Musique et littérature

bebey_7.jpgSujet faussement évident pour lequel l’intérêt critique reste pourtant lacunaire dans les études africaines, la question des liens entre musique et paroles, généralement écrites ou chantées, et particulièrement entre la musique et la littérature, est au cœur de ce numéro de la Revue NotreLibrairie que j’ai coordonné l’an dernier, et qui tente de dépasser la figure simple du griot, modèle suranné longtemps imposé aux créateurs du Sud, pour aller questionner des pratiques nouvelles, s’étonner de certaines lacunes.

Imprimer

EDITO POUR LE LANCEMENT DU NUMERO 154 DE LA REVUE NOTRE LIBRAIRIE


Un champ d’études encore vaste…

Sujet faussement évident pour lequel l’intérêt critique reste pourtant lacunaire dans les études africaines, la question des liens entre musique et paroles, généralement écrites ou chantées, et particulièrement entre la musique et la littérature, est au cœur de ce numéro qui tente de dépasser la figure simple du griot, modèle suranné longtemps imposé aux créateurs du Sud, pour aller questionner des pratiques nouvelles, s’étonner de certaines lacunes.

bebey_7.jpgCertes, il y a l’exemple de l’écrivain et musicien camerounais Francis Bebey (photo ci-contre) abordé dans ce numéro, habitué aux allers-retours entre les thèmes de ses livres et ses compositions musicales. Néanmoins, ce cas, et quelques autres analysés ici n’induisent pas une pratique systématique de la modalisation musicale de l’écriture. Est-ce à dire que les écrivains se méfieraient du genre ou fuiraient, sans se l’avouer, cet horizon mythique dont parle Dethurens, celui où les mots, impuissants, peinent à fusionner avec les sons ?

La proximité de la poésie avec le chant aura même généré le mythe de la musicalité chez certains auteurs, comme si l’articulation des formes était évidente, dès lors qu’on pose le principe de la relation. Par conséquent, évoquer la question de la prégnance musicale sur la mise en ordre des idées à travers la littérature, l’architecture des métaphores, c’est assumer le risque des (re)lectures singulières. C’est ainsi que la prose serrée de Valentin Mudimbe semble emprunter son austérité à un chant monacal, que la musique vodou intervient dans le processus de création chez Olympe Bhêly-Quenum, et que la musicalité est véritablement inspirée du jazz chez un dramaturge comme Koffi Kwahulé (photo). kwahulé_1.jpgCes mêmes inspirations sont perçues chez des romanciers aussi dissemblables que Mongo Beti et Emmanuel Dongala, ainsi que l’influence des chants rituels dans les romans de l’écrivaine malgache Michèle Rakotoson. Autant de questions auxquelles le premier dossier, « Convergences », tente de répondre, en étudiant l’absence ou l’existence de liens pérennes entre les deux arts.

Partant de la littérature, le numéro progressivement élargit son champ de définition. Ainsi l’étude du « bassin congolais », un cas immense dans l’histoire littéraire et musicale du continent africain, prolonge-t-elle l’étude des intuitions contenues déjà dans la première partie, notamment dans l’article de Blaise Ndjehoya sur la « vérité » du chant, d’Alpha Blondy à la génération dite du « Rap Conscient ». Ici s’opère un renversement de perspective, en ce sens que la mise en musique des paroles montre toute la puissance de l’efficacité métaphorique du chant, du fait qu’il tente d’échapper aux limites du langage écrit tout en lui conservant son pouvoir d’expression, touchant par là-même, et peut-être sans le vouloir, à la poésie. Du chanteur Zao à l’écrivain Jean-Baptiste Tati-Loutard, en passant par les mémorables classiques de la rumba version Franco ou Seigneur Rochereau, pour en arriver à la modernité du rap de Passi, les exemples retenus illustrent cette étrange dissociation. L’exemple du Gabonais Pierre Akendengué dans la partie « Repères », pourrait être celui de la synthèse. Véritable Orphée, poète, musicien et chanteur qui privilégie le caractère du discours poétique en l’élevant au-dessus de la banale réalité, l’artiste réussit avec maestria l’alliance de la pensée et de la parole dans la fluidité du chant, abolissant du coup cette vieille peur mallarméenne d’une quelconque suprématie de la musique sur la littérature.

Les grilles de lecture choisies pour l’élaboration de ce numéro ne sont pas exclusives d’autres(1), d’autant plus que le concept de musique se décline facilement sur différents modes. Des arts performatifs aux traces sonores d’un film, les métamorphoses de l’infini musical déconstruisent autant qu’elles enrichissent la perception polyphonique des paroles, définissables elles-mêmes dans un sens plus élargi. Qu’elle produise, artificiellement ou spontanément, l’euphonie, la dissonance, ou chromatise le texte, la musique demeure le mythe indépassable de tout créateur, elle lui offre un espace problématique et totalisant, indispensable a priori à l’affirmation de ses possibilités artistiques. De ce point de vue, concernant les littératures africaines, le champ d’études est encore vaste…


beautyfulones_1.jpg(1) La problématique inverse serait intéressante à traiter: comment les musiciens du Sud ont-ils intégré ou pourraient-ils intégrer l’élément littéraire ou linguistique à leurs oeuvres, à l’instar d’un Branford Marsalis mettant en musique The beautyful ones are not yet born du romancier ghanéen Ayi Kwei Armah ?

Pour télécharger le numéro entier de la revue, http://www.adpf.asso.fr/librairie/derniers/154/texte154.htm

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.