Pour saluer Molina…

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10931111_10205792233310288_1565998355918887790_nPOUR SALUER ANTONIO MUNOZ MOLINA
L’Hiver à Lisbonne ou Un hiver à Lisbonne, j’ai connu ce roman sous ses deux titres français, et me suis toujours demandé lequel des deux titres avait la préférence de son auteur. Je sais, pour avoir étudié les subtilités de la grammaire française, que la nuance particulière introduite dans Un Hiver dépasse la généralité de L’Hiver… ça c’est la langue française, et ses curiosités.
J’ai aimé ce roman, et je voudrais partager avec vous mes souvenirs de lecteur.

Primo : je me souviens de l’utilisation du jazz dans le roman. La manière dont il imprègne L’Hiver/Un hiver… m’ a fait me demander quels sont les sources d’inspiration de l’auteur, en matière musicale, et uniquement pour ce roman-ci. Souvenez-vous, si vous avez lu ce roman. Santiago Biralbao, pianiste de jazz, vit une passion pour la belle Lucrecia, sous les yeux de son ami, le narrateur témoin qui nous raconte leur histoire. Mais Lucrecia est mariée à Malcom, dit l’Américain, un type peu fréquentable et jaloux qui fait mine de ne pas voir les regards que s’échangent les amants au bar du Lady Bird de Saint Sébastien. Biralbao joue avec Billy Swann, sans doute le plus grand trompettiste du moment, et avec Oscar le contrebassiste.
Quand Biralbao compose le titre « Lisboa », alors qu’il n’a encore jamais mis les pieds dans la capitale lisboète, cela m’a fait penser à Duke Ellington, lequel a composé une suite célèbre dédiée à mon pays natal, le Togo : Togo Brava Suite. Duke Ellington n’a jamais mis les pieds au Togo. Je retiens l’enseignement de cette situation, les musiciens sont capables d’inventer le futur. Ainsi que le dit ce passage du roman : : « Un musicien sait que le passé n’existe pas… Ceux qui peignent ou écrivent passent leur temps à accumuler du passé sur leurs épaules, des mots ou des tableaux. Un musicien est toujours dans le vide. Sa musique cesse d’exister au moment précis où il a terminé de jouer. C’est le présent à l’état pur. (…) »

Secundo : L’amour des villes comme une sorte d’humanisme. Je retiens cela de ma lecture. L’Hiver à Lisbonne pose le postulat que l’on peut aimer une ville, un pays sans l’avoir visité. Peut-être y a-t-il une charge poétique dans l’évocation des noms. Possible, si l’on se réfère à la force des allégories. Vous inventez un Lisbonne auquel nous finissons par croire sans y être allé. Au final, votre Lisbonne ne me paraît pas une ville aussi imaginaire que les villes que l’on trouve dans l’œuvre d’Italo Calvino.

Enfin, je dois vous confesser quelque chose. Lorsque je suis tombé pour la première fois sur votre nom dans une bibliothèque, j’étais étudiant, et le seul Molina que je connaissais, c’était Tirso de Molina, l’inventeur disait mon prof de littérature comparée du mythe littéraire de Dom Juan (Don Juan en français). C’est la proximité du patronyme qui m’a poussé à vous lire, tellement j’étais convaincu, étudiant naïf, que dans tous les cas je finirai par retrouver le personnage du séducteur Dom Juan dans votre roman, sous les traits de quelque personnage. Alors, lorsque Malcom s’enfuit avec Lucrecia, à travers plusieurs capitales, je me suis demandé qui de Biralbao et de Malcom était finalement le Don Juan ? Et si c’était Lucrecia elle-même le Don Juan du trio!!! La séduction est un drame pour celui qui n’est pas aimé, mais en même temps une chance. Du moins, c’est ce que je retiens de cette passion qui tiraille vos personnages. La solitude amoureuse, pour autant qu’on sache l’utiliser à bon escient, peut être synonyme de créativité. Je garde encore en mémoire vos phrases, cher Molina : « Plonger dans la certitude obscure qu’il n’y a ni souffrance ni bonheur mais un destin inscrit dans la douceur sauvage et âpre et qu’il importe peu, dès lors, d’être mort ou vivant. »
J’ai eu l’impression en vous lisant que je lisais un humaniste des temps nouveaux. Merci.

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