« Pour les Kabiyé, peuple du Nord Togo, la place du rythme est capitale. » On aurait pu se passer d’une telle banalité pour présenter ce disque qui m’a séduit, tant la qualité et l’originalité de l’enregistrement suffisent à elles-mêmes pour convaincre le mélomane de se précipiter sur l’objet. D’habitude, je n’aime pas les disques de ce genre, fonctionnant sur le principe ethnomusical du matériau musical brut, pur, « authentique ». Ici, rien de tel, la musique se présente telle qu’elle est jouée au quotidien, au rythme des saisons et des initiations. L’amateur de musique en moi se réjouit même des corruptions rythmiques, comme dans le solo numéro 10 de Kpalandao Yurijao, où l’on entend distinctement les variations sur le thème du rythme kaleta, propre au répertoire de divertissement chez tous les peuples du Togo. Mais allons droit au but: ce qui m’a vraiment emballé dans ce disque, c’est la découverte de l’usage du lithophone. Il semble, selon l’analyse de Gérard Arnaud, que les Kabiyé (les paysans des pierres, ainsi nommés car ils cultivent en terrasses sur les pentes caillouteuses des montagnes du Nord du Togo), « sont lun des derniers peuples à avoir conservé lusage du lithophone. Larchéologie a prouvé lexistence de cet ancêtre probable de tous les instruments « à clavier » dès le néolithique en Asie, et de nombreux indices laissent penser quil pourrait être plus ancien. Sil a survécu en Éthiopie et au nord du Nigeria, il ny a semble-t-il que chez les Kabiyé que le lithophone est encore joué couramment, par les jeunes au cours des rites dinitiation, et même par les enfants dans un simple but de divertissement. »
De son vrai nom pichanchalassi, qui signifie « le son des cailloux », l’instrument se compose de cinq pierres plates de dimensions différentes disposées au sol, percutées au moyen de deux autres pierres. Pas facile à jouer, d’où la rareté des virtuoses, comme le rapide et époustouflant Kpalandao Yurijao dont j’ai parlé plus haut, qui magnifie le groove kabiyé sur les plages 10-13-14-15 et 18.
Au fond, je n’ai qu’un regret, avoir oublié le peu de langue kabiyé apprise au collège pour apprécier les paroles des chants de certaines plages. Mais, bon je me console en disant que j’aurais peut-être été encore déçu par la banalité des paroles. Quand la musique est belle… Finalement, j’emprunterai à Gérard Arnaud ses conclusions : 1. « à lécoute de ce disque passionnant, on se posera forcément cette question : où est la « modernité musicale », sinon là? » 2. « Il est probable quun jour, grâce à ce cd, le lithophone kabiyé sajoutera au balafon parmi les instruments « samplés » mis à la disposition des amateurs de techno ! » J’en serai ravi, mais ravi, de quoi civiliser la techno!
Orchestres et lithophones kabiyes (Ocora / harmonia mundi, Paris 2004)