OBSERVATIONS SUR LA NOUVELLE GENERATION D’ECRIVAINS AFRICAINS

marteauIl restait quelques heures avant la présentation de mon roman à Lomé quand je suis tombé sur cet article de la critique belge Lilyan K. Que de mépris, pensais-je en relisant ces lignes, que de manque de courage et de lucidité de la part d’une critique dépassée par les allures de la littérature que notre génération propose. Florent Couao-Zotti qu’elle croit vivre à Paris est arrivé à Lomé la veille de Porto-Novo, ville où il a toujours vécu ! Je pensais à Sami Tchak dont j’avais souhaité la présence à mes cotés pour cette présentation. Au moment où nous commencerons la présentation, Florent Couao-Zotti et moi, il sera encore dans l’avion, ayant raté son vol samedi dernier. Je suis fier d’appartenir à cette génération, et je le dis sans ciller : nos œuvres n’ont pas encore trouvé leurs critiques. Que ceux qui ne me croient pas tentent de nous relire, vraiment, juste pour me démontrer le contraire. La vulgarité prétendue n’est pas forcément du côté de ceux qu’on croit. Bonne lecture !

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Dans un ouvrage collectif récent « Figures croisées d’intellectuels » (Karthala 2007) on rappelait l’objectif de la première génération d’intellectuels africains qui manifestaient « la volonté de sortir l’homme noir de l’oubli, du mépris, et de lui restituer sa dignité ».
Est-ce à l’échec de ce projet qu’il faut attribuer la rupture, ou plutôt la volonté de rupture des écrivains négro-africains « issus de l’émigration » d’avec les générations précédentes et notamment celles de la Négritude (de 1935 à 1980 pour aller vite), qui est régulièrement signalée dans les médias français, qu’ils se consacrent ou non à la littérature négro-africaine ?
Certes ce mouvement était largement amorcé par ce que nous avons appelé « les romanciers du chaos », mouvement illustré dès les années 85-2000 par les Labou Tansi, Moussa Konaté, Bernard Nanga, Alpha Diarra, Williams Sassine, Tierno Monénembo ; mais aussi Sylvain Bemba, Boris Diop, Oumar Kanté, Okumba Ngoke, Emmanuel Dongala, Werewere Liking et j’en passe.
Il est vrai que la majorité de ces écrivains demeuraient en Afrique. Il est vrai aussi que le mouvement actuel de rupture plus radicale se dessinait déjà chez des romanciers émigrés comme Kossi Efoui, Baenga Bolya, A. Wabéri.
Mais après 2000, avec peut-être la création des collections ad hoc chez Gallimard et Dapper et les titres par elles retenus, la dite rupture s’accentue, et apparaissent successivement des noms inconnus jusqu’ici, comme Sami Tchak (La place des fêtes), Kangni Alem (Coca cola Jazz), Alain Mabanckou (African psycho, Verre cassé), Patrice Nganang, (Temps de chien, et L’invention du beau regard) et Couao Zotti (L’homme dit fou…et Notre pain de chaque jour), G. Paul Effa (Le cri que tu pousses n’éveillera personne)
On constate alors quelques traits caractéristiques : ces auteurs s’exercent à une écriture « différente », et ce, même si au départ ils avaient écrit leurs premiers romans en une langue transparente et élégante. C’est le cas de Waberi, de Mabanckou, de G. P. Effa, que T. Monénembo rejoignit pour un temps dans cette adhésion au courant plus en vogue à Paris.
Désormais donc ces écrivains préfèrent mélanger les cartes d’un récit jugé trop intelligible, et, pour certains, ils suppriment toute ponctuation et tout paragraphe. De même la distinction entre narrateur, sujet, narrataire et autres acteurs du récit disparaît ou se brouille. Concernant le lexique, l’introduction très fréquente de l’argot ou des vocables africains locaux ajoute à l’opacité du texte ; cependant que la difficulté de lecture qui s’ensuit devrait être surmontée par des scènes d’extrême violence ou d’érotisme brûlant, qui désormais ont pour rôle d’épicer ces « nouveaux romans ». Si l’on aborde Kossi Efoui, Couao Zotti, Sami Tchak, Kagni Alem ou P. Nganang, pour ne citer qu’eux, on remarquera ces tendances à des degrés divers. Tendances auxquelles il faut ajouter « le refus de l’exclusivité du référent culturel » – non pas francophone –, mais africain au profit, constatons-le, des influences très françaises du nouveau roman (dépassé déjà en France) et du roman « hard » branché sur le sexuel et l’homosexuel. Je caricature un peu, mais si peu ! les alibis avancés sont « le refus des cloisonnements et des limites » et la volonté de « libération des contraintes identitaires ».
Retrouver ce langage chez des écrivains comme Kangni Alem, Couao Zotti, Kwahule, Sami Tchak, surprend ceux qui savent que ce sont là de savants professeurs de lettres, ou docteurs en sociologie. Pourquoi cette vulgarité qui ne leur est certainement pas naturelle ? Rien ne vieillit plus vite que l’argot.
Bref ces « nouveautés » de l’écriture rapprochent sans doute nos écrivains émigrés de la littérature française actuelle et c’est efficace pour leur intégration, sans doute. Mais cela les éloigne en revanche et de leur public africain et d’une créativité propre, dans la mesure où ils récoltent les tics d’écriture de leurs confrères français.
Chez nos écrivains africains l’exhibitionnisme sexuel relève de la provocation, certes. Les scènes pornographiques sont à présent de rigueur dans les romans d’africains immigrés. De ce fait ils choisissent leur public, car cela ne pourrait plaire, certes, dans leur Togo ou leur Cameroun d’origine ! La critique occidentale a suffisamment taquiné les Africains pour leur pudeur verbale littéraire.
Que cherche donc Sami Tchak pour assaisonner son roman La place des fêtes (Gallimard 2000) de moultes scènes d’accouplements normaux…et paranormaux, dont il ne passe aucun détail ? Et Kangni Alem dans Coca cola jazz (Dapper 2003), croit-il vraiment que les amours de deux demi-sœurs gouines nous feront mieux apprécier son talent ? C’est en revanche bien dans le ton de Patrick Besson ou de Houellebecq.
Par ailleurs jusqu’ici tout ce mouvement était récupéré au bénéfice de la Francophonie, cela allait de soi. Or une dernière étape est franchie aujourd’hui, avec cet article du Monde paru juste avant le grand salon du livre à Paris – d’avril 2007 – et qui prétend projeter désormais cette littérature affranchie du souci identitaire dans les limbes du mondialisme et, plus précisément, dans ce qu’on appelle déjà la world littérature.
Cette nouvelle génération est en effet pourrie de talents et il est désolant de la voir ainsi déviée, dévoyée de son cri « de son vrai cri, celui qu’on sent sien, et lui seul » (Césaire, toujours).
Au risque d’avoir mis leur « africanité en question »14 ils ne sont pourtant pas entrés dans la mondialisation. Et ce n’est pas faute d’avoir été soutenus par les milieux littéraires français, contrairement à ce qu’affirme Christiane Albert (Figures croisés d’intellectuels, Karthala 2007).
Nos jeunes écrivains sont au contraire très en phase avec ce qui se fait en métropole, et gâtés par les sunlight. A charge pour eux de ne pas se laisser prendre à leur piège. Et, oserais-je le dire, de travailler davantage, se chercher davantage, plutôt que de produire un roman tous les ans… et qui ne pèse pas très lourd.
Par Lilyan KESTELOOT
Ethiopiques n° 78, er semestre 2007.

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