste que loracle, voulant connaître ses rapports dans le passé avec le python va découvrir ce quil estime la cause probable des malheurs du jeune garçon. Limportance du python dans limaginaire de la collectivité du jeune malade doit ici être rappelée :
« Le vrai nom du python, dangbé (de dan, serpent), nest pas toujours prononcé. On lui substitue souvent celui de togbé, grand-père. Comment ce serpent est-il devenu un dieu pour nous, nous lignorons. Cependant nous pouvons dire, avec réserve toutefois, que le Dahomey, haut lieu du culte des serpents, en est aussi lorigine. Car le nom du Dahomey vient de Dan Homé, mots qui, dans la langue mina ( ) signifient, suivant linflexion de la voix, la case ou le ventre de Dan, cest-à-dire du Serpent. Il est donc probable que les Adjas, les émigrés du Dahomey qui vinrent se réfugier dans le village devenu Bè, arrivèrent dans leur nouvelle cachette munis des autels de leurs dieux pénates, dont celui du Python ; que ces nouveaux dieux trouvèrent facilement place parmi ceux déjà nombreux, qui existaient dans la région, et quà la longue le python devint aussi, tout simplement, un dieu pour nous. Il y eut donc un grand silence quand la prêtresse, apprenant que javais vu écorcher un python devant un hôtel européen, jeta ce cri douloureux. Puis elle me dit : Ignores-tu que cette vision ta souillé ? Pauvre enfant ! Il faut te purifier » Mais il ny aura pas que purification. Au contraire, une tentative denrôler le futur écrivain au nombre des prêtres du dieu python, statut considéré comme un privilège par sa famille et que le jeune garçon, lui, verra dun autre il, préférant senfuir et conquérir sa liberté hors du royaume du python.Dans le champ littéraire togolais, LAfricain du Groenland demeure un livre capital, non par sa qualité décriture, mais par ce parti-pris dun jeune auteur à porter le fer dans la plaie, dans un pays dont lhistoire politique depuis une trentaine dannées demeure marquée par lactualité de la dictature et des restaurations autoritaires. La critique, sur place, reconnaît rarement cette qualité à lauteur, préférant laccueillir comme lexpression dun exotisme à rebours (lecture plausible), alors que se trouve là, le premier ouvrage à poser clairement laffirmation de la primauté du sujet sur toute logique collectiviste.
En dehors d’un autre livre qui n’a pas eu la même audience, En mission avec Hôpital sans frontières (Flammarion, 1993), Kpomassie na plus rien écrit depuis. Il a quitté le Togo, brouillant définitivement les pistes, et beaucoup de critiques sinterrogent encore sur cette coupure radicale davec le pays natal.Une relation de voyage étrange, fascinante, à relire en évitant soigneusement la stupide préface de Jean Malaurie.