Points de vue sur le livre « Histoire des Togolais »

livre_histoire.jpgDans un pays miné par l’idéologie de la dictature, donc de la suspicion, est-il facile de faire oeuvre d’historien? Quand j’ai posé la question à l’historien Ali Napo, professeur aux universités de Lomé et Kara, il a souri avant de me répondre: « Non ». Est-ce la raison pour laquelle il a refusé de participer à la rédaction des ouvrages de ce coffret censé redonner aux Togolais leur histoire?

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livre_histoire.jpgQuand le coffret de trois livres consacré à l’Histoire du Togo est sorti en Avril 2006, je me le suis aussitôt procuré pour avcoir une idée du travail acompli par les historiens togolais. J’avais entendu des critiques virulentes contre le livre, commandité disait-on (par qui?) pour arrondir les angles et proposer une vision nouvelle de l’avenir à un peuple divisé depuis son Indépendance. Dans un pays miné par l’idéologie de la dictature, donc de la suspicion, est-il facile de faire oeuvre d’historien? Quand j’ai posé la question à l’historien Ali Napo, professeur aux universités de Lomé et Kara, il a souri avant de me répondre: « Non ». Est-ce la raison pour laquelle, lui l’un des historiens les plus respectés de ce pays a refusé de participer à la rédaction des ouvrages de ce coffret? Il est vrai qu’après ma lecture, je n’ai eu que cette réaction: il faudrait peut-être davantage de monographies pour arrriver un jour à écrire une histoire moins passionnelle de ce bout de terre erratique. J’en étais là de mes questions, lorsque le professeur Huenumadji Afan a publié sa réaction au livre sur le site de mon ami Camille Amouro! Je vous propose de la découvrir. Et pour les ami(e)s de ce blog que ce débat togolo-togolais pourrait ennuyer, je les prie de m’en excuser d’avance!

afan_image.jpgHISTOIRE DES TOGOLAIS: Le point de vue du professeur Huenumadji Afan

« Nous qui sommes hommes, ne savons-nous pas bien jusqu’à quel point d’autres hommes ont pu être ou imposteurs, ou dupes ? »

FONTENELLE, Histoire des oracles, Préface

Le jeudi 13 avril 2006, à travers une conférence-dédicace spéciale organisée au campus universitaire par le président de l’université de Lomé, un document a été solennellement introduit au public. Sa spécificité est qu’il se veut l’ « Histoire des Togolais », affichant d’emblée une certaine prétention à démontrer qu’il existe une nation togolaise, ou des fondements à la constitution de celle-ci. Mais surtout l’Histoire des Togolais se veut un ouvrage scientifique, fruit de nombreuses années –« plus de vingt ans »- de recherches menées par une quarantaine de chercheurs, des universitaires attitrés, habilités. L’ouvrage revendique ainsi sa crédibilité par le fait de son adoubement institutionnel ; il est, quelques jours plus tard, officiellement présenté au Premier ministre du Togo. En réalité, l’ Histoire des Togolais apparaît comme un ouvrage à motivation d’instruction civique orientée, dont la valeur scientifique reste à déterminer :

1. Ce n’est guère de la casuistique que d’ observer qu’il y a loin de la pertinence à faire ressortir, avec une certaine emphase, que les populations du Togo étaient déjà en place, qu’elles entretenaient des relations entre elles antétieurement à la colonisation, insinuant ainsi, de façon indue, qu’elles « vivaient ensemble » dans un espace considéré comme domaine patrimonial commun. Les chefs résistants du pays adja, tem , kabyè, tchokossi…s’opposaient-ils au colonisateur allemand ou français avec le sentiment qu’ils défendaient la « nation togolaise » ? Le résistant konkomba se disposait-il réellement, au nom d’une « nation togolaise », à admettre éventuellement, une fois le colonisateur défait, le leadership du chef résistant tchokossi ? Les populations du Togo ont eu à affronter un adversaire, le colonisateur : cela ne suffit pas pour que se cristallise l’idée ou le sentiment qu’elles constituent une entité nationale !…

2. De fait, le désir de célébrer ou de promouvoir une nation togolaise se heurte à la brutalité des données socio-politiques. En raison même du caractère artificiel des délimitations territoriales et de la survivance conséquente et dynamique des ethnies, –véritables nations transversales-, il est illusoire, voire pernicieux, de vouloir transformer en étrangers, les uns par rapport aux autres, des frères et cousins d’une même famille, d’un même clan, sur la base de confinements territoriaux tripatouillés par les colonisations et douloureusement vécus par les populations. Pourquoi condamner les populations du Togo à s’enfermer dans des structures territoriales infligées par la colonisation? Y a-t-il vraiment plus de raisons de vivre ensemble que de ne pas vivre ensemble en «Togolais » ? C’est dire que l’exaltation de l’idéal de nation, dans le contexte géographico-politique d’aujourd’hui, est proprement dérisoire, surtout si elle s’entend comme volonté d’édification d’une supra-nation togolaise, prétexte à un appel au renforcement des hégémonies prédatrices qui ont inventé le Togo, et à une légitimation des rapports de domination interne à laquelle la « togolité » sert d’écran.

3. L’Etat du Togo existe, et il suffit. Le discours-nation n’est que pure diversion, visant à chatouiller les sensibleries et dispenser l’Etat de remplir son devoir irréfragable, celui d’assurer à l’individu-citoyen la liberté et la justice. Du reste, partout à travers le monde, « les véhémentes protestations de certains groupes obligés parfois de ruer dans les brancards pour se faire entendre » (sic), « revendiquant la reconnaissance de leur identité propre » (sic), administrent la preuve manifeste, – même si ces revendications sont réprimées-, que tout le monde n’est pas dupe de ce chantage qu’on nomme « unité nationale ». L’émergence d’une nation ne se postule pas : c’est des conditions créées par l’Etat pour son émergence que naît la nation.

Moralité : Au moment où, agissant conformément à leurs intérêts, les réseaux se sont hargneusement mis en ordre de bataille pour se procurer des pères de l’ « indépendance » et des pères de la « nation » à proposer en consommation aux populations béates, la recherche scientifique doit se garder de servir de caution à l’instrumentalisation du concept de nation, lequel concept transformé en pur slogan mystificateur conduit à toutes sortes de manipulation, dont l’une des plus pernicieuses –avec ses dérives désastreuses- est de faire accroire qu’il y a eu, dans l’histoire du Togo, des « nationalistes » et des « non nationalistes ». Faute de cette vigilance, la science historique, académique et marquée du sceau institutionnel, court le risque abominable de se travestir en mythistoire, pseudo-science engagée au service de la pseudo-politique, au nom de laquelle l’on se permet de produire en l’an 2005 une « histoire des Togolais » qui, par autocensure ou par esprit de chapelle, s’arrête au 27 avril 1960 !

Huenumadji AFAN

A suivre !…

Source:http://www.oduland.com/nouveau/nouveau.htm

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